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« Un policier qui tire sept cartouches sur un homme sans défense, c’est un comportement de sauvage », se lamente Mohand. L’homme de 75 ans, appuyé sur sa béquille, a tenu à venir aux abords du tribunal judiciaire de Bobigny pour témoigner de sa compassion. Amar Slimani, jeune Algérien de 32 ans, vivotait de menus travaux. La galère du quotidien l’avait amené à s’abriter dans la cabane de jardin d’une grand-mère de la ville.

Jusqu’au matin du 29 juin où le petit-fils de celle-ci, policier hors service au moment des faits, l’abat de sept balles, dont une à la tête et deux dans le dos. Le fonctionnaire, âgé de 27 ans, a été placé en détention provisoire suite à sa mise en examen pour meurtre.

l faut dénoncer, de manière pacifiste, mais ferme. On a assassiné un être humain gratuitement

À l’appel du collectif Justice pour Amar, environ 200 personnes se sont rassemblées pour exprimer leur soutien à la famille de la victime et leur colère face à un énième cas de violences policières. Sur la pelouse qui fait face au tribunal, le soleil de midi écrase les visages fermés par la peine et la colère. « Il y en a marre de ces crimes racistes », souffle Sarah, militante acharnée qui transmet en direct le rassemblement sur TikTok. « Sept balles ! On peut vraiment parler de haine à ce point-là », lance-t-elle. « Il faut dénoncer, de manière pacifiste, mais ferme. On a assassiné un être humain gratuitement. » Une femme reconnaît la tiktokeuse et l’apostrophe. « Le policier a pris des photos de son corps. Il a tué avec fierté », s’indigne-t-elle. « C’est l’acte d’un fasciste ! »

Un crime raciste

Le policier poursuivi prétend avoir agi en état de légitime défense, s’étant « senti menacé » après qu’Amar a « avancé vers lui avec un outil ». C’est la grand-mère du fonctionnaire, inquiète des bruits provenant de son jardin, qui aurait prévenu son petit-fils. « Apparemment, il travaillait chez cette dame, il rendait des petits services », précise Sarah. Abdelhaq, un ami d’Amar, confirme. Le regard lointain, il raconte de manière méthodique ses souvenirs avec le jeune homme. « On buvait un café ensemble tous les jours, c’était vraiment quelqu’un de bien, qui rendait service à tout le monde. » Sa mort dans ces circonstances le laisse dans l’incompréhension. « Il faisait des travaux de peinture chez cette femme. Elle l’a autorisé à dormir dans cette cabane. Et son petit-fils l’a quand même tué. »

Amar a été déshumanisé à cause de sa couleur de peau et de son origine étrangère

« Ce n’était pas un squatteur comme on a pu l’entendre », ajoute Sarah. « Squatteur », « intrus »… les qualificatifs usités dans la presse pour qualifier Amar sont peu élogieux, quand ils ne sont pas carrément insultants. « C’était avant tout un homme, venu en France pour survivre, et qui a fini assassiné par un policier en civil », résume Assa Traoré. Sa présence ici tient de l’évidence. « C’est une histoire qui donne des frissons, qui fait bondir. C’est un assassinat macabre », dénonce la militante qui a tenu à mettre sa voix au service de la famille brisée par le drame.

« Amar a été déshumanisé à cause de sa couleur de peau et de son origine étrangère », affirme Assa Traoré. Le contexte politique, selon elle, incombe à la mort d’Amar des problématiques plus vastes que les seuls faits. « Pendant ces élections, les comportements racistes se sont décomplexés. Le combat est loin d’être terminé même si la gauche est passée », assure-t-elle, espérant que la mort du jeune homme sera source de détermination dans la lutte contre les violences policières et le racisme. « Notamment dans la défense de ceux, comme lui, qui ne peuvent pas s’exprimer par les urnes », précise-t-elle.

Violences policières, l’éternel recommencement

Un homme enveloppé dans un drapeau hurle de colère. « Ce n’est pas uniquement le fils Slimani, c’est notre fils à tous ! », vocifère-t-il. Tout le monde se tait, des yeux se baissent. Quelques enfants agitent des ballons blancs. L’arrivée de la présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, Mathilde Panot, diffuse la tension, on se masse autour d’elle. Écharpe tricolore toute neuve sur l’épaule, Aly Diouara l’accompagne. Fraîchement élu dans la 5ᵉ circonscription de Seine-Saint-Denis, en fonction depuis quatre jours seulement, il effectue là une de ses premières sorties en tant que député. L’occasion l’oblige à la gravité. « Un homme a été lâchement tué par un policier en dehors de son service. Sept balles ont été tirées, six l’ont atteint, ce qui à mon sens est très clairement un crime crapuleux », lâche-t-il.

