Il est 22h30, à Bondy, un soir d’hiver. Avenue Marx Dormoy, dans le quartier nord de la ville, c’est là que Youssouf a installé le camion qu’il a aménagé lui-même pour y cuisiner. L’histoire de Youssouf semble être celle de beaucoup d’entrepreneurs d’aujourd’hui. Un concept à la fois simple, un peu original, du courage pour se lancer et un bon coup de pouce des réseaux sociaux.
Pour les non-Bondynois le nom de YoussGrill apparaît pour la première fois après la vidéo de l’influenceur spécialisé dans les bonnes adresses, Isma La Brigade. « Grâce à Ismaël, il y a beaucoup de gens qui sont venus », nous raconte Youssouf. Un partenariat qui les ravit eux, mais aussi les clients : « C’est les meilleures brochettes, franchement Ismaël t’as fais une bonne pub. »
Dans la ville que l’on surnomme “ la ville des cracks ” en raison du nombre incroyable de talents qui en sont issus, avant YoussGrill, il y a Youssouf. L’homme au « 6 petits boulots », increvable, en apparence. « Je bossais pour 2-3 sociétés différentes. Je commençais le matin à six heures puis j’enchaînais, tout ça faisait que je ne me reposais jamais. » Il poursuit le sourire aux lèvres : « On me dit de me reposer, mais moi, je préfère travailler. Tant que j’ai la santé, je ne vais pas me plaindre. »
Celui qu’on appelle Youssouf
Youssouf est né à Aubervilliers. Il y vit pendant quelques années, puis déménage à Porte des Lilas, ensuite à Noisy le Sec avant de s’installer à Bondy. « J’ai kiffé cette ville ! Tout le monde me respecte ici », nous confie-t-il. Si aujourd’hui Youssouf aborde la vie avec le sourire, elle n’a cependant pas été de tout repos pour le franco-malien. Durant cinq ans, Youssouf était à la rue et dormait dehors. « C’était dur, vraiment dur », nous raconte-t-il, ému.
Les gens qui m’ont connu à l’époque, ils me voient aujourd’hui sur les réseaux et me disent “tu reviens de loin”
Motivé par sa foi musulmane et sa volonté de réussir, Youssouf cherche à travailler à tout prix et enchaîne les « petits boulots » tant bien que mal. « Je n’avais pas le choix. J’en tremblais de fatigue, mais Al Hamdoulillah, aujourd’hui ça va mieux. » Cette période difficile a forgé son caractère et son goût exceptionnel pour le travail.
Si vous pensiez qu’avoir 3-4 emplois était impossible, Youssouf vous prouve le contraire. Avant même que le réveil sonne chez la plupart d’entre nous, lui nettoie les rues de sa ville comme agent de propreté urbaine. L’après-midi, il s’en va à Sevran pour revêtir sa casquette d’entraîneur de football, puis il termine sa journée par son food-truck jusqu’à une heure du matin. « Mes enfants prennent exemple sur moi, ils charbonnent pour réussir. Mon fils aîné, Chaka, refuse que je lui donne de l’argent parce qu’il souhaite se débrouiller et gagner son argent par lui-même. »
« Youss Grill, c’est mon combat contre la faim »
« L’histoire de Youss Grill a commencé à cause de la vie chère », raconte-t-il. Un jour, il rencontre une femme qui lui explique ses difficultés à manger, à nourrir ses enfants et à payer son loyer. Se sentant investi d’une mission, Youssouf se met en tête de créer un “restaurant solidaire”. Un objectif : proposer des bons plats, pas chers, pour y faire manger tout le monde. « Les clients sont surpris à chaque fois, ils me disent que ce genre de prix, c’était à l’époque ! Aujourd’hui, même pour manger un grec, tu dois sortir 10 euros ! », déplore-t-il. « Moi, tout ce que je veux, c’est faire du bien ! Youss Grill c’est mon combat contre la faim. »
Dans son food-truck, il propose une variété de produits classiques de la cuisine ouest-africaine. Allocos, brochettes de poulet et bœuf, dibi, thieb… « Ici, on propose beaucoup de produits inspirés de mes origines maliennes et j’en suis fier parce que tout le monde kiffe. C’est universel. »
Mais créer YoussGrill n’a pas été une mince affaire. Accompagné de son fils aîné, Chaka, leur première problématique a été de se procurer un camion. « J’avais pas de fonds pour démarrer et malgré ça, les gens m’ont tout payé, y compris des personnes que je ne connaissais même pas. Il y avait une personne qui venait, puis une autre qui arrivait derrière. » Une réaction en chaîne qui finit par l’amener à rencontrer le propriétaire d’un camion qui lui céda le véhicule sans se poser de question.
« Je voulais faire quelque chose pour les gens ici »
Bien que son projet soit un carton, Youssouf vise plus haut. Premièrement avec l’ouverture de son propre restaurant. « Faire un truc basé sur l’Afrique, une grande salle avec un côté maghrébin et un autre pour la nourriture africaine : L’Universal African. »
Toujours avec cette volonté d’aider, Youssouf souhaite faire travailler dans son restaurant les jeunes des quartiers de Bondy. « Je n’aime pas voir les jeunes tomber dans l’argent sale. Moi, je veux les aider à sortir de ça. »
Avec ce projet, il espère rendre à la ville de Bondy ce qu’elle lui a offert. Youssouf voit les choses en grand ; il souhaite organiser des distributions de baskets une à plusieurs fois dans l’année pour les enfants.
Il est 23h30, il commence à faire froid. Avant de quitter Youssouf, on voulait lui laisser le dernier mot. Fidèle à lui-même, il lance : « Quand t’aides tout le monde, t’as tout gagné ».
Sélim Krouchi, Thidiane Louisfert