“Prochain match : Gaza contre Jérusalem !”. Dans ce tournoi de foot, organisé par Urgence Palestine et le collectif Fontenay Palestine, pas d’équipes nationales ou de grands clubs européens. Ici, au gymnase Joliot-Curie de Fontenay-sous-Bois, chaque équipe représente une ville palestinienne : Gaza, Jérusalem, Naplouse, Hébron, Rafah, Jenin, Ramallah et Khan Younès. La Palestine est partout : en banderole, en drapeaux et même sur les maillots. Seuls les chasubles Kipsta de couleur orange et jaune fluo parviennent à différencier les deux équipes sur le terrain.
Depuis 9h du matin, les tribunes s’enflamment à chaque dribble et à chaque tir. Les joueurs (5 par équipes) disputent les matchs de poule pour marquer le plus de points et espérer se qualifier en demi-finale. La plupart d’entre eux sont amateurs, ont plus de 18 ans et proviennent de différents quartiers fontenaysiens.
“C’était important d’apporter notre soutien même sportivement”
Farid, lui, est capitaine de l’équipe Jenin. Moyenne d’âge : 40 ans. “Une équipe de vétérans”, présente-t-il fièrement. Le matin, avant le début du tournoi, lui et les autres capitaines d’équipes ont fait des discours pour parler de la ville qu’ils défendent aujourd’hui. Farid a choisi de parler de la journaliste palestino-américaine Shireen Abu Akleh, correspondante d’Al Jazeera, tuée le 11 mai 2022 par un tir de l’armée israélienne alors qu’elle couvrait des affrontements dans la ville. “C’était important d’apporter notre soutien même sportivement”, déclare le joueur. “Ce qui se passe en Palestine peut arriver chez nous aussi donc il faut consolider les liens avec nos voisins. À travers le football, on porte un message de paix : l’important c’est d’être réunis, on n’est pas là pour les résultats.”
Être présents aujourd’hui c’était une bonne occasion d’allier deux choses qu’on aime : le foot et la Palestine
Assis dans les tribunes, Reda, Amine et Noury, tous les trois 25 ans, représentent l’équipe d’Hébron. “Être présents aujourd’hui c’était une bonne occasion d’allier deux choses qu’on aime : le foot et la Palestine”, affirme Noury. Son ami Reda est particulièrement sensible à la question palestinienne : “C’est comme si je t’invitais chez moi et que tu me dégageais de ma maison.” Kamil et Badys, eux, jouent pour l’équipe de Gaza. “Je suis musulman et la Palestine est un peuple musulman, alors ce qui leur arrive ça me touche forcément”, livre Kamil. “Aujourd’hui, on représente Gaza donc bien sûr qu’on va gagner !”
Pourtant, à 15 heures, les phases finales n’ont toujours pas commencé. “C’est important que toutes les équipes se rencontrent mais forcément ça prend un peu de temps”, explique Walid, de 38 ans, éducateur de proximité à Fontenay-sous-Bois et speaker du tournoi pour l’occasion. Alors, pendant les matchs, la musique résonne et les classiques s’enchaînent : “94 c’est le Barça”, “Obsesión”, “Tonton du Bled”, “Bande Organisée”… “On écoute Jul mais on rappelle que Paris est en finale de la Ligue des Champions”, glisse fièrement Julie, l’autre speakeuse du tournoi, elle aussi travailleuse sociale.
Sensibiliser les plus jeunes à la cause
À l’étage, dans le hall du gymnase, un espace associatif et une buvette. Crêpes, gâteaux et boissons fraîches sont mis à disposition du public. Plusieurs associations défenseuses de la cause palestinienne sont représentées : Urgence Palestine, organisatrice du tournoi, mais également Urgence Palestine 94 (son antenne locale), l’AFPS (L’Association France Palestine Solidarité) par son Comité Palestine 94 nord, la campagne BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions) et Samidoun, un réseau de solidarité international demandant la libération des prisonniers palestiniens.
“Ce n’est pas une guerre, c’est un génocide”, insiste Cédric, bénévole pour Urgence Palestine 94. “Mais il n’y a pas que la Palestine, il y a aussi le Congo, les Rohingyas ou encore les Ouïghours qui sont moins médiatisés”, ajoute-t-il. “Le but est de sensibiliser les plus jeunes à ces causes et le foot est un bon appât pour ça”, avoue Chafika, son épouse, elle aussi bénévole dans l’association.
On espère pouvoir organiser des tournois tout l’été dans le plus de quartiers possibles.
“Le sport est un bon moyen de rassembler les gens et de soutenir la population de Gaza à notre échelle”, souligne Oum Issa, bénévole. Sur son stand, badges, drapeaux, sacs en toile mais aussi keffiehs, symboles de la résistance palestinienne. “Ils proviennent de la dernière fabrique de keffiehs en Palestine à Hébron”, précise-t-elle. “La crise humanitaire étant avant tout médicale et alimentaire, les dons collectés par Urgence Palestine sont envoyés à deux associations : à Palmed et au Croissant-Rouge palestinien.”
Ainsi, depuis l’annonce du tournoi, l’association a reçu des demandes d’organisation d’autres compétitions dans une trentaine de villes différentes. “On est très heureux de cet engouement, ça témoigne de la grande solidarité pour la cause palestinienne en France”, se réjouit Oum Issa. “On espère pouvoir organiser des tournois tout l’été dans le plus de quartiers possibles.”
“Pas de perdants, seulement des gagnants”
À 17h30, Gaza et Naplouse, les deux équipes finalistes, rentrent sur le terrain, les visages recouverts de keffiehs. Avant le lancement du match, chaque joueur lit un témoignage de civil palestinien ou de coordinateurs de Médecins Sans Frontières. Des témoignages extraits du compte « Voices for Gaza » : “On n’est pas dans un film ni sur Netflix, ce sont de vraies histoires et de vraies personnes qui souffrent”, insiste OGB, rappeur de la Mafia K’1 Fry et parrain du tournoi. “À la base, je devais être en concert à Toulon avec Kery (Kery James) mais je m’étais déjà engagé auprès du tournoi car l’initiative me tenait à cœur. Alors, je suis venu et me suis excusé auprès de Kery, qui a évidemment compris mon absence”, confie l’artiste.
Le match est serré et malgré les 8 minutes de jeu, l’issue reste incertaine. Score final : 2-2. Égalité. Le dénouement se joue donc aux tirs aux buts. Après deux tirs transformés, un des joueurs gazaouis s’élance et frappe la balle à droite. Le gardien adverse se jette et l’arrête des deux mains. Fin du match. Naplouse remporte le tournoi.
Walid remet les médailles aux joueurs, les trophées aux équipes vainqueures mais aussi au meilleur joueur du tournoi : Abdoulaye, joueur de l’équipe de Jérusalem. “C’est celui qui a le plus mouillé le maillot”, précise le speaker. “Je suis très content, je ne m’y attendais pas !”, avoue l’immigré sénégalais qu’un spectateur vient féliciter en le surnommant “Marathon Man”.
Pendant que les adultes prennent la pose sur les photos, les enfants courent sur le terrain du gymnase et sautent à pieds joints sur les ballons verts, rouges et noirs pour les éclater. “La Palestine fédère toutes les générations et toutes les confessions religieuses”, se félicite Walid. “Aujourd’hui, il n’y avait pas de perdants, seulement des gagnants.”
Les prochains tournois de foot pour Gaza auront lieu à Ivry-sur-Seine, le dimanche 5 mai prochain et à Gennevilliers, le 25 mai.
Alexandre Bourasseau
Photographe : Jody