L’arrivée à la gare RER donne le ton. Sur le quai qui dessert le Stade de France, ce mercredi 24 juillet, trois policiers contrôlent un jeune homme. Il a tout juste le temps de s’engouffrer dans une rame avant le départ du train. Les épreuves des Jeux olympiques sont à peine lancées, les patrouilles de police, elles, sont déjà bien en place. La ville de Saint-Denis accueille, comme d’autres villes de banlieues parisiennes, des épreuves sportives olympiques. Autour du nouveau centre aquatique et du mythique Stade de France, la présence de la police est bien visible.

Il y a beaucoup de flou et de craintes, notamment autour de la question des restrictions de déplacements

« On avait déjà l’habitude de se faire contrôler jusqu’à quatre fois par jour, mais là, ça va être beaucoup plus », souffle un jeune homme qui joue aux cartes dans le quartier de La Plaine, à quelques minutes de marche du stade. « On sent l’angoisse des gens. Il y a beaucoup de flou et de craintes, notamment autour de la question des restrictions de déplacements », précise Ambroise* du collectif Stop Violences Policières. « On a tous encore en tête l’arbitraire à l’œuvre pendant le confinement. » Et l’augmentation des signalements de violences policières.

« On se sent observé depuis quelques jours »

Droit en garde à vue, numéro d’avocats militants et conseil en cas de contrôle : le collectif, né en 2022, sillonne différents quartiers de la ville (Centre-ville, Pleyel et La Plaine) pour rappeler aux habitants leurs droits. L’idée est née pendant les révoltes liées au décès de Nahel. « Des parents et des militants étaient sortis spontanément faire de la prévention. Cela avait rassemblé pas mal de monde », se rappelle Ambroise, 27 ans.

On a reçu beaucoup de témoignages de gens qui avaient prévu de s’auto-confinés

Pour cette première maraude, une dizaine de militants arrivent au compte-goutte au point de rendez-vous. Quarante personnes prévoient de se relayer bénévolement jusqu’au 11 août. Seuls les dimanches n’ont pas trouvé preneur. « Il y a un terreau de gens qui se soucient de ce problème à Saint-Denis », rappelle le référent du collectif. Dans le cadre des maraudes, les figures militantes déjà en place ont été rejointes par des nouveaux, motivés depuis la bataille des législatives.

Sidra participe aux maraudes du collectif Stop Violences Policières avec huit autres personnes ce soir-là. ©MélineEscrihuela

De ma fenêtre, j’entends souvent des arrestations dégénérer

Sidra, une étudiante, fait partie des nouvelles recrues. Pas facile de vaincre sa « nature très timide » mais le jeu en vaut la chandelle. À Saint-Denis, JO ou non, la question des violences policières fait partie des préoccupations quotidiennes. « De ma fenêtre, j’entends souvent des arrestations dégénérer », souffle la jeune femme.

Avec une camarade, Sidra se met à descendre l’avenue du Président Wilson. Ici se côtoient bar à chichas et espaces verts ou des jeunes hommes viennent boire un verre ou taper du ballon. C’est le cas d’Henock, BAC en poche, qui joue au foot avec ses amis au square Diderot. Le collectif débite leur pitch. Le discours est bien reçu.

« On se sent observé depuis quelques jours. Je n’ose pas sortir de mon quartier. Au moins là, je suis tranquille », soupire le nouveau bachelier. Il aurait bien aimé assister à un match de foot, « pour l’ambiance ». « Je préfère partir en vacances, c’est mieux », lui conseille un ami, assis à ses côtés.

Les personnes abordées promettent de transmettre les informations à leurs amis ou sur leurs réseaux sociaux, comme ces deux jeunes garçons qui jouent aux cartes. ©MélineEscrihuela

Le dispositif policier n’est pas là pour rassurer les populations locales, mais pour maintenir les gens à l’écart

« On a reçu beaucoup de témoignages de gens qui avaient prévu de s’auto-confinés », alerte une des militantes venue participer à la maraude. « Le dispositif policier n’est pas là pour rassurer les populations locales, mais pour maintenir les gens à l’écart », analyse également Ambroise. Henock, le jeune du square Diderot, promet de transmettre les coordonnées du collectif à ses potes. « En plus », glisse-t-il, « j’ai plus de 1 000 abonnés sur Instagram ».

Dans la lignée des législatives, renouer le contact

« Les habitants sont réceptifs, voire émus, carrément », souligne Djeneba* qui a écoulé son stock de flyers rapidement. « On sent qu’ils ont besoin de parler de ce sujet-là. »

« On a besoin de gens comme vous. Cela donne chaud au cœur de voir que des personnes arrivent à comprendre ce que l’on vit », lance un jeune homme qui sort d’une épicerie. Au fil de la conversation, les langues se délient et laissent apparaître des blessures plus profondes. « On n’a plus trop l’habitude de se parler comme ça », fait remarquer un membre du collectif.

Le collectif ambitionne également de recenser sur la ville les victimes de violences policières. De son surnom « Le Pécheur », un jeune homme transmet son témoignage. ©MélineEscrihuela

Un jeune qui se fait surnommer « Le Pécheur » fait partie des victimes de violences policières recensées par le collectif lors de cette première maraude. Le soir du 14 juillet, il s’est interposé entre des policiers et son petit frère mineur, accusé d’avoir lancé un feu d’artifice. Le petit a été relâché sans poursuite, le grand a pris quelques coups.

« Cela permet de conscientiser le problème. Même si on voit déjà des vidéos de violences policières, ce n’est pas la même chose », observe une maraudeuse. Le collectif espère réitérer l’initiative au-delà du 11 août, pour les jeux paralympiques. « La solidarité, c’est tout ce qui nous reste ».

Méline Escrihuela

*Les prénoms ont été modifiés.

Articles liés