Notre rôle à nous, c’est de ne pas relâcher la pression afin que ce genre de choses ne se reproduise plus

« Aujourd’hui, le policier est incarcéré, donc la justice va faire son travail. Notre rôle à nous, c’est de ne pas relâcher la pression afin que ce genre de choses ne se reproduise plus. » Particulièrement dans le contexte de libération de la parole raciste en lien avec les dernières élections, estime l’élu. « L’extrême-droite ventile des idées nauséabondes, racistes et xénophobes. Ce qui peut parfois inspirer un certain nombre d’individus de l’institution policière. Et ça, en tant que représentant des habitants de Seine-Saint-Denis, je ne l’accepte pas. » 

La question des violences policières résonne chez Aly Diouara de manière intime. « Avant d’être député, j’ai été un jeune des quartiers populaires », évoque-t-il. « J’ai eu affaire à des situations de violences policières. Forcément, ça me touche. » Tout en précisant ne pas vouloir stigmatiser l’ensemble des fonctionnaires de police, le député estime qu’il y a « des réalités desquelles on doit parler. Et qu’il nous faut pouvoir corriger. ». 

L’héritage de la colonisation

Vêtue d’une tenue traditionnelle berbère sur laquelle elle a enfilé un t-shirt à l’effigie d’Amar, Hayat confie avoir fait le déplacement de Normandie pour l’occasion. « C’est l’injustice qui m’a poussée à venir. J’irais n’importe où pour dénoncer ces crimes. » La mort du jeune algérien la scandalise. « Cette histoire de photo… Et ces sept balles, on n’est plus dans la légitime défense, là », déplore la Rouennaise. Son amie Karima* complète. « Ça m’a rappelé ce que ma grand-mère me racontait de la colonisation française de l’Algérie. Les exécutions, la torture, les jeunes qui quittent leurs familles pour ne jamais revenir », livre-t-elle. « Et ça continue aujourd’hui. »

Au même moment, la famille d’Amar, dans un message lu au micro, refuse de voir son nom utilisé à des fins politiques. Moustapha, le porte-parole du collectif « Justice pour Amar » traduit en français les mots du frère du jeune homme qui s’exprime en kabyle. « Il faut que ça s’arrête. Aujourd’hui c’est notre famille qui est touchée, demain, ça sera d’autres. » Un intervenant du collectif continue. « On n’est pas contre la police, on est pour la justice. C’est le crime d’un seul homme. »

Il faut poser clairement la question du racisme systémique dans la police

Rosa*, qui milite depuis des décennies pour faire reconnaître les crimes policiers racistes, n’est pas d’accord. « Ce ne sont pas des actes isolés. Quand ça fait 40 ans que ça dure, quand les personnes tuées se comptent par centaines, sont toutes désarmées, racisées, issues des quartiers populaires, il faut poser clairement la question du racisme systémique dans la police », dénonce la militante. Sa voix exprime un mélange de colère froide et de lassitude. « C’est une question soutenue par la recherche scientifique, c’est documenté. Les meurtres, l’absence de suites judiciaires, le vote RN massif des agents… Et on persiste à défendre le caractère républicain de cette institution. »

Le fait que le policier ait pris le corps de sa victime en photo ne la surprend pas outre mesure. « Ça montre leur sentiment d’impunité. Ce meurtre a été perpétré en pensant qu’il n’allait pas être puni. » Elle évoque spontanément, comme Karima plus tôt, le passé colonial de la France. « Le racisme systémique dans la police française est un héritage direct des techniques de répressions coloniales. On pense à l’Algérie, certes, mais ça m’a aussi évoqué ces soldats israéliens qui font des selfies devant les décombres à Gaza », note Rosa. « Un fascisme en inspire un autre », conclut-elle, amère. Son t-shirt noir du collectif Vies Volées énumère les noms de victimes de violences policières. Il n’y a plus assez de place sur son vêtement pour y ajouter le nom d’Amar.

Ramdan Bezine

*les prénoms ont été modifiés à la demande

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