Le squat du Bathyscaphe à Aubervilliers est, depuis 2023, un lieu de vie et un espace solidaire pour les associations. Il est actuellement menacé d’une expulsion qui devrait prendre effet le 30 septembre.

Ce bâtiment de 5 000 m² abrite plus d’une soixantaine de personnes, dont des familles. Depuis le mois de novembre, le Bathyscaphe accueille les Midis du Mie, une association qui vient en aide aux mineurs isolés étrangers. L’association offre un accueil de jour, un encadrement et des activités, dont les cours de français et de mathématiques le dimanche.

Mais depuis plusieurs mois, l’association lutte contre l’évacuation de ce lieu de vie sans solution de relogement. Après une lutte acharnée menée à coups de pétitions, de lettres ouvertes et de négociations, le propriétaire a accordé un délai supplémentaire, fixé au 30 septembre 2024. Après cela, l’association les Midis du Mie et les habitants du Bathyscaphe devront quitter les lieux, sans qu’aucune alternative de relogement ne leur ait été présentée à ce stade.

Une manifestation devant la mairie d’Aubervilliers est prévue ce mercredi pour protester contre cette expulsion et obtenir « a minima le relogement des familles et les personnes vulnérables ». Selon les organisateurs, la mairie n’a pas répondu à leurs sollicitations. Contactée par le Bondy blog ce mercredi, la mairie d’Aubervilliers n’a pour l’heure pas répondu à nos sollicitations.

En juin, alors qu’une expulsion menaçait déjà le Bathyscaphe, nous avions rencontré l’association des Midis du Mie et les habitants de ce lieu. Reportage.

Un espace d’accueil et de solidarité

Une doudoune noire sur les épaules, Moussa* est assis au bout d’une large table en bois, son sac à dos abîmé posé à ses pieds. Il scrute le livre de méthodologie de français ouvert devant lui, tout en préparant ses affaires pour le cours. « Ce n’est pas très joli, regarde comme j’écris mal », plaisante-t-il en montrant son cahier d’exercice.

Moussa se rend aux cours de français des Midis du Mie, tous les dimanches, depuis maintenant quatre mois. Une jeune bénévole de l’association s’installe et se glisse dans la peau d’une professeure, le temps d’un après-midi. Elle annonce la leçon du jour : la conjugaison des verbes être et avoir au passé composé et à l’imparfait. « Ce sera un peu dur pour moi », anticipe Moussa, toujours souriant.

La salle continue de se remplir et les jeunes échangent des sourires et des poignées de main. Certains discutent autour d’un thé brûlant. Son crayon de bois en main, Moussa est prêt à commencer la leçon. Autour de lui, un petit groupe de six jeunes élèves s’attelle à leurs exercices de conjugaison. Les rires et les boutades ont laissé place à la concentration. « Tout le monde à un stylo ? », demande la professeure, « Je n’ai pas compris l’exercice », renchérit l’un des jeunes garçons assis autour de la table.

Une véritable ambiance de salle de classe s’est installée, loin du quotidien des mineurs isolés rythmé par la rue et la précarité. Au-dessus de leur tête, le dessin d’un oiseau de couleurs bleu, blanc et rouge où il est écrit « Liberté pour les mineurs isolés » est accroché. Le groupe de six s’est peu à peu élargi à une vingtaine de jeunes désireux d’apprendre. Moussa tente de jeter un œil sur la copie de son voisin et rit aux éclats lorsqu’il se fait surprendre.

Pour les mineurs, un lieu d’apprentissage et de socialisation

La grande salle lumineuse du Bathyscaphe rassemble désormais plus d’une centaine de jeunes mineurs isolés, ils se sont répartis dans plusieurs groupes d’études. Dans un coin de la pièce, Ousmane* et Boubacar* attendent le début de leurs cours en discutant. Ousmane vient lui aussi tous les dimanches, et ce qu’il préfère, c’est la conjugaison. « Je sais tout conjuguer », déclare fièrement le jeune Ivoirien âgé de 17 ans, le menton levé.

