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« J’ai un souvenir dans chacune de ces tours, car j’avais un ami dans chacun des immeubles », confie Handy Teixeira, 36 ans, habitant du quartier de Beauval depuis toujours.

Dans la ville la plus peuplée de Seine-et-Marne (77), le quartier de Beauval est incontournable. À son apogée, il a abrité jusqu’à 25 000 personnes, soit un tiers de la population totale de la ville, selon les chiffres de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU).

J’ai réalisé que c’est mon enfance qui s’écroule tour après tour

Le secteur de Beauval était composé de grands ensembles sociaux construits entre les années 1960 à 1970. En 2002, c’est sa première tour qui s’écroule avec Chenonceau. En 2004, l’ANRU s’associe au bailleur social Pays de Meaux Habitat et en près de 20 ans, 2 190 logements sont démolis. Les tours Camargue et Chambord sont les prochaines sur la liste, devant Aquitaine et Argonne prévues pour 2028. Après cette date, au total, 20 immeubles HLM auront été rasés.

« En 2021, j’étais allé voir la démolition de la tour Alsace. Je me rappelle avoir presque pleuré. Depuis, j’ai réalisé que c’est mon enfance qui s’écroule tour après tour, et ça m’attriste. », s’épanche Handy. Pour ce meldois de naissance, quitter Meaux et son quartier n’était pas envisageable. « J’ai plein de souvenirs ici, nos tournois de foot, nos jeux dans la rue, lorsqu’on faisait du parcours comme des Yamakasi (déplacement de rue). Je n’échangerais pour rien au monde mon enfance », explique-t-il. Désormais adulte, Handy a acheté un appartement dans l’immeuble reconstruit à l’emplacement exact de la tour Alsace où il a grandi.

À Camargue, on était soudés. Dans ces grosses tours, il y avait comme une ambiance de village

Sylvie Garcia, 59 ans, a habité un appartement au 14ᵉ étage de la tour Camargue dès 1967, « alors qu’il n’y avait qu’une dizaine d’habitants », dans le quartier de Beauval. Pour elle, ce quartier réveille « de très bons moments de son enfance ». Aujourd’hui bretonne, elle garde un excellent souvenir de ses années à Meaux, remplies « d’insouciance » comme elle aime le rappeler, même si elle juge que la délinquance « y est plus importante maintenant ». « À Camargue, on était soudés. Dans ces grosses tours, il y avait comme une ambiance de village ».

À l’époque, ce sont en grande majorité des populations issues de la diaspora maghrébine, espagnol, portugaise et pieds noirs qui habitent le quartier. « Lors de moment de fêtes, j’ai pu goûter aux pâtisseries orientales, aux desserts portugais, c’était super. On était fiers de partager nos coutumes », évoque gaiement Sylvie.

Démolir et ensuite ?

« Désormais, les bâtiments qui ont été reconstruits sont plus impersonnels. Il y a des digicodes, des grilles, cela crée moins de partage entre les habitants. », déplore Ahmed Bennacer, 54 ans.  

Enseignant en informatique, Ahmed Bennacer a d’abord vécu dans le quartier de Pierre-Collinet (devenu Dunant depuis sa reconstruction), puis dans celui de Beauval. Témoin de l’évolution du quartier, il raconte. « Camargue c’était une tour avec de beaux appartements à l’époque. C’était aussi très convivial, tout le monde se connaissait. »

En 2004, lorsque l’ANRU s’associe au projet de rénovation urbaine de la ville de Meaux, l’objectif est clair « redonner une dimension humaine aux logements et aux espaces de vie ».  

 « Ce projet de vie et de ville représente alors une grande satisfaction » pour Jean-François Copé, maire de Meaux depuis 2002. Pays de Meaux habitat explique que « sur les 20 tours qui se dressaient à Beauval, 16 ont déjà été détruites et 4 restent à tomber. Chaque tour détruite a été remplacée par des immeubles de 4 étages, des espaces verts, ainsi que des équipements sportifs et des commerces de proximité ». Pour les habitants, ces tours étaient bien plus que de simples bâtiments, elles étaient le cœur d’une communauté, avec ses souvenirs, ses liens et une histoire collective.

Lire aussi. Lutter pour la cité : « Ce n’est pas que des bâtiments qu’on détruit, c’est nos vies entières »

Si la rénovation urbaine prétend améliorer la qualité de vie des habitants, elle pose de nombreux problèmes, à commencer par le relogement. Lors d’une démolition, les habitants se voient proposer jusqu’à trois solutions de logement, non seulement dans Meaux, mais aussi dans les communes alentour telles que Crégy-lès-Meaux, Nanteuil-les-Meaux ou encore Villenoy.

J’étais l’un des derniers à partir. L’immeuble a fini infester de punaises de lit, il était délabré

Pour Mohammed Aymerie, 53 ans, le relogement s’est fait dans la douleur. « Je suis resté à Chambord jusqu’en 2022. J’étais l’un des derniers à partir. L’immeuble a fini infester de punaises de lit, il était délabré », déplore-t-il. En situation de handicap, Pays de Meaux Habitat ne lui a proposé dans un premier temps que des logements inadaptés (sans ascenseurs, excentrés du centre-ville ou en dehors de Meaux). « Lorsque je suis arrivé dans mon nouveau logement, la résidence Buffon à Meaux, il y avait beaucoup de travaux à faire pour le rendre accessible. », souffle-t-il.

 « C’était chez nous » : la mémoire des habitants

De nombreux habitants entendent assister à la démolition, car l’attachement à ces pierres, même imparfaites, est fort. Sylvie s’est posée la question de faire le déplacement ou non. « C’est un peu comme se demander si on ira à l’enterrement d’un proche qu’on a beaucoup aimé ». « Quelque part, c’est un deuil », admet-elle, même si les souvenirs restent gravés et que « détruire ces grandes tours moches est dans l’air du temps ».

Sa mère âgée de 81 ans, qui habite désormais en Charente-Maritime (17), a, elle aussi, fait le déplacement pour l’occasion. Handy souhaite quant à lui venir voir la démolition accompagné de sa fille à qui il veut « montrer son histoire ». C’est aussi un moment qui se partage entre amis, en se remémorant des moments, comme l’a prévu Mohammed. « On va y aller avec deux ou trois potes, c’était chez nous ces grandes tours ».

Des bâtiments privés ont été reconstruits sur nos tours et on ne connaît pas les nouveaux habitants

D’autres démolitions ont par le passé redessiné les contours de Meaux. La première cible était l’historique quartier de Pierre-Co’. Même si elle n’était qu’une enfant à l’époque, Marietou Kaloga, 26 ans, se rappelle ce quartier comme un endroit où il faisait bon vivre, entourée de tous ses amis « Avant, il y avait cet esprit de famille, car on se connaissait tous. Maintenant, ce n’est plus pareil, des bâtiments privés ont été reconstruits sur nos tours et on ne connaît pas les nouveaux habitants. C’est chacun chez soi. » Aujourd’hui, elle sait mieux que personne ce que peuvent ressentir les habitants de Beauval.

Inès Bennacer

Photo ©Nordine Benchaib

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