Gilet jaune floqué d’un poing noir, formation politique ou étudiante, familles au complet : une fois de plus, la foule a répondu présente pour entourer la famille Traoré. Symboliquement, Bagui Traoré tenait fermement la photo de son frère Adama en tête du cortège qui a traversé les rues des communes de Persan et de Beaumont, où résidait le jeune homme. « Cela a forcément un sens particulier qu’il soit là aujourd’hui. Il aurait du être présent dès le départ », murmure une jeune femme qui a fait le déplacement depuis Paris.
La libération de Bagui est de l’oxygène pour nous
Incarcéré depuis fin 2016, Bagui Traoré -témoin principal de l’arrestation de son frère, a définitivement été acquitté des chefs d’accusation de « tentative d’homicide sur personne dépositaire de l’autorité public en bande organisée », le 9 juillet dernier par la cour d’Assises de Pontoise (Val-d’Oise) après les trois nuits de révoltes suite à la mort d’Adama Traoré en juillet 2016. « La libération de Bagui est de l’oxygène pour nous. Elle nous donnera encore plus de force ».
« Les juges se sont aperçus que les gendarmes avaient menti dans ce dossier », expose, très ému, Bagui Traoré. « C’est une petite brèche que l’on doit prendre pour arriver au but : le jugement des gendarmes », poursuit-il. « Nous réclamons plus, nous exigeons plus », rappelle également sa sœur Assa Traoré.
Libération de Bagui, relaxe d’Assa Traoré, le 1er juillet, accusée de diffamation à l’encontre des gendarmes (à la suite de la publication de sa tribune « J’accuse » publiée sur ses réseaux sociaux, dans laquelle elle dévoile le nom des gendarmes impliqués dans la mort de son frère, NDLR) : les cartes semblaient enfin rebattues pour la famille Traoré, réunie au complet pour la première fois depuis décembre 2016. La joie de ces retrouvailles a pourtant été gâchée par les informations dévoilées la veille de la marche par le quotidien Mediapart.
Le site d’information a révélé que les trois gendarmes qui ont participé à l’arrestation du jeune homme ont été décorés pour leur action lors de cette opération. « Les gendarmes sont venus devant la cour d’Assises de Pontoise sans aucune honte face à notre famille et ont menti avec lâcheté. (…) Bien évidemment qu’ils vont venir dans cette impunité puisqu’ils sont médaillés et récompensés », analyse écoeurée la sœur du défunt lors de la conférence de presse organisée en amont de la marche.
Cette décoration est hallucinante. Quel message décide-t-on d’envoyer alors que l’enquête est toujours en cours
La famille n’est pas au bout de ses peines puisque les juges ont demandé aux experts un complément d’autopsie, à l’aune d’un arrêt de travail pris par Adama Traoré en juin 2014, auquel les parties civiles n’ont pas eu accès. Les résultats de cette nouvelle autopsie devraient être versés au dossier d’instruction le 31 août prochain. « Nous répondrons en conséquence », a promis Assa Traoré.
La foule partagée entre hallucination générale et combativité
Ces énièmes rebondissements dans cette affaire devenue symbolique des violences policières choquent et inquiètent les personnes présentes à la marche. « Si c’est pas de la provocation, qu’est-ce que c’est ? », lancent deux amies venues de Paris et des Yvelines.
« Cette récompense est inadmissible mais cela n’est pas surprenant. Au-delà de la lutte de la famille Traoré, c’est un combat politique plus général contre les violences policières. Et il y a trop d’enjeux : ces derniers temps, les forces de l’ordre se plaignent régulièrement de ne pas avoir assez de pouvoir », développe N.F*, qui craint que l’on essaye d’étouffer l’affaire pour ne pas risquer une nouvelle mobilisation des forces de l’ordre, comme on a pu l’observer au printemps dernier.
Tant que l’on sera dans le déni sur ce sujet, il ne pourra pas y avoir de dialogue démocratique.
« Aucun Président de la République ne veut se mettre à dos les forces de l’ordre », remarque également Aïssata Seck, membre de l’opposition municipale à Bondy (93). « Cette décoration est hallucinante. Quel message décide-t-on d’envoyer alors que l’enquête est toujours en cours ? », se désole-t-elle. « Les violences policières, cela existe. Ce ne sont pas des rumeurs, ce n’est pas un imaginaire. Et l’on ne parle même plus que des quartiers populaires. Je crains pour la rentrée sociale à laquelle on va assister », énumère-t-elle.
« Tant que l’on sera dans le déni sur ce sujet, il ne pourra pas y avoir de dialogue démocratique. Alors qu’entre les révoltes sociales et la Révolution (sic) suite au décès de George Floyd, il n’y a jamais eu autant de manifestations. »
Le combat Adama se transmet de génération en génération
« Nous avons une jeunesse de plus en plus conscientisée », observe Aïssata Seck. Brevet et bac en poche, ses deux filles l’accompagnent. « Avant, je trouvais que la plus jeune était trop petite pour venir. Cela fait quatre ans qu’elle souhaite se rendre à Beaumont. Cette année, elle s’attendait encore à un non », sourit l’élue.
Nous avons une jeunesse de plus en plus conscientisée.
Issa, 12 ans, a lui aussi tanné ses parents pour se rendre à la marche depuis Champs-sur-Marne (Seine-et-Marne). Aux anges, il est tout de fois bien conscient des enjeux. « Les policiers sont là pour nous sauver. Pourtant, tous les jours, des gens meurent », débite-il.
Pour les plus petits, encore plus présents qu’à l’accoutumé, le collectif avait tout prévu : stand de barbe à papa, jouets gonflables sur la Plaine des Grands Jeux dans le quartier de Boyenval, ainsi que la seconde édition du « festival Adama » pour clôturer la marche commémorative. Issa s’enquiert des artistes présents : Youssoupha, Hatik, rejoints cette année par Wejdene ou encore Bramsito. Mais la star du jour n’est pas chanteuse ou rappeuse. « J’ai pu voir Assa en vrai », s’exclame Issa. « Je suis un grand fan, j’ai même des poster d’elle dans ma chambre. C’était cool de la voir car grâce à elle, j’ai l’espoir que les choses changent », confie le garçon.
Pour la seconde fois, le rappeur Youssoupha a animé une série de concert à Boyenval.
En « attendant Wejdene », Anissa, venue à Beaumont, a également tenu à avoir une photo avec Assa Traoré. Julia, sa maman, a tenu à lui raconter son histoire « pour lui inculquer des valeurs et lui montrer que la police commet parfois des erreurs ». « Face à une injustice, j’aimerais avoir la force de me mobiliser comme Assa. C’est beau ce qu’elle fait », ajoute la jeune maman.
Avant de laisser place aux chants et aux jeux, Bagui Traoré a pu observer la foule, réunie le poing levé en scandant le nom d’Adama, depuis l’estrade. « C’est un jour triste mais quand je vois tout ce monde, je sais qu’Adama aurait trouvé ça beau ».
Meline Escrihuela
*Nom d’emprunt