Les classes du dimanche sont un moment qu’il affectionne particulièrement. « J’apprécie la connaissance qu’on nous transmet », explique-t-il. « Les éducateurs sont devenus comme des amis », ajoute-t-il, un sourire aux lèvres. À ses côtés, Aboubacar* a les épaules fermées. Il raconte nerveusement les difficultés qu’il a vécues depuis qu’il est arrivé à Paris. « Cet hiver, j’ai eu froid », raconte-t-il en tortillant une mèche de ses cheveux. Les deux adolescents se sont rencontrés à la Maison des Métallos, où ils y dorment et mangent pour le moment.

Parfois, ils vont manger ensemble au Resto du cœur, à République. Les deux jeunes hommes racontent les évacuations quotidiennes de la police lorsqu’ils dormaient à Belleville. « Quand nous sommes là, ils nous disent de partir, mais quand nous ne sommes pas là, ils jettent nos tentes », détaille Ousmane, les sourcils froncés.

Quand je serai à l’abri, la France me plaira davantage

« Quand je serai à l’abri, la France me plaira davantage », ajoute Aboubacar. Les deux garçons ont de nombreux points communs, mais par-dessus tout, c’est la haine des mathématiques qu’ils partagent. « Je n’aime pas les maths ! », clame Aboubacar. « Les maths me cassent la tête, renchérit Ousmane. Alors que la conjugaison améliore notre expression ! »

Pourtant, ils ne pourront pas y échapper. Aujourd’hui, pour leur groupe, c’est soustractions posées. La bénévole leur annonce la mauvaise nouvelle en déposant un livre de mathématiques au milieu de la table. La grande salle lumineuse est désormais remplie de brouhaha et les différents cours de maths et de conjugaison se mélangent.

L’expulsion du Bathyscaphe rend l’avenir incertain

Loin de l’humeur joyeuse de la salle, Agathe, la présidente de l’association, a les traits fatigués. Elle est profondément inquiète concernant l’évacuation du squat du Bathyscaphe. « On ne fait qu’un, les Midis du Mie et le Bathyscaphe, je ne sais pas ce que l’on va devenir », s’inquiète la présidente de l’association. Agathe lutte depuis des mois pour trouver des solutions. L’accueil de jour proposé par les Midis du Mie au Bathyscaphe permet d’accueillir environ deux cents jeunes qui se rendent régulièrement aux activités de l’association, dont les cours du dimanche.

Les Midis du Mie hébergent et encadrent une vingtaine de jeunes. Une dizaine de mineurs isolés étrangers vivent pour le moment à l’étage du Bathyscaphe. Ils sont, eux aussi, menacés par l’expulsion imminente du squat. « Que vont devenir tous ces jeunes qui errent dans les rues de Paris », se désole la présidente de l’association.

Ces accueils de jour sont nécessaires pour nourrir intérieurement les jeunes et les aider à se construire

L’inquiétude d’Agathe est largement partagée par les autres bénévoles de l’association, dont Louise. Elle est étudiante en littérature et bénévole depuis deux mois. « Ce serait trop dommage, déplore t-elle à l’évocation de l’expulsion du Bathyscaphe. Les jeunes répondent à l’appel, ils sont de plus en plus nombreux et veulent apprendre ! » Selon elle, les accueils de jour manquent. « Les maraudes de produits d’hygiène et de nourriture sont importantes, mais ces accueils de jour sont nécessaires pour nourrir intérieurement les jeunes et les aider à se construire pour qu’ils puissent s’intégrer », souligne la jeune bénévole

