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« 2005 – 2025, rien n’a changé ! » C’est sous la pluie et le froid que résonne ce slogan lancé par la foule lors d’un rassemblement réunissant une cinquantaine d’associations pour les droits des personnes handicapées. Il y a 20 ans, le gouvernement a promulgué une loi censée garantir « l’égalité des droits et des chances pour les personnes handicapées ». 

Cette loi visait le renforcement de l’accessibilité, l’insertion professionnelle, l’intégration scolaire, une compensation et une simplification administrative pour les personnes concernées. Deux décennies plus tard, les premières personnes concernées sont toujours en attente de l’application de la loi et des mesures significatives pour leur permettre de vivre dignement.

Des avancées trop peu nombreuses

« Je suis là pour faire bouger les choses. Depuis 2005, il nous manque toujours l’accessibilité et l’inclusion. Depuis 2005 ! », s’agace Alizé. Un problème que connaît trop bien Siva qui habite Melun et se voit parfois refuser l’accès au bus faute de rampe qui fonctionne.

C’est aussi le cas de Clara qui depuis son accident dit découvrir un monde dans lequel elle n’est pas égale aux autres, dans lequel il existe une seconde classe de citoyens. Elle se dit limitée tout le temps dans sa liberté de se déplacer, de vivre. « J’habite dans le 92 et pour aller de Châtillon à République, j’ai mis deux heures et demie. Normalement, on met 40 minutes en transport, mais les transports ne sont pas accessibles, les trottoirs ne sont pas accessibles, il y a des trous partout sur le chemin… Ce n’est pas viable en fait ! »

La plupart des patrons m’ont refoulé par rapport à ma situation 

Clara pointe également les freins à l’accès à l’emploi qui peuvent vite mettre les personnes en situation de handicap dans la précarité. Une situation qu’elle observe, car elle est amenée à accompagner les personnes ayant des maladies chroniques.

Cette dernière prend l’exemple d’un employeur qui va vouloir faire une intervention sur le handicap, mais qui, au lieu de l’embaucher, va prendre quelqu’un d’autre qui va aller « plus vite ». 

Une précarité que redoute Sofiane. « J’ai fait 4 ans en tant que pâtissier quand j’étais valide, mais après mon accident, la plupart des patrons m’ont refoulé par rapport à ma situation », explique ce jeune de 22 ans du Blanc-Mesnil. Il ambitionne de créer son entreprise pour ne plus être confronté à ce genre de situation.

Sentiment d’exclusion de la société

François, lui, en a marre « de la commisération, de la pitié ». Il déplore le fait d’être obligé de quémander des droits face à des pouvoirs publics et des entreprises qui restent dans les discours de façades et adoptent une attitude infantilisante.

« On fait partie de la société et on en est exclus de fait. Donc, je le dis, il y en a ras-le-bol ! » Venu d’Aubagne dans les Bouches-du-Rhône spécialement pour cette manifestation, François estime que le temps des gentillesses est fini. « Il faudrait être revendicatif, méchant ! Il faudrait montrer la colère ! », revendique-t-il.

Un sentiment que semble partager beaucoup de manifestants qui s’arrêtent à son passage pour le féliciter pour sa pancarte où est inscrit « handicapés méchants ». Il arbore également un son drapeau pirate en référence à un roman dans lequel des jeunes font de l’action directe sur les murs de lieux non accessibles.

On ne peut pas continuer à être condamné par la Cour européenne des droits de l’homme sur la prise en charge du handicap en France au 21ᵉ siècle, c’est aberrant 

« Ils viennent défendre un secteur économique qui repose sur l’assignation sociale et l’enfermement des personnes handicapées dans des institutions », fulmine Lili, militante aveugle lorsqu’elle fait référence à certaines associations organisatrices de l’évènement.

Le collectif indépendant dont elle fait partie lutte pour l’abolition des institutions et de la psychiatrie. Il dénonce la façon dont les associations « gestionnaires » verrouillent le débat médiatique et politique. Ainsi que la responsabilité des pouvoirs publics et de l’État dans la pérennisation de cette institutionnalisation.

Lili regrette qu’en 2025 on demande l’application d’une loi de 2005 qui a été jugée incompatible avec les droits énoncés dans la convention de l’ONU relative au handicap. Elle trouve ridicule d’avoir des grosses associations qui sont, selon elle, « complètement abreuvées de financements publics », demander l’application de la loi 2005 et davantage d’argent public.

La France a d’ailleurs été mise sur le banc des accusés, comme le rappelle Muriel, en fauteuil roulant. « On ne peut pas continuer à être condamné par la Cour européenne des droits de l’homme sur la prise en charge du handicap en France au 21ᵉ siècle, c’est aberrant », souligne-t-elle.

Elle fait ici référence à une décision du Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe. En 2022, l’instance européenne a constaté « violation par la France de la Charte sociale européenne » pour ses manquements en termes d’accessibilité, d’inclusion, de protection des familles ou encore d’accès aux services de santé envers les personnes en situation de handicap…

Une convergente des luttes

Chiara membre du collectif féministe les Dévalideuses qui lutte contre le validisme et créatrice du podcast Conpassion qui donne la parole aux personnes en situation de handicap ou malades, a une approche similaire. Si elle est reconnaissante que ces associations puissent organiser un tel événement, elle pointe du doigt les institutions qui « soutiennent cette forme de ségrégation », et la manière dont certaines considèrent que le handicap « est une tragédie personnelle et qu’il faut secourir les personnes handicapées ». 

On milite pour la vie autonome, pas pour qu’une association vienne nous sauver 

Elle prône un modèle social et le fait de voir le handicap « comme une condition de santé différente » qui devrait juste être une particularité humaine comme une autre. Rendre la société accessible, permettrait d’accéder à de meilleurs droits, d’être « des citoyennes et citoyens comme tout le monde », plaide-t-elle. Mais aussi avoir de meilleures représentations dans les médias. « On milite pour la vie autonome, pas pour qu’une association vienne nous sauver, mais pour qu’on puisse réclamer nos droits. Nous sommes des personnes égales aux personnes valides et on a aussi le droit à la colère », développe Chiara.

Elle évoque également le fait que « les personnes handicapées se retrouvent à l’intersection de plein d’oppressions » et sont potentiellement des femmes, des femmes racisées, une personne lesbienne, gay… Ce qui est souvent négligé et oublié. D’où l’importance d’établir une convergence des luttes, selon elle.

Habitante de Seine-Saint-Denis depuis deux ans, elle explique que son dossier à la MDPH (Maison Départementale pour les Personnes Handicapées) n’a toujours pas été traité. L’un des départements les plus précaires de France, mais également celui où il y a le plus de personnes handicapées qui sont donc extrêmement précarisées. Une situation catastrophique qui, du fait des manques de moyens humains, matériels et budgétaires, donne l’impression de « hiérarchisation » des vies.

Pour les personnes présentes au rassemblement, les promesses non tenues, le manque de mesures prises en 20 ans laissent un goût amer.

Christiane Oyewo

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