Goundo Diawara quitte son bébé des bras pour monter sur scène et prendre la parole. Elle représente le Front de Mères à cette soirée co-organisée avec l’Assemblée des quartiers et l’Association des Travailleurs Maghrébins de France (ATMF). Un événement pour faire face à l’extrême droite.
Au micro, Goundo Diawara rappelle l’importance des luttes passées pour préparer les luttes à venir. Elle évoque la grève de loyers des foyers Sonacotra dans les années 70, le Mouvement des Travailleurs Arabes, la Marche pour l’égalité et contre le racisme ou encore le Mouvement Immigration Banlieues.
« Le discours qui considère que nos parents n’ont fait que courber l’échine ne vise qu’à nous décourager et à nous dépeindre dans un récit dans lequel l’on ne fait que subir », soulève celle qui milite à Bagnolet depuis de nombreuses années.
Convaincue que l’action passe également par le fait de s’inspirer de ce qui a déjà été fait, elle martèle. « Nous ne sommes pas des enfants de nulle part. Nous ne sommes pas les enfants de n’importe qui. J’aimerais que chacune et chacun sorte d’ici convaincu de notre pouvoir d’agir », lance-t-elle.
La lutte antiraciste, une course de fond
Très vite, le ton est posé. « On ne se réunit pas pour dire “votez Nouveau Front Populaire” ou “Ne votez pas”, mais pour questionner la ligne antiraciste de ce programme, ce qui, pour nous, est fondamentale », souligne Goundo Diawara. Une ligne qui, pour le moment, est considérée comme « médiocre ».
Pour l’Assemblée des Quartiers, la priorité est bien de s’assurer que les votes des 30 juin et 7 juillet prochain s’inscrivent dans des actions au long terme. Mais aussi que les voix des quartiers populaires soient réellement portées au niveau politique. « Sinon, on est cantonnés à jouer les castors à chaque élection », prévient-elle.
Au fil des allocutions, un constat commun se dégage. Les habitants de quartiers populaires doivent cesser de réagir dans l’urgence lors des temps forts électoraux et s’organiser, lutter contre l’extrême droite et pour leurs territoires tout au long de l’année.
Membre de l’Assemblée des quartiers, Almamy Kanouté rappelle la nécessité d’agir au niveau local en évoquant les élections municipales. « Ce n’est pas six mois ou quatre mois avant, c’est aujourd’hui, qu’il faut se préparer. C’est à nous de faire cet effort », appelle-t-il. Et de fustiger le tokenisme et les discours d’une gauche qu’il juge démagogue. « On nous prend pour des imbéciles. Ils cherchent à préserver certains privilèges. On dit stop, pas seulement avec des réunions, mais avec des actions et fermement. »
Le goût amer des trahisons de la gauche
Inquiétude, colère et lassitude sont les sentiments qui dominent dans la salle. Des sentiments qui sont aussi dirigés contre une gauche qui a trahi ses propres valeurs et, par la même occasion, les quartiers populaires. « La droite comme la gauche a fait voter des lois racistes », rappelle Zouina Meddour. Elle cite SOS racisme, mais aussi le quinquennat de François Hollande. Son retour au sein du Nouveau Front Populaire est d’ailleurs critiqué dans le public.
« Ceux qui ont armé les tueurs de Nahel, c’est Hollande et son gouvernement avec la loi Cazeneuve de 2017 », s’exclame un membre de Révolution Permanente. « Je pense que ça va se faire sans nous. Ça fait longtemps que la gauche trahit. L’important est dans nos actions. Il faut que l’on porte nos discours, car nous sommes les premiers concernés », avance un autre homme dans l’assistance.
La victoire du Front Populaire : « Une victoire d’étape »
Jason Mua, militant écologiste originaire de Polynésie, tempère en rappelant le contexte de montée de l’extrême droite. « L’accès au pouvoir du Nouveau Front Populaire doit être vu comme une victoire d’étape. En ce sens, on choisit un adversaire plus abordable », analyse-t-il.
Un sentiment partagé par le Front de la jeunesse populaire qui vise à inciter tous les jeunes de France à voter pour le Front Populaire. « Nous ne sommes pas là pour faire la promotion de la gauche. Ce n’est pas parfait. Nous voulons discuter avec eux et dire que cette alliance de la gauche ne se fera pas sans les jeunes de quartiers populaires et sans les valeurs que l’on porte », précise Mariam Touré, membre du collectif.
Malgré les divergences qui subsistent, le mot d’ordre reste le collectif. « Il faut s’organiser sans laisser nos égos nous diviser », prévient Magda Jouini, du Front de Mères.
Des axes de travail pour la suite…
Une solidarité qui constitue l’un des trois axes de travail validés par l’Assemblée des Quartiers et qui s’adresse à toute la France. Le travail, qui a déjà débuté à Lyon ou encore Toulouse, est d’ailleurs rappelé.
Zouina Meddour présente également l’axe de la transmission du patrimoine des luttes passées. « Nous voulons un avenir meilleur pour nos enfants. Cela passe par l’information et la transmission », appuie l’ancienne membre du Mouvement de l’immigration et des banlieues. Elle rappelle les victoires décrochées par le passé : l’aide médicale d’Etat ou encore le droit de faire appel à un médecin ou à un avocat lors d’une garde à vue.
Enfin, le dernier axe de travail proposé concerne les enjeux électoraux. Des formations seront possibles, notamment auprès de personnes souhaitant se présenter aux élections municipales, afin qu’un réel partage du pouvoir existe.
… Et des initiatives pour maintenant
En complément des trois axes validés par l’Assemblée des Quartiers, le public soumet des propositions à plus court terme et en lien avec les élections législatives. Rizlaine* prend le micro pour partager un tract intitulé « face au braquage électoral : on reste debout ! » qui appelle à « riposter par tous les moyens possibles : la rue, la grève, les urnes ! » Une initiative spontanée qu’elle mène avec un groupe d’amis.
Rose*, 68 ans, confie qu’elle votera à nouveau à contre-cœur, en gardant en tête le sort des demandeurs d’asile avec lesquels elle travaille. « On éloigne le couteau de notre trachée, mais dès le 8 juillet, il faut faire face au front de gauche, sinon le RN ne reviendra que 10 fois plus fort aux prochaines élections. » Sa proposition ? « Une journée de grève de toutes les personnes issues de l’immigration, avec ou sans papiers. »
« L’heure est grave. Le front populaire, c’est nous, qui allons envahir la rue », appelle Fousseyni, membre du collectif Collectif des Jeunes du Parc de Belleville. C’est finalement ce que proposera Omar Slaouti, membre de l’Assemblée des Quartiers, comme réponse concrète pour clôturer le rassemblement.
« Nous, habitants des quartiers populaires, lorsque l’on entre dans l’isoloir, on joue notre peau. On joue notre vie. On n’entre pas seul dans l’isoloir. On entre avec ses parents, ses enfants et son histoire coloniale », déclare-t-il. Omar Slaouti annonce une action le 30 juin : un dépouillement devant l’église Saint-Bernard à Barbès. « Un symbole fort. »
Yasmine Mrida
Photo : Dario Nadal
*les prénoms ont été modifiés