Sur l’Esplanade Charles de Gaulle à Nanterre, il n’y pas foule à l’heure du rendez-vous prévu à 14 heures. Il faudra attendre l’arrivée des premiers jeunes en moto, pour qu’une formation se dessine. Sur le guidon d’un des deux-roues, un t-shirt blanc avec en noir l’inscription “Justice pour Nahel 25/02/2006-27/06/2023”. Sur un autre, un t-shirt noir avec le même message en lettres blanches.
À la tête du cortège, les proches de Nahel conduisent la marche d’un de près d’un millier de personnes jusqu’à la place Nelson Mandela, où l’adolescent de 17 ans a été tué par un policier en juin 2023. La scène filmée par des habitants avait mis à mal la version initiale des policiers et avait provoqué des révoltes urbaines.
Lorsque la mère de Nahel, Mounia Merzouk, parle de « la violence des policiers sur nos enfants », elle parle de « chasse à l’homme ». Dans un discours poignant, elle explique en avoir « marre que nos enfants se fassent frapper, violenter ».
C’est très dur pour moi de savoir que les deux policiers sont dehors, ça me déchire
« La douleur que j’ai, à l’intérieur de moi, est invivable. C’est très dur pour moi de savoir que les deux policiers sont dehors, ça me déchire », témoigne-t-elle. Les traits de son visage s’adoucissent quand elle se met à décrire le caractère gentil et serviable de celui qu’on surnommait « Neh-Neh parce qu’il ne savait pas dire non ». S’ensuivent une prière puis une minute de silence. Le reste de la famille de Nahel est présent aussi. Sa tante, en fauteuil roulant, prend le micro et raconte le « déni » et la « boule au ventre » qu’elle ressent au quotidien depuis un an maintenant. La grand-mère, en larmes, arrive à peine à esquisser quelques mots.
Un sentiment d’injustice et un climat de peur à Nanterre
Un an après, le sentiment d’injustice demeure à Nanterre. Une banderole « le crime paie » rappelle d’ailleurs la cagnotte d’1,6 million d’euros ouverte en faveur du policier qui a tué Nahel. Lequel a été libéré sous contrôle judiciaire après quatre mois de détention provisoire.
L’histoire de la cagnotte est un drame ajouté au drame
« L’enquête avance et on est plutôt confiants sur son issue. Notre position n’a pas évolué, on maintient que le tir était totalement injustifié », indique Maître Nabil Boudi, l’avocat de la mère de Nahel. « Si on devait résumer l’affaire en une question : est-ce que Nahel méritait de mourir à ce moment-là ? La réponse est non. Et l’histoire de la cagnotte est un drame ajouté au drame », commente l’avocat.
Avant de rejoindre le parc où un barbecue est organisé, des fumigènes rouge et vert sont allumés. Puis la marche reprend à coups de slogans tels que “Justice pour Nahel”, “Pas de justice, pas de paix” ou encore “Police partout, justice nulle part”. Un à un, les noms des autres victimes de violences policières sont énumérés : Adama, Yanis, Wanys, Ibrahim, etc.
Un après, rien n’a changé
Des noms qui résonnent chez les amis de Nahel qui vivent dans un climat de peur. « Quelque temps après Nahel, il y a un jeune d’Aubervilliers qui est mort. Rien n’a changé, justice n’est pas encore faite », se désole Soso, 18 ans, qui a grandi avec l’adolescent. Posé sur sa moto qui rend hommage à son « frère », il est venu apporter son soutien à Mounia.
Franchement, quand on voit la police, on a peur
Soso raconte le quotidien que lui et de nombreux jeunes traversent dans les quartiers de Nanterre. « Après la mort de Nahel, on avait tous peur de la police. On ne savait pas ce qui pouvait nous arriver. Aujourd’hui encore, on fait attention quand on sort. Il y a des bons comme des mauvais policiers. Mais à Nanterre, la plupart d’entre eux sont plutôt méchants envers les jeunes des quartiers. »
Un avis partagé par Adam, proche de Nahel : « Dès que je sors de chez moi, j’ai peur de mourir. Les policiers nous contrôlent directement, c’est toujours agressif, ils nous insultent de sale arabe ou ils nous mettent des claques. » À côté de lui, son ami Ali renchérit dans un mélange de tristesse et de colère. « Ça a empiré. La police, ils viennent, ils nous cassent nos téléphones, ils nous tapent. On n’est pas en sécurité. Franchement, quand on voit la police, on a peur. On fuit des fois. »
La solution dans la mobilisation
Cette atmosphère de peur permanente, Soraya la connaît bien. Mère d’un camarade de classe de Nahel, elle le considérait comme son fils. « C’était un enfant de quartier, de centre de loisirs, ils ont grandi ensemble. Pour moi, ce n’est pas juste ce qui s’est passé. Une vie, ce n’est pas un jeu. On ne peut pas ôter une vie parce qu’il y a un délit de fuite. Ça a beaucoup plus de valeur que ça une vie », déplore-t-elle.
Avec une mine à la fois découragée et déterminée, elle développe. « Il y a la prison, il y a la garde à vue, il y a plein de punitions qu’on peut prononcer contre la délinquance, puisque soi-disant, c’était un délinquant. Ce qui m’étonne, parce que la délinquance, pour moi, elle est plus dans la police que dans la rue », détaille-t-elle en appelant tout de même à ne pas faire d’amalgames sur les policiers.
Habituée des manifestations, Soraya dénonce la violence de la BRAV-M et demande la suppression de la loi sur le refus d’obtempérer qui « tue nos jeunes ». Avant 2017, les policiers ne pouvaient faire usage de leur arme qu’en cas de légitime défense, s’ils sentaient que leur vie était mise en danger. Mais sous le mandat de François Hollande, ce cadre légal s’est assoupli pour donner aux policiers la possibilité d’utiliser leur arme lorsque le conducteur était susceptible de mettre la vie d’autrui en danger dans sa fuite.
La persistance des homicides policiers
Selon les derniers rapports de l’IGPN, le nombre de décès suite à une intervention policière est en hausse. En 2022, 22 personnes sont mortes après un tir de la police. Parmi elles, 13 ont été visées suite à un refus d’obtempérer. En comparaison, on comptait deux victimes en 2020 et une en 2021.
Il faut sortir le portable, il faut filmer, ça peut dissuader les policiers
Avec le temps et ce sentiment que rien n’évolue, les familles concernées de près ou de loin par des violences policières ont appris à ne plus compter sur les institutions. Soraya conseille de ne pas fermer les yeux à la vue des contrôles d’identité. « Il faut sortir le portable, il faut filmer, il faut assister du début à la fin, ça peut dissuader les policiers », recommande-t-elle.
Comme elle, Saphia, militante à La riposte antiraciste, appelle à l’unité et au rassemblement. Elle a participé à la co-organisation de la marche avec la mère de Nahel. « L’une des pires choses qui puisse nous arriver, c’est que la mémoire de Nahel tombe dans l’oubli et qu’il devienne une espèce de fait divers, alors que ce qu’il s’est passé, c’est un meurtre d’État raciste », analyse-t-elle.
« Je voudrais rappeler à nos frères et sœurs des quartiers populaires que leur vie compte et qu’ils sont légitimes à s’exprimer, à prendre de la place et à militer. » Des dernières mobilisations contre la réforme des retraites, contre les violences policières dans les quartiers ou encore pour la Palestine, Saphia retient que « la combativité sociale reste ». Elle espère que la contestation pourra continuer à s’exprimer dans le temps malgré la répression de plus en plus forte de ces mouvements.
Lilia Aoudia