Vous avez sûrement entendu parler du burn-out, syndrome d’épuisement physique et psychique lié à une surcharge de travail intense ; peut-être du bore-out, l’épuisement associé à un manque de travail entraînant un ennui maladif. Mais connaissez-vous le brown-out ? Cette expression anglaise signifie littéralement « baisse de courant » psychique. Maladie dite de l’absurde, cette baisse de régime est liée à la quête de sens dans son travail par rapport à soi,et à la culture de son entreprise. Le phénomène n’est pas nouveau mais il a été formalisé en 2013 par l’anthropologue américain David Graeber. Celui-ci explique que le progrès technologique a fini par créer des métiers inutiles.

Dans un monde qui va à mille à l’heure, il n’est pas toujours facile de prendre du temps pour faire le point avec soi-même et de s’interroger sur le sens que nous souhaitons donner à notre travail et plus globalement à notre vie. En apparence, on peut avoir un job stable, un salaire relativement correct, des vacances nombreuses mais si on se lève tous les matins pour une cause qui nous semble inutile, voire en inadéquation avec nos valeurs, comment pouvons-nous être heureux ? C’est un phénomène complexe ayant des origines et des symptômes multiples. A travers les expériences de Laura, Mohammed et Pierre, nous allons comprendre que cette souffrance a pour dénominateur commun la perte de sens.

Laura, 26 ans, travaille dans le domaine des ressources humaines. Depuis sept mois, elle a quitté Bordeaux pour travailler à Paris. Et y vivre un véritable calvaire : « Avant, j’étais carriériste, j’avais envie de faire de grandes choses, de progresser… Là, je suis juste dégoûtée. Chaque jour, je me rends compte que je m’enferme un peu plus dans la prison ‘métro, boulot, dodo’… ». Elle me traduit sa frustration et m’explique ne plus supporter être derrière un écran toute la journée. Elle exerce des tâches répétitives : « J’ai fait cinq ans d’études pour finalement remplir des cases et faire des copier-coller toute la journée, j’organise des réunions auxquelles je ne participe même pas, rien de stimulant intellectuellement ». Ce qui n’est pas sans rappeler l’adage de Karl Marx décrivant l’aliénation où « l’Homme devient une simple machine à produire la richesse pour autrui, écrasée physiquement et abrutie intellectuellement. ».

Je regarde les minutes et les secondes passer

Le brown-out se manifeste également par la perte de repères dans la structure de l’entreprise. C’est le cas dans les grands groupes où l’employé n’est plus qu’un maillon dans la chaîne de production. Il n’y a plus de motivation, plus de sens, plus d’intérêt. Laura a d’ailleurs le sentiment de ne plus être appréciée à sa juste valeur et dans son individualité : « Pour moi, je suis juste un numéro parmi tant d’autres ». Dans les entreprises où les objectifs sont de plus en plus fragmentés et les tâches parcellaires, il arrive que l’employé ne comprenne même plus l’intérêt et la finalité de sa tâche. Laura est d’ailleurs incapable de répondre à la question : « Qu’est-ce qui est important pour toi dans le fait de faire ce job ? »

Elle n’a qu’une hâte, que cela se termine. « Je regarde les minutes et les secondes passer, raconte-t-elle. Quand je sors du travail, je me sens libérée. » Face à cette situation, elle a pourtant décidé de se résigner et de rester : « Je veux acheter un appartement et j’envisage de me concentrer sur ma vie de famille plutôt que dans mon boulot, parce que je n’y trouve aucun épanouissement ».

Un autre cas de figure suscite le brown-out, c’est l’erreur d’orientation remontant aux études supérieures. C’est l’erreur de casting car par extension, la personne ressent de l’incohérence et n’utilise pas son potentiel. C’est ce qui s’est passé pour Mohammed, originaire de Sarcelles, lorsqu’il a intégré le milieu du conseil et de la finance. « Depuis ma deuxième année de licence d’économie, j’ai compris que cet univers n’était pas fait pour moi, éclaire-t-il. Jusqu’à présent, on avait décidé à ma place. Je n’étais pas assez lucide sur la situation et les choix qui s’offraient à moi. ». Il explique s’être orienté dans cette voie à cause de la pression du marché du travail et la volonté inconsciente de rendre fier son père. En filigrane, on comprend que la quête du confort matériel et d’une image de réussite sociale ont joué aussi : « A défaut de savoir ce que je voulais, j’ai décidé de suivre le même chemin que les élites plutôt que de faire le point et de me poser les vraies questions. »

Des réunions, des Powerpoint… Et si peu de reconnaissance

Passionné de philosophie et animé par l’humain, Mohammed a le sentiment de ne pas être dans sa zone de talent ni à sa place. « C’est très frustrant, c’est comme si une partie de moi-même se sentait ignorée, étouffée dans ses élans ». Au-delà du travail, il déplore ressentir un fossé entre ses valeurs et ses tâches quotidiennes : « Mon job ne permet pas de m’accomplir ni de répondre à mes besoins de développement personnel ». Que se passe-t-il alors ? Il se met à énumérer les symptômes à la fois psychiques et physiques qu’il ressent : « Angoisses, paralysie, manque de motivation, agoraphobie, perte d’énergie, perte de confiance et irritabilité ». Aujourd’hui, ce consultant expérimenté arrive à mieux gérer ses états d’âme. C’est une envie beaucoup plus ferme et assumée qui le pousse à vouloir changer les choses « car le temps est précieux et n’est pas infini ». La notoriété et le salaire ne suffisent plus à son épanouissement. Il m’explique vouloir lâcher son job à travers à une reconversion professionnelle. « Peut-être pas de manière brutale parce que j’essaye de réconcilier mes aspirations les plus profondes avec la réalité du quotidien. » Pour initier sa démarche, il me confie timidement s’être inscrit en licence de philosophie dès la rentrée prochaine. Pour lui, le brown-out, c’est comme « demander à un poisson de grimper à un arbre ».

Pierre pourrait souscrire à cette comparaison. Lui a déchanté à cause de la qualité de ses missions. C’est en sixième année de pharmacie, qu’il effectue en alternance dans un grand laboratoire, qu’il réalise qu’on lui confie « des tâches ingrates. » Son activité ? « Réunions à gogo, copier-coller par ci, Powerpoint par là », en écho à celle de Laura. Il insiste en disant : « Je ne me sentais pas intégré, ni investi ». A cela s’est ajouté un environnement de travail pesant et un manager dont la reconnaissance n’est pas le point fort : « Je me tuais à la tâche pour rien ! Ce n’était jamais bien et même quand c’était bien, on ne te disait rien. Du coup, je me suis complètement détaché, sinon je ne vivais plus. »

Il comprend vite que la situation lui échappe et que le mal-être le ronge : « Tous les dimanches, à partir de 16 heures, j’avais la boule au ventre en pensant à lundi, j’étais anxieux et je dormais mal ». Pour lui, le brown-out a été synonyme d’isolement : « Je me mettais dans un coin et je n’avais même plus envie de m’intégrer, de manger avec mes collègues, je voulais juste qu’on me laisse tranquille ». Suite à cette expérience et après 7 ans d’étude pharmaceutique, Pierre a décidé du jour au lendemain, de ne plus subir ce quotidien. Alors qu’il avait à peine commencé sa vie professionnelle, il a pris le contre-pied de son projet initial. Aujourd’hui, son projet est différent : il veut « devenir son propre patron et ouvrir un commerce dans la restauration. » Morale de l’histoire selon Pierre ? « Gagner de l’argent c’est bien mais être heureux c’est mieux. » 

Houda HAMROUNI

 

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