La crainte de se retrouver à la rue

L’air épuisé, Adama* se tient au milieu de la foule. Il est arrivé en France en février et il a passé sa première nuit abritée, hier, au Bathyscaphe. « Ça fait du bien de dormir au chaud », confie l’adolescent. Il dormait habituellement au Pont Marie, le long des quais de Seine. À côté de lui, Moussa*, originaire de Guinée, a le dos droit et le regard pétillant. Il dort à l’étage du squat du Bathyscaphe depuis bientôt un mois. Il a accueilli son nouveau colocataire avec un large sourire. « On s’entend bien », résume le jeune homme. Malgré sa bonne humeur, l’échéance de l’évacuation pèse sur ses épaules. « Ça m’inquiète beaucoup, je n’ai pas d’autre endroit où dormir. Si je ne dors pas ici, c’est dehors », regrette-t-il.

La fin d’après-midi s’installe doucement, c’est l’heure de la fin des cours. Alors que certains entament le rangement, Ousmane brandit fièrement son cahier griffonné de calculs. « J’ai eu 10/10 », fanfaronne-t-il. Une table plus loin, Mohammed* fixe le tableau devant lui lorsqu’Agathe s’assit sur la chaise à côté de lui. « J’ai lessivé 24 quatre quarts, il y avait trop de monde aujourd’hui », explique-t-elle. En une semaine, l’association dépense environ 400 euros de courses. Les bénévoles étaient cinq pour encadrer une centaine de jeunes aujourd’hui.

On apprend à lire et à écrire pour pouvoir faire des études et trouver un travail, c’est important

Après une distribution de savon express, et que les rires ont laissé place au silence, Agathe prend une voix calme. « Tu sais, on ne sait pas si on pourra garder la salle et continuer de prévoir des activités. » « Je ne veux pas partir d’ici », rétorque Mohammed. Le garçon est désormais froissé d’inquiétude, son sourire s’est effacé. « J’aime beaucoup venir ici », déclare-t-il, son bob enfoncé sur la tête. Comme les nombreux mineurs isolés qui se rendent aux activités du Midi du Mie, il chérit les cours de français. « On apprend à lire et à écrire pour pouvoir faire des études et trouver un travail, c’est important. Je vais prier très fort pour qu’on puisse garder la salle », déclare le jeune homme après un silence.

Le Bathyscaphe, un véritable lieu de vie

Les jeunes mineurs isolés de l’association des Midis du Mie ne sont pas les seuls menacés par l’expulsion du squat d’Aubervilliers.  Au sous-sol, le bâtiment grouille de vie. Le Bathyscaphe abrite plus d’une soixantaine de personnes, dont des familles. Des enfants jouent à chat dans le grand hangar froid transformé en lieux de vie chaleureux et lumineux. Du linge est étendu et des canapés y sont installés. À quelques pas, dans la cuisine partagée, une habitante, Awa, cuisine un plat de viande alors que des discussions fusent autour. Les échanges se font en plusieurs langues : en arabe, en français et en soudanais.

Ça fait six mois qu’on cohabite maintenant

Hamed, un soudanais qui vit dans le squat du Bathyscaphe depuis deux mois, se retrouve sans solution d’hébergement pour la suite. « Moi, c’est mes amis », décrit-il en parlant des autres habitants du Bathyscaphe. « Ça fait six mois qu’on cohabite maintenant », ajoute l’homme souriant. La plupart des habitants du Bathyscaphe sont des anciens habitants du squat Unibéton, évacué en 2023.

Si l’association et les habitants du Bathyscaphe ont pu bénéficier d’un délai supplémentaire jusqu’au 30 septembre 2024, il n’est en rien une solution permanente. L’association a pu trouver un nouvel espace pour maintenir leurs accueils de jour, mais les jeunes mineurs isolés hébergés par l’association au Bathyscaphe, et les habitants du squat, se retrouvent sans alternatives de logement. Face aux menaces d’expulsions sans solutions de relogement, et l’absence de réponses des pouvoirs publics, l’association les Midis du Mie et les habitants du squat sont plongés dans l’incertitude.

Sofia Goudjil

*Les prénoms ont été modifiés.

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