À 4h32, sur les marches de la Gaîté Lyrique, une militante annonce que l’arrivée de la police est imminente et demande à ce que les soutiens forment des cordons autour du bâtiment. Le préfet de police avait pris lundi un arrêté ordonnant l’évacuation du lieu occupé par ces jeunes exilés depuis le 10 décembre 2024. Brutale, l’expulsion a fait plusieurs blessés et a remis à la rue des centaines de jeunes sans-papiers.
Les demandes d’hébergement sont notre priorité, ne l’oublions pas
C’est vers 5 heures que les camions des forces de l’ordre arrivent et encerclent le périmètre de la Gaîté Lyrique. Un accompagnateur du collectif de Belleville s’adresse à un groupe d’occupants.
« Les demandes d’hébergement sont notre priorité, ne l’oublions pas. Il n’y a rien à gagner à se faire frapper par la police, seulement un risque d’aller en garde à vue ou de recevoir une OQTF (Obligation de quitter le territoire français). On reste ensemble et tranquilles, en retrait », appelle-t-il, calmement.
Arrivée de la police et premières charges
Sur le parvis, des jeunes sortent leurs affaires de la Gaîté Lyrique dans des gros sacs pour les rassembler. « Vous participez à un attroupement. Veuillez quitter les lieux », entend-on à travers un mégaphone. C’est à 5h44 que la première sommation retentit. « Nous allons faire usage de la force », prévient un officier. Sans entendre une deuxième sommation, la foule se fait charger violemment par les effectifs de CRS sur place. Deux minutes plus tard, les forces de l’ordre sont sur le parvis du bâtiment et trois nasses sont formées : devant, sur le côté droit et gauche de la Gaîté Lyrique.
Un homme aux cheveux gris, venu en soutien, est blessé au crâne et présente des saignements. Il est 5h52 et les tensions montent entre des militants et la police. Parvenant à contourner le parc faisant face à l’établissement, nous arrivons de l’autre côté. Un membre de la préfecture discute avec sa collègue, « T’en as attrapé quelques-uns derrière ? », lui demande-t-il nonchalamment.
Les jeunes sont consternés. « Comme vous voyez, nos sacs et nos affaires sont restés là-bas. On nous violente et on est obligés de rester ici pour attendre de les récupérer, on ne sait pas ce qu’il va se passer », s’inquiète un mineur isolé.
Des négociations stériles
Pendant près de trois heures, la situation n’évolue pas et il est difficile de comprendre en détail ce qu’il se passe sur le parvis. Le soleil se lève et semble redonner de la force aux soutiens présents qui scandent inlassablement des slogans. Le froid se fait en revanche plus agressif. La ville et le quartier se réveillent et des bus et des vélos commencent à circuler sur le boulevard de Sébastopol.
Alors que des centaines de jeunes et militants sont toujours nassés devant la Gaîté et sur les côtés, des membres de la préfecture portant des brassards rouges font des allers-retours entre le parvis du bâtiment et les cordons de CRS qui bloquent le périmètre. Ils assurent les négociations. Des propositions d’hébergement sont faites, comme celle d’aller vers un centre d’accueil temporaire, dit SAS, à Rouen pour trois semaines seulement.
« S’ils nous envoient loin de Paris, comment on va faire quand nos recours évolueront ? C’est dingue de ne pas prendre ça en compte », peste un jeune du collectif qui attend sur le côté.
Un léger mouvement de foule et des slogans indiquent la présence de Frontières, un média d’extrême-droite. Les militants tentent de faire quitter les lieux à ses journalistes. Depuis le début de l’occupation, la presse et des groupes d’extrême droite ont ciblé et parfois menacé les jeunes.
On est venus pour travailler, on veut juste obtenir nos droits !
Le 14 janvier, le journal britannique conservateur The Daily Mail avait publié un article mensonger et désinformé à propos de leur situation. Relayé par un tweet d’Elon Musk, il y figurait notamment de fausses rumeurs de violences sexuelles au sein de l’occupation. « On est pas des violeurs, on est pas des criminels ! On est venus pour travailler, on veut juste obtenir nos droits ! », s’écriait justement un jeune quelques instants plus tôt.
