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Elise Boscherel, 34 ans, est enseignante au lycée professionnel Louise-Michel à Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis). Mercredi 1er mars, en sortie scolaire avec ses élèves, trois d’entre eux sont contrôlés par des policiers à gare du Nord. Elle dénonce ces « humiliations » et souhaite en finir avec ces pratiques. Interview.

Le Bondy Blog : Que s’est-il passé ce mercredi 1er mars ?

Elise Boscherel : Nous étions en sortie scolaire et nous revenions de Bruxelles. Notre groupe était composé de 18 élèves, 5 garçons, 13 filles, et deux adultes dont moi. Il était 20h à notre arrivée en gare du Nord. Nous sommes descendus du train. Un de mes élèves, Ilyas, se fait contrôler. Je me mets à côté de lui pour signifier à l’agent que c’est un élève et qu’en tant qu’enseignante, en sortie scolaire, ce jeune est sous ma responsabilité. Le policier me dit de reculer, ce que je fais. Je demande à mon collègue de regrouper le reste de la classe dans le hall car je souhaite les compter avant que tout le monde parte. Le contrôle se termine sans incident et on repart tous les deux en direction du hall.

Le Bondy Blog : Sauf que d’autres élèves se font contrôler juste après ?

Elise Boscherel : Oui. On arrive dans le hall de la gare et là, je vois deux autres élèves, entourés par trois policiers, qui se font contrôler devant tout le reste de la classe. La scène est surréaliste : le groupe est à deux mètres de leurs deux camarades contrôlés, en demi cercle. Je vois que Mamadou, un des élèves en question, échange vivement avec un policier. Il s’est fait attraper le bras de façon assez vive, fouillé et est tutoyé d’entrée par le policier. Il demande alors à l’agent : »Vous me contrôlez parce que je suis noir c’est ça ? » Le policier lui répond : « On fait notre travail ». J’arrive alors, en colère. Je demande à l’agent ce qu’il fait et je lui dis : « Je n’en peux plus, à chaque fois c’est la même chose, à chaque fois, ces élèves doivent subir ces contrôles ». Il continue à répondre qu’il fait son travail. Zakaria, l’autre élève qui se fait contrôler, est prié d’ouvrir sa valise, à ses pieds, toute la classe assiste à cette scène. J’insiste à expliquer aux policiers que nous sommes en sortie scolaire et je leur demande : « Pourquoi les contrôler eux ? Pourquoi ne pas contrôler d’autres personnes dans cette gare qui était noire de monde. » Là, l’agent me répond : « Puisque vous remettez en question mon travail, je vais remettre en question le vôtre. Si vous ne voulez pas que vos élèves se fassent contrôler, faîtes en sorte d’être devant la classe ». Ce à quoi je réponds : » Mais monsieur, j’avais un autre élève derrière qui était aussi contrôlé. Si vous contrôlez mes élèves à tous les points de la gare, je ne peux pas me dédoubler ! ». Quelques instants plus tard, ce même policier reçoit un appel sur son talkie-walkie. Il raccroche et dit : « Votre élève a un casier judiciaire, on a bien fait de le contrôler ». Ces propos, toute la classe les a entendus. Il fait alors un pas en ma direction et là, les élèves se sont avancés pour me défendre et je les entends dire « Vous ne lui parlez pas comme ça« . Le ton monte, je sens que ça peut partir très vite. Je me retrouve derrière mes élèves. Là, je demande à la classe de me suivre et nous quittons les lieux.

Le Bondy Blog : Comment expliquez-vous ces contrôles ?

Elise Boscherel : Pour moi, ils sont sans aucun doute liés à l’origine de mes élèves. Trois jeunes hommes, Ilyas est d’origine marocaine, Mamadou, d’origine malienne et Zakaria est d’origine comorienne. Je regarde autour de nous, et je ne vois personne d’autre contrôlé alors que la gare est pleine de monde. Sur les cinq garçons présents ce jour pour cette sortie scolaire, trois sont contrôlés. Ils représentent à eux seuls ce que beaucoup appellent les « jeunes de cité ». Quelles autres raisons pouvaient justifier ces contrôles d’identité ? Cette réalité-là, je ne la vis pas, moi, professeure, blanche, jamais contrôlée, jamais jugée, jamais discriminée en raison de la couleur de ma peau. On fait de ces jeunes des présumés coupables juste par leur apparence.

Le Bondy Blog : Vous souhaitez donner une suite à cela ? Judiciaire par exemple ?

