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Les tags hostiles envers la police ont été effacés des murs mais les souvenirs du fait-divers restent gravés dans les mémoires. Il y a un an, le 2 février 2017, Théodore Luhaka, un jeune habitant d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), était grièvement blessé lors d’un contrôle de police dans la cité des 3 000. Une interpellation violente au cours de laquelle un policier a fait usage de sa matraque télescopique pour, selon lui, déséquilibrer et maîtriser le jeune homme. Mais le coup porté à hauteur des fesses de Théodore occasionne à ce dernier une lésion de 10 centimètres de profondeur. L’Aulnaysien de 22 ans et ses proches n’hésitent pas à parler d’un « viol« . La justice, elle, doit trancher sur l’intentionnalité du geste du policier.

Les quatre agents des forces de l’ordre impliqués ont été mis en examen, trois pour violences volontaires en réunion et le dernier, l’auteur du coup de matraque, pour viol. Très rapidement, « l’affaire Théo » est devenue le symbole des violences policières et a accentué les tensions entre habitants des quartiers populaires et forces de l’ordre.

« On en a ras-le-bol des cowboys ! »

« Ce qu’ils ont fait à Théo est inadmissible. Ils lui ont pris sa dignité au gamin« , lance un habitant des 3 000 croisé près de l’emblématique bâtiment du Galion. « On en a ras-le-bol des cowboys !« , poursuit le trentenaire. « Normalement, les policiers sont là pour nous protéger et c’est eux qui nous font du mal », estime Driss, 17 ans. « Je ne dis pas qu’on est tous des anges (…) et qu’il n’y a que des mauvais policiers. Mais chez nous, ce sont les mauvais qui règnent. Certains nous provoquent : ils passent en voiture, ils s’arrêtent à ta hauteur et ils vont faire un geste ou avoir des paroles déplacés. Ils te tutoient. Et si tu réponds, ils vont descendre, ils peuvent t’embarquer au commissariat. Tu ne peux rien faire« , ajoute l’adolescent qui indique n’avoir jamais connu de rapports sereins avec les gardiens de la paix.

Lui ne comprend toujours pas comment ce drame a pu arriver à Théo, une figure du quartier qui n’avait jusqu’à ce 2 février aucun antécédent avec la police. Suite au coup qu’il a reçu, l’Aulnaysien de 22 ans ne peut plus jouer au football, sport dont il rêvait de faire son métier. Théodore a dû subir plusieurs interventions chirurgicales et porte toujours une poche médicale.

Driss, 17 ans, habitant de la cité des 3 000 à Aulnay-sous-Bois

« Les rapports avec la police ? Ça a toujours été des rapports de force« , analyse Yasmine*, 25 ans. La jeune femme, de petite taille, dit n’avoir jamais subi personnellement de contrôle de police qui dégénère, « peut-être car c’est une femme« , mais ce n’est pas le cas de ses frères. « Il y a quelques années lors d’une sortie au parc, en famille et avec des amis, des agents ont voulu contrôler nos papiers d’identité. L’un des amis de mon frère, âgé de 14 ans à l’époque, n’avait pas sa carte sur lui. Le ton est monté assez rapidement, mon frère s’est interposé. Une policière a alors collé son visage contre le sien et lui a craché dessus, sous les yeux de notre mère« , raconte l’habitante de la cité des Mille-Mille. « Mon frère s’est fait arrêté, il a été en garde-à-vue pendant 48 heures et il est ressorti avec des hématomes. Ma mère voulait qu’il porte plainte mais mon frère a refusé (…). Cet épisode m’a marqué et j’ai grandi avec la crainte de la police« , poursuit-elle.

Yasmine*, habitante de la cité des Mille-Mille à Aulnay-sous-Bois

Trois des quatre policiers réintégrés

Un an après l’affaire Théo, les habitants d’Aulnay-sous-Bois attendent le verdict de la justice. Parmi les jeunes rencontrés, beaucoup n’ont que « peu d’espoir » de voir les policiers incriminés être condamnés. « Les policiers qui ont fait ça à Théo où sont-ils ? Ils sont dehors, ils sont libres. Vous imaginez si moi, je fais la même chose à quelqu’un d’autre ? Le lendemain, on vient me passer les menottes et on m’emmène au commissariat. Ça aurait été normal. Là, c’est un autre scénario et c’est dommage« , considère par exemple Issam, 21 ans. Et de poursuivre : « S’il y a une bavure policière et que l’agent n’est pas incarcéré, les choses ne vont pas changer« .

Placés sous contrôle judiciaire, trois des quatre policiers mis en cause dans l’affaire Théo ont été réintégrés, cet été, par leur hiérarchie sans être affectés à des missions de terrain : l’un en Seine-Saint-Denis, mais pas à Aulnay-sous-Bois. Un autre a été muté en province. Le troisième, lui, aurait refusé sa réintégration et aurait changé de métier. Quant au quatrième agent, l’auteur du coup de matraque, il est toujours interdit d’exercer la profession de policier et de se rendre dans le 93. Une confrontation doit bientôt avoir lui entre les deux parties.

Restaurer la confiance et renouer le dialogue

Symbole des crispations entre habitants et forces de l’ordre, l’antenne du commissariat installée en plein cœur de la cité des 3 000 a baissé pavillon depuis l’éclatement de l’affaire Théo. En décembre, le maire Les Républicains d’Aulnay-sous-Bois, Bruno Beschizza a lancé une « brigade de contact » (BCLP) au sein de la police municipale. L’objectif ? Renouer le dialogue entre gardiens de la paix et population, en particulier les jeunes. Une sorte de « police de sécurité du quotidien » avant l’heure. Cette dernière avait été promise par Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle et sera expérimentée dans une quinzaine de ville en France, dont Aulnay-sous-Bois.

L’antenne du commissariat en plein cœur de la cité des 3 000 à Aulnay-sous-Bois est fermée depuis le début de l’affaire Théo.

Si la vie a repris son cours à la Rose-des-Vents, il y a un avant et un après Théo dans l’esprit des habitants. « Ma mère a peur. Elle me dit de faire attention quand je croise la police, d’essayer de ne jamais me retrouver seul« , confie Driss. L’adolescent de 17 ans estime que la situation n’a pas changé depuis un an et n’attend pas grand chose de la police de sécurité du quotidien. « Les policiers continuent de tourner, ils miment des gestes et font référence à Théo« , raconte-t-il. « Les policiers ne font plus la différence entre jeunes lambda et dealers… Malgré l’affaire Théo, les contrôles sont toujours aussi brutaux. Il y a besoin de changer de mentalité, d’approche. Tous les jeunes ne sont pas des voyous et tous les policiers ne sont pas des pourris« , insiste un papa de 35 ans qui souhaite garder l’anonymat.

Même en cas de tracas, Driss et Yasmina, ainsi que beaucoup d’autres jeunes interrogés, ne se voient pas appeler la police ou aller au commissariat porter plainte. Preuve, s’il en fallait, qu’il faudra du temps mais qu’il est nécessaire de pouvoir restaurer la confiance des deux côtés.

Eric Arnold NGUENTI et Kozi PASTAKIA

*les prénoms ont été modifiés

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