Le temps d’une soirée, la maison d’Erella se transforme. À la veille de l’Aïd, la jeune esthéticienne de 19 ans, nous ouvre les portes de son pavillon à Bagneux qui va voir défiler des clientes à partir de 17 heures et jusqu’à 2 heures matin. Une nocturne où chaque pièce sera mise à contribution.
Dans la chambre, Erella fait des prestations esthétiques, tandis que Rania expose ses abaya de Dubaï dans le couloir. Hajar propose des sacs et des tapis de prière personnalisés dans le salon. Houyem et Hayat font du henné sur le balcon. Et Menelle propose des caftans du Maroc à l’entrée.
Dans l’air, une délicieuse odeur de nourriture plane. Plusieurs mets gourmands sont mis à disposition comme des briques ou des tiramisus. Les conversations se mêlent, certaines clientes se rencontrent, d’autres sont heureuses de se donner de leurs nouvelles, sous une lumière tamisée.
« Cette idée découle d’une intention féministe »
Lorsqu’elle a obtenu son CAP esthétique à 17 ans, Erella a décidé de lancer son petit commerce d’esthétique à partir de sa chambre. Son objectif était de se créer un job étudiant afin de gagner de l’argent de poche et d’acquérir de l’expérience. En deux ans, elle a réussi à se forger un solide carnet d’adresses lui permettant même d’être sollicitée pour la Fashion Week de Paris.
« J’aime ne dépendre que de moi, personne ne m’impose un mode de vie et je m’habille comme je veux », se satisfait la jeune esthéticienne. Ce type de nocturne est l’occasion toute trouvée pour développer son activité, faire des rencontres et élargir sa clientèle. « J’ai organisé ma première nocturne il y a un an. Le ramadan est un mois de partage et je trouve que le concept des nocturnes rentre parfaitement dans cette dynamique. J’invite souvent des filles qui se lancent », précise-t-elle.
« Si je peux aujourd’hui faire connaître d’autres personnes, je le fais avec plaisir, j’estime qu’on doit s’entraider. Au fond, cette idée découle d’une intention féministe. C’est vrai que c’est très difficile au quotidien d’entreprendre quand on est une fille. Et je trouve que c’est important d’être indépendante aujourd’hui. Il s’agit de ma vision des choses, mais pour être fière de moi, j’ai besoin d’entreprendre », confie Erella.
« Il y a une très grosse demande la semaine avant l’Aïd »
La plupart des femmes présentes ce soir viennent de Bagneux et des villes alentours, mais d’autres viennent de loin pour soutenir un commerce en particulier. Certaines font même la tournée des nocturnes afin de dénicher les meilleures offres. Des clientes ont pour intention de se faire belle et de prendre soin d’elles. D’autres sont là pour acheter leurs cadeaux pour l’Aïd et certaines ne viennent que pour profiter de l’ambiance. C’est un lieu de rencontre, mais aussi d’opportunité.
« J’ai 20 ans. J’ai commencé le henné parce que j’aime dessiner des arabesques. C’est un mini commerce qui aide, surtout pour nous les femmes voilées qui avons un peu de mal à trouver un travail sans restriction vestimentaire. Il y a une très grosse demande la semaine avant l’Aïd », explique Houyem.
Le henné est la prestation la plus demandée de la soirée. Pour assurer un temps minimum d’attente et éviter de dépasser la capacité d’accueil, les clientes s’inscrivent sur des créneaux horaires. Les hennayas (femmes qui font du henné) travaillent souvent sans pause tout au long de la soirée. La sécurité de l’événement est assurée par les mamans des commerçantes. Pour que les clientes soient à l’aise, la présence de garçons est interdite. Les photos sont interdites à condition d’avoir l’autorisation des personnes figurant dessus. « Je fais des nocturnes depuis plusieurs années et je n’ai jamais assisté à aucune vague », atteste Imane, cliente de Houyem.
Les nocturnes accueillent chaque année de nouvelles commerçantes et clientes. La sélection de produits proposés se diversifie, permettant à des créatrices de lancer de nouveaux concepts. La nouveauté de cette année sont « les bouquets de hijab », une dizaine de voiles enroulées pour former un bouquet de fleurs. Un événement qui tend à se pérenniser. Erella rouvrira les portes de chez elle en juin prochain pour la fête de l’Aïd al-Adha.
Sarah Bouchamama