Une fois entré dans son appartement, il est impossible de ne pas entendre la respiration heurtée du petit dernier de Jean-Wilson. Wilan, nouveau-né de quatre mois que son père porte fièrement dans ses bras, souffre d’asthme, causé par l’humidité et la moisissure qui recouvrent les murs de l’appartement.
Ce père de famille habite depuis quatre ans dans la cité Marcel-Paul et il ne cache pas son ressentiment. « La situation s’est dégradée il y a un peu plus d’un an. On a prévenu le bailleur et rien n’a été fait. J’ai repeint plusieurs fois les murs, mais l’humidité n’arrêtait pas de revenir », explique avec colère cet électricien de 45 ans. En désespoir de cause, il s’est rendu au commissariat pour déposer plainte contre le bailleur.
Je ne veux plus revenir ici, je veux sortir de cet enfer
Son cauchemar et celui de ses proches dure depuis de très longs mois. Il y a quelques jours, un hébergement d’urgence en hôtel lui a été proposé à Asnières au moins pour sept jours. Une nouvelle qu’il accueille avec soulagement : « Je ne veux plus revenir ici, je veux sortir de cet enfer. » Si sa situation commence à se décanter, ce n’est pas le cas pour les autres résidents.
Des conséquences désastreuses sur la santé des habitants
Dans la tour d’en face, son amie Gnama avec qui il se bat pour faire changer les choses, rencontre les mêmes difficultés. Sur le plafond du salon où jouent ses enfants, le papier se détache à cause d’une infiltration d’eau datant de novembre 2022. « À ce jour, la recherche de fuite n’a pas été faite, on ne sait toujours pas d’où ça vient », précise-t-elle, exaspérée. Il arrive même que de l’eau coule dans cette pièce les jours de pluie.
Dans sa chambre aux murs recouverts de moisissures, l’ancienne employée de Gifi montre le diagnostic de son médecin concernant son époux. Le document indique que son mari souffre « d’épisodes de rhino bronchite et de laryngites récidivantes en rapport avec une allergie favorisée par ses conditions de logement ». Ce médecin a d’ailleurs constaté les mêmes problèmes de santé chez toute la famille.
Peu après la médiatisation de son histoire, celle qui a grandi à l’Île-Saint-Denis raconte avoir reçu un appel pour un relogement à Montreuil. « On m’a proposé un appartement encore plus insalubre que mon appartement actuel, raconte-t-elle, prise d’un rire nerveux. C’est un manque de respect. Regardez, j’ai les vidéos et les photos ! Les portes étaient cassées, la moquette arrachée, des trous aux murs… », poursuit la mère de famille, encore sous le choc. « Pourquoi on nous propose des taudis, c’est incompréhensible. On ne proposerait pas ces appartements à des blancs », lâche-t-elle, désabusée.
Elle explique qu’une conseillère de Seine-Saint-Denis Habitat l’a fortement incitée à accepter ce logement. « Elle m’a dit qu’on n’aura rien d’autre et m’a assuré que l’appartement serait remis à neuf. »
Le bailleur reconnaît « un loupé » avec une habitante
Contactée par le Bondy Blog, Seine-Saint-Denis Habitat concède « un loupé » dans cette histoire. « La locataire a visité l’appartement seule et nous n’avons pas pu lui expliquer qu’il serait remis à neuf. Il va y avoir à peu près pour 11 000 euros de travaux », assure Charlotte Flores, directrice de la communication de la Seine-Saint-Denis Habitat.
La directrice de la communication précise que le logement visité par Gnama n’appartient pas au parc locatif de Seine-Saint-Denis Habitat. « Le marché du logement est très tendu donc on sollicite d’autres bailleurs pour proposer des logements à nos locataires, ce logement fait partie d’une convention interbailleur », explique Charlotte Flores.
Au vu de la situation, le bailleur a même fait appel à des dispositifs d’hébergement d’urgence en hôtel social. « Le logement temporaire n’interrompt en aucun cas le processus de relogement pour les locataires », précise Seine-Saint-Denis Habitat.
Un dialogue compliqué entre les locataires et le bailleur
Les trois tours de la cité Marcel-Paul vont être détruites en 2025, sur les 350 familles qui y vivent, une cinquantaine a d’ores et déjà été relogée. En février 2022, cette résidence de 287 logements a été rachetée par le bailleur social Seine-Saint-Denis Habitat. Elle appartenait auparavant à la Semiso : Société d’économie mixte de Saint-Ouen.
Si les locataires que nous avons rencontrés concèdent que ces problèmes sont antérieurs au rachat de Seine-Saint-Denis Habitat, il reproche à leur nouveau bailleur un manque de communication. « Le gardien a été transféré dans un autre quartier et nous n’avons même pas été mis au courant. Il n’y a aucune réactivité et on nous raccroche au nez lorsque l’on appelle », soulève Gnama.
« On a récupéré un parc social en très mauvais état »
De son côté, le bailleur assure que leurs services sont pleinement mobilisés pour les appartements en question. « Il y a neuf mois, on a récupéré un parc social en très mauvais état. On a du réglé d’énormes problèmes, c’était urgent. Mais certains travaux prennent du temps. Nos services et en particulier notre cellule de relogement font absolument tout pour proposer des hébergements », se défend Seine-Saint-Denis Habitat.
En septembre dernier, une réunion a été organisée à l’initiative du maire de la ville, Mohamed Gnabaly et du député de la circonscription, Eric Coquerel (LFI). Le bailleur était présent ainsi que les habitants.
À l’issue de celle-ci, Seine-Saint-Denis Habitat s’est engagée à réagir. Mais depuis, très peu de choses ont été faites, selon les habitants qui notent tout de même l’arrivée d’une femme de ménage pour l’entretien des parties communes. « Ils n’ont changé que la bouche d’aération dans mon appartement », indique Gnama.
« Les habitants ont peur de se révolter »
Gnama, Jean-Wilson et d’autres voisins ont souhaité assez rapidement monter un collectif pour dénoncer cette situation. Mais ils se sont heurtés aux réticences des autres habitants « À chaque réunion, on se retrouvait à trois voire quatre pas plus. Les habitants ont peur de se révolter », se désole Marina, une habitante de la cité.
« J’ai beaucoup de problèmes d’insalubrité, mais je n’ai pas prévenu le bailleur », témoigne en écho, une de ses voisines qui a accepté de nous ouvrir sa porte. Elle refuse cependant d’accueillir des visiteurs vu l’état de son logement.
La perspective du relogement décourage les habitants à s’engager dans des démarches pour obtenir la rénovation de leurs logements insalubres. Certains craignent même d’être pénalisés dans le processus de relogement s’ils émettent des plaintes. « Je pense qu’avec l’accueil des JO de Paris, les logements ne seront plus comme ça et, peut-être, qu’on pourra enfin vivre dignement », veut croire Gnama.
Aïssata Soumaré