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Historique. Les Lions de l’Atlas affrontent les Bleus, ce mercredi 14 décembre. « La France, c’est le pays où on vit, et le Maroc, c’est notre pays natal. Donc on soutient le Maroc », annonce Joseph, 77 ans, dont plus de cinquante passés en France. Mokran et Ahmed, ses amis de longue date, acquiescent.

Soutenir le Maroc. Le choix est arrêté pour le groupe de chibanis de Metz qui tient ses quartiers dans le centre commercial du cœur de ville. « L’équipe du Maroc fait l’honneur de tout le Maghreb, et de l’Afrique en général. C’est la première fois qu’une équipe africaine arrive à ce niveau », rappelle fièrement Joseph.

Les vaines injonctions à choisir entre la France et la Maroc

Pour ces trois retraités du secteur de la confection, les nombreuses décennies passées dans l’hexagone n’auront donc pas suffi à les convaincre de soutenir les Bleus. Ils se désolent par ailleurs des débats fielleux enclenchés après l’annonce du France-Maroc.

Moins de 24 heures après les victoires respectives du Maroc et de la France, Éric Zemmour lance les hostilités, déplorant de voir des gens « franco-marocains » se dire « unanimement pour le Maroc ». Sur les plateaux télé et les réseaux sociaux, la droite et l’extrême-droite somment les Franco-marocains de faire un choix.

Mais les chibanis messins font peu de cas de ces injonctions. « J’ai entendu une femme parler à la télé, une Française d’origine marocaine », raconte Joseph. « Elle disait “que le meilleur gagne” et elle a raison ! » Mokran a longtemps joué au foot. « Même sans ballon, on jouait avec une boîte de sardines », se rappelle-t-il et de balayer les débats imposés : « C’est un sport, c’est la technique qui devrait être importante, pas la politique ».

«On ne se pose pas autant de questions pour un France-Belgique »

50 ans les séparent, et pourtant Mounir est du même avis. Franco-marocain fraîchement naturalisé, il se définit comme un Français à part entière. Mais soutenir la France au détriment de son pays natal, c’est une autre histoire. « Il me manque encore ce lien émotionnel avec la France. Je ne saurais pas dire pourquoi, je le ressens, mais je ne peux pas l’expliquer. »

Ce qui prime, pour lui, c’est le match, la technique, la performance. « L’enjeu du match, il est sur le terrain. Ce sont deux bonnes équipes qui vont s’affronter, point. On ne se pose pas autant de questions pour un France-Belgique », remarque Mounir.

Pour les jeunes, cette victoire représente quelque chose de nouveau

Pas loin de là, à l’École des Sports et des Activités Physiques de Metz Borny, Hakim Boulkaraa est serein lui aussi. « Pour les jeunes, cette victoire représente quelque chose de nouveau », observe l’éducateur sportif de 39 ans, en charge des petits du quartier depuis 2004.

Le Maroc est la première sélection africaine à se qualifier en demi-finale du Mondial. Pour la plupart de ses joueurs, « la question ne se pose même pas, c’est le Maroc qu’ils soutiennent. Il y a une rivalité bon enfant entre les nationalités, mais rien de sérieux. Leur priorité, de toute manière, c’est le football. Rien d’autre. »  

Accorder autant de poids aux loyautés sportives des jeunes est absurde, considère Hakim Boulkaraa. « La seule chose qui se joue concrètement, c’est un match de foot. Une personne devrait être libre de choisir le pays qu’elle supporte, sans considération politique. Tout l’enjeu est là. »

L’entraîneur veut rappeler les mots du fondateur de l’école où il officie : « Dans les années 90, Michel Laville disait déjà : la pratique sportive doit servir l’homme et pas les vanités »

«  Si je devais vraiment choisir, ce serait le Maroc, 60-40 »

Amel, franco-marocaine de 24 ans, partage le point de vue de Hakim Boulkaraa sur la prééminence des valeurs. Même si, au fond, ça ne la choque pas tant que ça qu’on attende des jeunes d’origine maghrébine qu’ils soutiennent la France. « C’est compréhensible, on peut penser ça sans être forcément extrémiste. C’est notre pays, on est autant Français que Marocains. » Elle appelle tout de même à plus de bienveillance : « Il faut aussi comprendre le fait qu’on veuille que le Maroc ait son moment ».

Son soutien, d’ailleurs, se partage entre les deux nations. Mais pas de manière parfaitement équitable. « Si je devais vraiment choisir, ça serait le Maroc, 60-40. En France, on a déjà eu deux coupes. » Son compagnon Ayrton, jeune policier de 25 ans, approuve, même si lui soutiendra la France. « C’est vrai que ça serait une belle opportunité pour le Maroc de gagner cette coupe. Moi, je supporte la France, mais on peut soutenir qui on veut. La citoyenneté ne passe pas forcément par l’équipe nationale. »

Les jeunes d’origine marocaine s’identifient à une équipe qui leur ressemble

L’impact de cette affiche dépasse toutefois les frontières du sport pour Kamil, jeune étudiant en droit d’origine algérienne. La rencontre recouvre un aspect géopolitique. « Pays colonisateur contre pays colonisé, forcément, ça crée des tensions. Mais en vrai, ça va au-delà de ces deux pays. C’est une confrontation entre le monde occidental et le monde arabe », estime-t-il.

Sans aller jusqu’à un renouveau du panarabisme, il y a une question d’identité : « Un grand nombre des joueurs du Maroc ne sont pas nés là-bas. Ils sont d’origine marocaine, mais sont nés en Europe. Ils parlent néerlandais, français, même le sélectionneur parle français. C’est pour ça que les jeunes d’ici s’identifient et les soutiennent tant. Ils sont comme eux. »

Dans tous les cas, c’est le bourbier, donc autant soutenir qui tu veux

Au-delà de ces considérations, le jeune étudiant pointe la difficulté pour les concernés de prendre position de manière sereine. « On ne pourra jamais contenter tout le monde. Si quelqu’un soutient le Maroc, on va dire que ce n’est pas un bon Français. Et s’il soutient la France, on va dire que c’est un faux Marocain. Dans tous les cas, c’est le bourbier, donc autant soutenir qui tu veux. »

Quant au pays qu’il supporte lui-même, Kamil n’en est pas encore sûr. « J’aimerais voir la France remporter sa troisième étoile, mais j’aimerais aussi voir le Maroc gagner. Je suis partagé, mais on sera gagnant quoi qu’il arrive. »

Quelle que soit l’issue du match de mercredi soir, Kamil ira sur la place de la ville, klaxonner et brandir un drapeau. Peu importe la couleur de la bannière, peu importe le résultat, ce soir, il fera partie des vainqueurs.

Ramdan Bezine

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