Le Bondy Blog : On ressent une certaine forme de violence, une sorte de règlement de compte, de vengeance à l’égard de tous ceux qui, de près ou de loin, vous ont fait subir un calvaire à cause de vos rondeurs. Ce livre est-il un exutoire de cette colère ?
Gabrielle Deydier : De mon expérience personnelle, les gens n’en ont rien à faire des gros. On se prend dans la figure des réflexions du genre : « Elle n’a qu’à arrêter de bouffer, elle va courir et elle nous lâche ». Il n’y a aucune vengeance personnelle dans mon livre à l’égard de qui que ce soit. L’ironie fait partie de ma nature, de ma manière d’écrire, mais elle ne vise personne en particulier. Je veux juste pointer du doigt les fausses idées que l’on a sur les gros et le traitement auquel ils ont droit en société. Ce n’est pas dans le livre, mais selon l’Organisation Internationale du Travail, dans ses études sur l’embauche, une femme grosse est huit fois moins employable qu’une femme qui ne l’est pas, un homme gros trois fois moins. Un smicard sur quatre est obèse ; chez les RSA , le taux d’obésité passe à 30 %. Ça démontre que l’obésité, c’est aussi une maladie de la société, de la pauvreté.
Le Bondy Blog : Quel est le but de votre enquête ?
Gabrielle Deydier : Le bouquin, je ne l’ai pas pensé comme une étude sociologique, le but était de dire aux gens ceci : je vais vous conter une histoire, la mienne, mais comme mon histoire ne suffira pas, je vais l’étayer avec une enquête, parce que je suis moi-même grosse et je vis cette discrimination au quotidien. Je ne suis pas une militante associative, et je n’appartiens pas à une quelconque association féministe. Je veux poser les jalons d’une réflexion plus saine sur ce sujet. À chacun ensuite de se faire sa propre interprétation. Oui, il y a une grossophobie dans le milieu médical. Oui, la plupart des gens méconnaissent ce que l’on ressent quand on est gros. L’idée était de vulgariser le sujet, de le rendre plus accessible afin de créer l’empathie chez le lecteur et qu’il soit mieux informer.
Le Bondy Blog : Votre livre suscite chez certains passion et remous, comment l’expliquez-vous ?
Gabrielle Deydier : Quand je suis face à une personne qui a été opérée pour perdre du poids et que je parle de la manne financière que ça représente pour les hôpitaux, du taux de mortalité qui est énorme, du taux de suicide qui est multiplié par 4, et que le taux de reprise de poids s’élève de 20 à 40 % selon l’opération, ces personnes-là ressentent ma démarche comme une remise en cause de leur cheminement, forcément ça peut irriter mais je veux juste amener un peu de bon sens en expliquant les tenants et les aboutissants de la chirurgie bariatrique et de ses comparses. Il y a des choses qui méritent d’être abordées avant de se faire opérer. Ce n’est pas bénin de se faire enlever 90 % de son estomac. Je ne suis pas en lutte contre la chirurgie bariatrique mais contre ses dérives et les mensonges qui l’entourent parfois.
Le Bondy Blog : La grossophobie est-elle un sujet sous-représenté dans le débat public en France ?
Gabrielle Deydier : Si médiatiquement, ça a l’air de passer nickel, dans la population c’est moins le cas. Il y a un décalage entre la réception médiatique que j’ai pu avoir pour mon livre et la réalité de ce que les gens pensent. J’ai reçu beaucoup de messages violents sur les réseaux sociaux concernant mon poids, me disant que j’étais repoussante et bonne à rien. Il y a une ostracisation des personnes grosses dans les différentes couches d’activités et de la société, c’est ce que j’explique dans mon bouquin, après libre à chacun de se faire sa propre opinion. On va dire que c’est un bon commencement pour changer les mentalités mais que les moyens déployés ne sont pas suffisants.
Le Bondy Blog : Dans le livre, on comprend que c’est votre famille qui entérine chez vous le fait d’être grosse.
Gabrielle Deydier : Hélas, oui ! Le premier lieu de grossophobie, c’est la maison. Avec ma mère, on en a beaucoup discuté. Ma mère est anorexique donc tout ce qui n’est pas maigre est gros pour elle. Avant d’écrire le livre, je voulais que tout soit clair avec mes parents, je ne reproche rien à mes parents, c’est pour cette raison que je ne les blâme pas et que je leur fais une dédicace au début du livre. Ils n’étaient pas armés pour ce qui se passait dans ma vie et ils ont fait ce qu’ils ont pu avec les moyens à leur disposition. Ils viennent de très loin et ont vécu chacun de leur côté des expériences douloureuses. Je ne tiens pas à les accabler.
Le Bondy Blog : Les témoignages que vous rapportez concernant votre traitement dans le milieu médical sont édifiants.
Gabrielle Deydier : Honnêtement, j’aurais aimé exagérer ! (rires). Avec mes éditeurs, nous avons décidé d’écrémer sur beaucoup de sujets car nous avions peur que les lecteurs ne nous croient pas. Je me souviens d’une endocrinologue qui m’a demandé de ne plus revenir après avoir vu mon attestation d’aide médicale gratuite. Je lui ai demandé pourquoi, elle m’a juste répondu : « Vous êtes là, tant pis, mais ne revenez pas ». J’ai vécu plein d’autres situations du même genre. C’était juste surréaliste. Le milieu médical est un univers qui pue le fric.
Le Bondy Blog : Le mot « grossophobie » a été introduit dans les années 90 par Anne Zamberlan, à qui vous dédiez votre livre. Pouvez-vous nous en dire plus sur sur cette actrice française ?
Gabrielle Deydier : J’avais des souvenirs d’Anne Zamberlan, intervenant dans des émissions télévisées, égérie de Virgin Megastore en son temps, elle m’avait marquée par son courage à assumer son corps devant le monde entier. Je suis tombée sur des bouquins qu’elle avait écrits et je trouvais ça navrant qu’il n’y ait pas eu de livres phares entre le sien et le mien alors que le taux d’obésité a doublé entre mon époque et la sienne. Elle est morte tôt d’une embolie pulmonaire. J’étais très émue car elle a pris la parole à une période où les gros étaient beaucoup moins présents sur la scène médiatique. J’ai senti le devoir de lui faire un clin d’œil parce que, mine de rien, elle a initié quelque chose même si ça n’a pas été suivi par la suite.
Le Bondy Blog : Que comptez-faire désormais ?
Gabrielle Deydier : Grâce au livre et à son écho médiatique, on m’a racheté les droits pour en faire un téléfilm. le tournage commence à l’automne. Il sera diffusé sur France 3 avec un débat sur la question. J’ai été aussi contactée par une grosse boîte de production pour la réalisation d’un documentaire sur le sujet.
Propos recueillis par Jimmy Saint-Louis