Un bonnet, des gants, une écharpe et une doudoune. Farhat, musulman et retraité, s’est équipé pour venir faire la prière, vendredi 16 décembre. Comme près de 200 autres Angevins, il est contraint de prier à l’extérieur alors que la température avoisine les 5 degrés. La mosquée d’environ 400 places ne peut accueillir tous les pratiquants. « On est trop serré à l’intérieur », remarque l’homme.
Abdel est arrivé 30 minutes plus tôt pour être sûr d’avoir une place. « Je suis auto-entrepreneur donc je peux m’arranger, mais la situation est difficile. » Depuis 2000, la mosquée gérée par l’Association des Musulmans d’Angers (AMA) est située dans des locaux semis durs et préfabriqués mis à disposition par la mairie. « Ce sont les anciens abattoirs, donc déjà vous voyez le message », souffle Mohammed Briwa, président de l’AMA. Un autre lieu de prière existe, beaucoup plus petit, situé à l’autre bout de la ville et géré par une autre association.
8 ans après le début des travaux, la construction est toujours en suspens
En 2014, l’AMA lance la construction d’une nouvelle mosquée, d’une capacité de 2 000 à 2 500 personnes, dans le quartier des Hauts de Saint-Aubin, à Angers. De 6,9 millions d’euros, la note est passée à 11 millions au fil du temps et les travaux se sont enlisés faute de financements. Alors en septembre 2020, l’association a voté la cession des lieux au royaume du Maroc. Le pays était prêt à payer pour obtenir et finir la mosquée.
La mairie, ancienne propriétaire du terrain, a posé son véto et gelé la vente, opposée à la cession des lieux à un pays étranger, pour « conserver une neutralité ». Le Maroc entretient pourtant de bonnes relations avec la France sur la question des cultes. En 2015, l’État a même signé un accord avec le royaume sur la formation de guides religieux musulmans. L’Institut Mohammed VI a ainsi contribuer à former des dizaines d’imams français.
Des têtes de sangliers accrochées aux grilles du chantiers
Depuis le refus de la mairie, rien ne s’est passé. Le bâtiment a été dégradé à maintes reprises, des têtes de sangliers ont été accrochées aux grilles en 2018. En octobre dernier, des vitres ont été cassées. Des impacts de projectiles sont visibles sur les vitres situées au-dessus de la porte principale, en bois et cloutée, de style marocain. « Le chantier est ouvert aux vandales et on ne peut pas le surveiller constamment », soupire Mohammed Briwa.
La coupole verte et le minaret sont là mais les murs sont encore en parpaings apparents. Les travaux ont avancé au tiers et il reste de nombreuses finitions à faire selon l’AMA. « Ça nous fait mal de voir notre mosquée comme ça », regrette Abdelladhi, fidèle angevin. Lui et les autres musulmans de la ville sont forcés de poser leurs tapis de prière à un kilomètre du chantier, sur le bitume ou dans l’herbe grasse.
Ils s’alignent sur près de quatre rangées, face aux voitures garées sur le parking. Tous sont emmitouflés dans des doudounes, la plupart ont relevé la capuche. « Ce n’est pas agréable, surtout avec le froid », déplore Nabil. Pas de quoi lui faire rebrousser chemin pour autant. « Notre foi est au-dessus de ça », assure Walid, étudiant.
« On n’a pas le choix, on ne doit pas rater cette prière », renchérit Fouad, qui a même suivi un prêche sous la neige en 2004. Dans la religion musulmane, la salat al-Jumu’ah (prière du vendredi) est particulièrement importante et rassemble un grand nombre de fidèles.
Peu de place pour les femmes
Beaucoup apparaissent résignés. « Ils ont perdu espoir », résume Saïd Aït Laama, l’imam d’Angers. En poste depuis deux ans, il essaie d’accomplir sa mission, non sans mal. « On attend de nous un énorme travail sur l’éducation, la laïcité, mais où ? Et puis on doit respecter la laïcité, donc exercer notre religion dans le privé, mais là, on est dehors, on n’a pas les moyens de respecter ces règles. »
Dans cette situation, certains pratiquants angevins préfèrent ne pas venir à la prière du vendredi, « par dignité », explique Saïd Aït Laama. Les femmes sont les premières à subir ce manque de place. « Leur pièce est trop petite, elle peut accueillir seulement 40 personnes, environ 10 % de toutes les pratiquantes » , estime Mohammed Briwa. À l’extérieur du bâtiment, seuls des hommes s’agenouillent.