Elise Boscherel : Nous sommes en train de voir ce que nous pouvons faire en termes d’actions judiciaires oui et nous nous sommes rapprochés d’un avocat avec les trois élèves concernés par le contrôle en gare du Nord de retour de Bruxelles. Mamadou commence d’ailleurs à trouver ces situations insupportables. Il m’explique qu’à certaines périodes de l’année, il se fait contrôler deux fois par jour. Cette situation n’est pas tenable, ce n’est pas possible. J’ai tenté, le lendemain des contrôles en gare du Nord, jeudi 2 mars, de déposer plainte au commissariat de Saint-Denis.

Le Bondy Blog : Tenté ?

Elise Boscherel : Oui, car le commissariat de Saint-Denis a refusé d’enregistrer ma plainte. L’agent, une femme, qui a d’ailleurs été très désagréable, m’a répondu : « je ne prendrai pas une plainte contre un collègue ». Elle m’a dit de le faire directement auprès de l’IGPN.

Le Bondy Blog : Ce genre de situation, des contrôles de vos élèves pendant les sorties scolaires, est fréquente ?

Elise Boscherel : Oui, c’est pour cela que j’en parle aujourd’hui car la répétition de ces situations d’humiliations est insupportable. Il s’agit de contrôles de police, de contrôles d’agents de la RATP, de certains employés dans les musées qui ont un air condescendant envers les élèves ou d’adultes qui ont des comportements mal intentionnés. Il y a deux ans, nous nous rendions en sortie au musée de l’Immigration. Arrivé à gare du Nord, un élève est contrôlé par quatre, cinq policiers. Là aussi, j’étais avec le reste du groupe, et cet élève est fouillé devant nous tous. Les agents disent qu’il s’agit simplement d’un contrôle. C’est mon élève qui me calme et qui me dit : « Ne vous inquiétez pas madame ». C’est insensé ! Il n’avait évidemment rien fait. Autre anecdote : cet élève, qui dans le train à l’aller pour nous rendre à Bruxelles, demande où est sa place, et le contrôleur lui répond sèchement en le tutoyant : « T’as qu’à chercher ! » C’est comme ça tout le temps. Ces sorties scolaires, censées être source de plaisir, deviennent beaucoup trop stressantes et épuisantes. Dès que ces élèves sortent de leurs quartiers, tout est compliqué. A croire que l’on voudrait qu’ils restent chez eux.

Le Bondy Blog : Pour vous, ces sorties scolaires deviennent beaucoup trop compliquées ?

Elise Boscherel : Exactement. Je fais cet appel aujourd’hui car je veux que les gens comprennent que nous ne pouvons plus accepter ces situations, qu’il n’est plus possible d’organiser des sorties scolaires en raison de ces humiliations. Je suis la première à considérer que l’école doit sortir, que la pédagogie se fait aussi à travers les sorties culturelles, mais quand on voit le niveau de stress que c’est… Je veux aussi faire comprendre aux élèves que quand on vit une injustice, une discrimination, il faut la dénoncer. Je veux la dénoncer pour mes élèves.

Le Bondy Blog : C’est donc aussi une question de représentation de ces fameux « jeunes de banlieue » que vous pointez à juste titre ?

Elise Boscherel : Bien sûr. Ce qui me marque c’est le décalage entre la manière dont certains médias racontent « ces jeunes de banlieue » comme ils disent et ma réalité comme enseignante. Nous avons une relation privilégiée avec eux, on les voit tous les jours. On les gronde, on les encadre. On a évidemment un regard bienveillant sur eux car on souhaite leur réussite comme tout enseignant, on souhaite qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes, mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’enfants. Beaucoup parlent de besoin d’autorité dans les établissements dits difficiles mais moi, aucun ne me fait peur, aucun n’a le dessus sur moi, l’autorité, ils n’ont pas de problème avec, ils l’acceptent. Ce sont des ados qui parfois se rebellent, parfois agités, parfois difficiles en groupe notamment, mais ce sont des jeunes qui entendent raison. Le problème, c’est qu’on on leur enlève toute normalité.

Le Bondy Blog : Vous demandez quelque chose de précis ?

Elise Boscherel : Mon devoir est de protéger mes élèves et de leur permettre de participer à des sorties scolaires comme n’importe quel élève, en toute quiétude. Nous en tant qu’enseignants, nous n’avons pas d’autorité sur les policiers, mais les élèves sont sous notre responsabilité. Je souhaite que dans le cadre scolaire, lorsque nous sommes en sortie, qu’il n’ y ait aucun contrôle d’identité. Je souhaite que lorsqu’un policier souhaite faire un contrôle à l’un de nos élèves, il interrompe son action dès lors qu’il sait que c’est une sortie dans le cadre de la scolarité. Je demande à rencontrer la ministre de l’Éducation pour qu’une circulaire soit prise dans ce sens de sorte que plus aucun contrôle policier dans le cadre scolaire, notamment durant les sorties, ne soit possible.

Propos recueillis par Nassira EL MOADDEM

Crédit photo illustration: Fred DUFOUR/AFP

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