Une dispersion violente et le désespoir en fin d’expulsion
C’est à 8h50 que la police charge violemment les militants et les jeunes. Les cordons de CRS chargent côté Boulevard de Sébastopol. Des jeunes, déjà épuisés, s’effondrent au sol. Certains reçoivent du gaz lacrymogène en plein visage et quelques personnes perdent conscience. Les cris d’appel au soin se font entendre. Un jeune homme ne parvient plus à parler et se met à trembler.
Les dosettes de sérum physiologique circulent à toute vitesse pour calmer les brûlures aux yeux. « Mais qu’est-ce qu’on a fait pour mériter ça ?! », crie un jeune dans une colère désespérée, « Vous voulez nous tuer ! », crie un autre occupant. Les mineurs sont à bout, les larmes aux yeux, ils tentent tant bien que mal de ramasser leurs affaires et de se consoler en s’étreignant.
La France, ça ne devrait pas être ce qu’on voit ce matin
Assa Traoré, venue en soutien, décrit avec effroi cet acharnement. « C’est insoutenable. Ce sont juste des jeunes qui demandent à survivre, parce qu’on ne peut même pas parler de “vivre” dans les conditions dans lesquelles ils sont. La France, ça ne devrait pas être ce qu’on voit ce matin : une armée de CRS, de policiers et de gendarmes face à des jeunes », affirme-t-elle.
Les charges continuent et un des membres du collectif s’écroule au milieu de la voie. Ses cris glacent le sang : sa jambe a été percutée par un vélo. Les CRS forcent le passage et bousculent le groupe qui se forme autour de lui, alors qu’il est à terre. Inévitablement, le collectif se disperse, des petits groupes de quelques dizaines de jeunes se forment. Les soutiens et les militants leur conseillent de rester en retrait et d’éviter toute proximité avec la police.
De rassemblement en rassemblement, rester groupés pour se protéger
Il est 9h40, le périmètre autour de la Gaîté Lyrique est peu à peu évacué pour diminuer les risques d’interpellation des jeunes du collectif. Un petit groupe se dirige vers la Bourse du travail, puis vers République où deux troupes de CRS arrivent pour forcer les jeunes à se disperser et éviter toute occupation ou rassemblement. Plusieurs camions circulent autour de la place.
Dans l’urgence, il faut déjà prendre des décisions. Ne pas rester seul semble être le mot d’ordre principal dans l’attente de réponses, de solutions. Les principales ressources matérielles des mineurs reposent sur la cagnotte du collectif de Belleville, alimentée par des dons.
La maire de Paris, Anne Hidalgo, a jugé cette évacuation nécessaire sur France inter le matin même. « À ce stade, c’est ce qu’il fallait faire parce que la situation était très compliquée, tendue et dangereuse à l’intérieur, y compris pour ces jeunes migrants », a-t-elle déclaré. Et d’assurer que la mairie de Paris avait essayé « de convaincre la préfecture de police et la préfecture de région, dont c’est la compétence, d’offrir des places d’hébergement ».
Sur France info, Léa Filoche, adjointe à la maire de Paris chargée des solidarités et de l’hébergement d’urgence, a, elle, affirmé que la mairie n’était pas dans « un soutien à l’évacuation ». L’élue a assuré que la mairie de ne disposer pas de places d’hébergement suffisantes pour ces jeunes.
Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a salué sur ses réseaux sociaux la fin de cette « situation inacceptable ». « L’État a pris ses responsabilités (…) malgré la réticence de la Mairie de Paris, propriétaire des lieux, à demander cette expulsion. »
De leur côté, les jeunes de la Gaîté Lyrique se retrouvent à nouveau en errance dans Paris, jusqu’à la prochaine initiative de secours imaginée par le collectif…
Louise Copeaux-Sanchez
Photo : Lilia Aoudia