« Peu importe qui paye, je veux juste pouvoir prier et rentrer chez moi »
Le prêche est retransmis par des haut-parleurs. Les pratiquants sont massés autour des locaux. Farad arrive tout juste du travail et fait ses ablutions au robinet public situé à quelques mètres, avant de prier. « Quand il fait beau ça va, mais il ne faut pas oublier son tapis, note Abderhamane. Ou alors on est obligé d’en acheter un en arrivant. »
À propos du financement de la nouvelle mosquée, il tient un discours clair : « Peu importe qui paye, je veux juste pouvoir prier et rentrer chez moi ». Ils sont nombreux à s’aligner sur cette position. « C’est de la politique », estime Abdel. Pour l’imam, au-delà de la mosquée angevine cette affaire éclaire « sur la façon dont sont considérés les musulmans » en France.
« Abandonnés » par la mairie
De l’autre côté de la Maine, la rivière angevine, le chantier de la mosquée attend. « Toute l’étanchéité du bâtiment a été refaite », décrit Mohammed Yassin, en première année de médecine, en pointant du doigt une projection de la nouvelle mosquée. Le plan est affiché à l’entrée des locaux actuels, les mêmes depuis 22 ans.
Contactée, la municipalité estime que les musulmans angevins peuvent « globalement » exercer leur religion correctement. « Bien sûr qu’il arrive que certains vendredis, les lieux de culte soient pleins et que des fidèles soient obligés de prier à l’extérieur. Ce n’est évidemment pas satisfaisant. Mais ce n’est pas une généralité », relativise-t-elle. Nous étions sur les lieux à deux semaines d’intervalles et autour de 200 personnes étaient dehors à chaque fois. Plusieurs personnes signalent qu’ils sont d’autant plus nombreux pendant les périodes de vacances.
Christophe Béchu, désormais ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des Territoires et maire d’Angers à l’époque, avait décidé de bloquer la vente de la mosquée au Maroc. « Il nous a abandonnés, dénonce le président de l’AMA. Maintenant qu’il est ministre, il est injoignable. Son remplaçant [Jean-Marc Verchère, son ancien premier-adjoint, NDLR], tient le même discours. Ils laissent passer le temps et ne trouvent aucune solution. »
Soit on fait une extension de l’actuel bâtiment, soit on nous laisse la liberté de trouver nos partenaires
À l’époque, certains membres de l’association s’étaient opposés à la cession de la mosquée au Maroc. Elle avait tout de même été votée en assemblée générale, à une large majorité. « Maintenant, tous les fidèles sont d’accord parce qu’il n’y a pas d’autre solution », assure Mohammed Briwa.
Installer un chapiteau dehors est par exemple impossible car il serait situé sur un lieu public, et il resterait peu viable sur le long terme. « Soit on fait une extension de l’actuel bâtiment, ce qui obligerait la mairie à investir des fonds propres. Soit on nous laisse la liberté de trouver nos partenaires », insiste Mohammed Briwa pour qui « la solution se trouve chez le maire ». La mairie s’écarte de toute responsabilité et invite l’AMA à trouver d’autres financements que le Maroc, « via des dons de fidèles notamment ».
Des dégradations récurrentes
Le chantier détonne, au cœur d’un secteur rénové, avec un éco-quartier à proximité, une école d’ingénieurs et des immeubles flambants neufs. « Ce serait un bijou patrimonial à Angers, un site ouvert à tous, visitable lors de la journée du patrimoine, se projette le président de l’association. Ce ne serait que du positif. »
Pour finir le bâtiment, il manque 2,5 millions d’euros. Selon l’AMA, le Maroc serait toujours enclin à racheter les lieux, en cas de changement d’avis de la mairie. En attendant, les musulmans angevins doivent s’agenouiller sur le bitume, sous le vent glacial de l’hiver.
Victor Fièvre