Ces trois visages vous sont sans doute familiers… Il y a maintenant trois ans, le Bondy Blog s’était rendu dans une laverie solidaire pas comme les autres, à Garges-lès-Gonesse, dans le centre social Les Doucettes. Là-bas, trois sœurs originaires de Sarcelles, Mariam, Rahima et Aminata Cissokho, ont créé leur projet appelé Laco’Work & Co.
Avec cette initiative, elles ont réinvesti la laverie du centre et l’ont transformé en un tiers-lieu alliant, espace de coworking, cafétéria, et espace jeu pour les enfants.
Notre complicité et notre complémentarité font notre force
Aujourd’hui le projet a énormément évolué. Participation à des concours, organisation d’ateliers liés à l’univers de la laverie, recherche de partenariats… Mais une chose reste inchangée : la solidarité qui règne entre les trois sœurs. « Notre complicité et notre complémentarité font notre force », souligne Aminata.
« Rahima est plus ouverte, c’est elle qui va se charger de l’accueil des personnes et qui s’occupe du service retouche et repassage. Moi, je vais être dans tout ce qui lié à l’administratif. Je cherche des nouveaux partenariats et des subventions. Mariam sera beaucoup plus à l’aise avec les enfants, parce que c’est son métier d’être animatrice », décrit Aminata, directrice de Laco’Work & Co.
Trois années riches en expériences
Depuis l’article publié 2021, le trio de choc gère d’une main de maître la laverie solidaire grâce à l’expérience gagnée durant les années. Les trois femmes ont participé à plusieurs concours et en ont remporté quelques-uns. « On a été finaliste de la Social Cup, c’est un concours national organisé par Makesense. On a quand même été finaliste parmi plein d’assos françaises, plein d’entreprises françaises. On a aussi remporté le Trophée des Gestes Audacieux et le Prix de l’Inspiration ESS du Crédit Coopératif du Val-d’Oise. Et récemment, lors des Eco-Award à Toulouse, Laco’Work & Co a remporté un prix dans la catégorie association », énumère Aminata.
Ces participations aux concours leur ont permis de gagner en visibilité et gagner de l’argent afin de s’autofinancer. De fil en aiguille, les sœurs Cissokho mettent en place différents services : la retouche, le repassage et la livraison de linge aux professionnels et particuliers, qui est en cours de développement. Ce dernier consistera à récupérer du linge à entretenir, afin de le laver, le sécher puis le repasser, et même le retoucher, avant de le retourner au particulier ou professionnel. « Ce sera notre plus gros investissement en termes de temps, de logistique, et financièrement aussi », confie la directrice.
Les habitants ont appris à fabriquer leur propre lessive, les lessives du quotidien étaient très chères
Elles ont également organisé des ateliers de fabrication de lessive au sein de la laverie, mais aussi en dehors du centre social. Des ateliers qui ont rencontré un fort succès, dans un contexte de crise économique. « Les habitants ont appris à fabriquer leur propre lessive. On s’est rendu compte que les lessives du quotidien étaient très chères. Et qu’en plus, leurs compositions étaient incompréhensibles. Il y a tellement de produits chimiques avec pleins de noms étranges », détaille Rahima, désormais employée au sein de l’association. « Depuis qu’on est toutes petites, on sait comment faire de la lessive. Et on s’est dit, “pourquoi on ne la ferait pas avec les habitants du quartier” ? », ajoute-t-elle.
Une laverie intergénérationnelle
À la création de Laco’Work & Co, les sœurs Cissokho avaient pour ambition d’amener du monde au centre social Les Doucettes. Aujourd’hui, les Sarcelloises accueillent au sein de la laverie plus de 1 000 personnes et ont réussi à toucher un public différent grâce à des événements qu’elles ont organisés dans les locaux. « On a réussi à toucher les plus jeunes, mais aussi des hommes. On a organisé des cafés débats, sur des sujets d’actualités ou des situations personnelles », sourit Rahima. À travers ces évènements, de nombreux habitants du quartier et de tous âges se rencontrent, tissent des liens et deviennent même amis.
Jeanne, 76 ans, retraitée couturière, vient tous les jours au centre pour faire de la couture. Celle qui est « née avec une paire de ciseaux dans la main », comme elle aime le dire, s’est vite sentie à l’aise à la laverie. « Je suis venue ici et je ne m’attendais pas à rester longtemps. Comme je suis couturière, j’ai amené mon matériel. Ça me fait plaisir, je montre ce que je sais faire », confie Jeanne, un peu gênée de répondre aux questions. « C’est plus facile pour moi de mettre un fil dans une aiguille que de répondre aux questions », lâche Jeanne, qui est devenue bénévole de l’association.
Au sein de la laverie, la retraitée a rencontré énormément de personnes du quartier avec qui elle n’aurait jamais parlé en dehors du centre. Elle a fait la connaissance du jeune Hassane, 19 ans, ou de Carlos, 58 ans. Ce dernier vient tous les samedis au centre discuter avec les sœurs. Mais Jeanne a également rencontré Jonathan, 41 ans, avec qui elle a découvert qu’ils étaient voisins en Martinique. Le quarantenaire ne venait jamais au centre social avant l’arrivée de Laco’Work & Co. « Alors qu’il habite dans le quartier ! », précise Jonathan, coiffé de longues dreadlocks.
Leur projet est très utile, ça apporté de la vie dans le quartier
Jonathan a très vite tissé des liens avec Jeanne, comme avec les trois fondatrices de la laverie. « J’ai été amené à faire des retouches ici. Leur projet est très utile, ça apporté de la vie dans le quartier. Les gens viennent discuter avec elles, jouer à des jeux de société… Depuis que je les connais, une véritable amitié s’est créée », explique Jonathan. Comme lui, d’autres bénéficiaires se sont liés d’amitié avec les sœurs Cissokho, jusqu’à devenir bénévoles de l’association.
Objectif déménagement
Après avoir développé et consolidé leur projet Laco’Work & Co au centre Les Doucettes, les trois sœurs vont malheureusement quitter Garges-lès-Gonesse. Elles devraient prochainement poser leurs valises en Seine-Saint-Denis. La convention qui les liait au centre social arrive à échéance en juin 2024, au grand dam des bénéficiaires.
Salima, bénéficiaire du centre social, en est même émue aux larmes lorsque le départ des trois sœurs est évoqué. La mère de famille vient très souvent les voir à la laverie avec sa fille Sarah, âgée de 9 ans. « Je suis vraiment attristée qu’elles partent du centre. En dehors du projet [Laco’Work & Co, ndlr], quand on a besoin d’elles, elles vont tendre la main. Ce sont des personnes de confiance. C’est comme la famille », confie la mère de famille.
Même si les sœurs vont quitter la ville de Garges-lès-Gonesses, leurs bénéficiaires, devenus des amis, et certains des bénévoles, veulent les accompagner. Jeanne, la couturière retraitée, envisage de coudre des housses pour le service de livraison. Salima, considérée comme la spécialiste de l’anti-gaspillage par les trois sœurs, aimerait de son côté donner ses propres conseils anti-gaspi. « Même si elles ne sont plus à Garges, je vais les aider ! », sourit Salima.
Émeline Odi