Il y a quelques années, alors qu’Ismaïl était encore un bébé, Chahra-Zad Bennabti assiste à une scène révoltante et annonciatrice de son combat à venir. Une dame âgée est déposée par des ambulanciers au pied de son immeuble. Celle-ci doit monter sans aide les 14 étages de son immeuble à pied, car l’ascenseur est en panne depuis près d’un mois déjà dans le quartier.

Chahra-Zad et d’autres résidents s’indignent et se donnent rendez-vous pour dénoncer cette situation. Pourtant, elle se retrouve seule le lendemain face au bailleur pour pousser un coup de gueule.

Mais quelques années plus tard, c’est elle qui va devoir se battre, pour son fils cette fois. Le 8 juin 2018, Chahra-Zad, accompagnée de ses enfants et de sa sœur, prennent l’ascenseur dans un centre commercial d’Argenteuil, depuis le parking souterrain. Au moment où les occupants sortent de la cabine, celle-ci se décroche et Ismaïl reste en partie coincé dans l’ascenseur qui l’écrase. Le petit garçon décède sous les yeux de sa famille.

Depuis ce drame, cette mère de famille et son entourage sont plongés dans un calvaire judiciaire. Aucun procès n’a encore eu lieu. Après la mise en examen de cinq sociétés d’ascensoristes en mai 2022, deux entreprises ont bénéficié d’un non-lieu et deux autres sont poursuivies pour homicide involontaire.

Une audience était prévue le 1ᵉʳ octobre à la cour d’appel de Versailles, mais elle a été reportée en décembre à la demande des sociétés de maintenance mises en cause.

Depuis, Chahra-Zad organise régulièrement des marches à Argenteuil pour rendre hommage à son fils et réclamer un procès. C’est après avoir assisté à une marche que le député Paul Vannier prend contact avec Chahra-Zad et les membres de son association (ADVA association de défense des victimes des ascenseurs) pour élaborer une proposition de loi. Un an et demi de travail plus tard, le texte est présenté à l’Assemblée nationale.

Reconnaître et indemniser les victimes

« Lors de mes échanges avec madame Bennabti, il est clairement apparu un manquement dans la loi. Les victimes doivent faire la démonstration de la responsabilité de l’ascensoriste ou du propriétaire de l’ascenseur lorsque surviennent des accidents. Cela est difficile et douloureux en plus du deuil auquel elles doivent faire face », explique le député du Val-d’Oise.

Et pour cause, les victimes et les familles endeuillées se confrontent à de grandes multinationales qui dominent le secteur et qui ont recours à plusieurs sous-traitants. Une fois mis en cause, ces entreprises ont les moyens de multiplier les contre-expertises, ce qui a pour effet d’allonger les instructions judiciaires.

La volonté du parlementaire est donc de s’inspirer et d’étendre aux accidents d’ascenseurs le dispositif prévu par la loi Badinter de 1985. La loi Badinter pose le principe de responsabilité du conducteur d’un véhicule impliqué dans un accident avec un piéton.

L’objectif est que la responsabilité du propriétaire du bâtiment dans lequel se trouve la cabine d’ascenseur soit directement engagée. Celui-ci pourra, le cas échéant et dans le cadre d’une procédure distincte, se retourner contre le fabricant de l’ascenseur ou ses prestataires, en s’appuyant sur leurs obligations contractuelles réciproques.

Cette loi vise également à créer une indemnisation pour toutes les victimes. Elle prévoit d’enclencher « un cercle vertueux de la responsabilité », selon l’élu. Ce qui aura pour effet d’inciter propriétaires, ascensoristes et sous-traitants à la plus grande vigilance dans les choix d’appareil, de fabrication ou d’entretien et qui permettra de réduire les pannes et les accidents d’ascenseurs.

La France possède le plus ancien appareillage en Europe

Avec 650 000 appareils en France d’après la Fédération des ascenseurs, l’ascenseur est le mode de transport le plus utilisé dans l’hexagone. On recense chaque jour 100 millions de trajets, un chiffre colossal. Toutefois, les usagers sont soumis à certains risques, car le parc français est le plus vieux d’Europe. Un quart d’entre eux ont plus de 40 ans.

Cette ancienneté et parfois cette vétusté entraînent de nombreuses pannes (1,5 million chaque année). Des dysfonctionnements plus fréquents dans le parc social, ce qui affecte le quotidien de nombreuses personnes, notamment les personnes en situation de handicap et les séniors. Ces pannes sont souvent dues à des défauts d’entretien qui peuvent occasionner des accidents. On compte en moyenne, en France, un mort par an dans un accident d’ascenseur.

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Ces dernières années, d’autres drames ont émaillé l’actualité et posés la question de la maintenance de ces appareils. Le 10 octobre 2015, Othmane Esshaymi, 7 ans, meurt asphyxié dans l’ascenseur défectueux de son immeuble à Mantes-la-Jolie. Plus récemment, le 3 mai 2023, Alaatin, un homme âgé de 79 ans, est retrouvé mort après avoir chuté dans une cage vide d’un ascenseur à Grigny dans l’Essonne.

Cet ascenseur était en maintenance et pourtant la porte extérieure s’est ouverte lorsque le septuagénaire s’apprêtait à y entrer. Peu de temps avant la chute d’Alaatin, un autre habitant s’est retrouvé lui aussi face au vide lorsqu’il a ouvert la porte de l’ascenseur. Il prévient aussitôt un technicien de la société Otis l’entreprise chargée de la maintenance présent le jour du drame qui a constaté ce problème. Mais néanmoins, quelques heures plus tard, Alaatin chute dans cette cage d’ascenseur.

La fille d’Alaatin a pris contact avec Chahra-Zad lors de la mort de son père. Le décès du retraité la profondément marquée et a été l’une des raisons de son engagement pour cette proposition de loi. « On est régulièrement sollicité par des victimes et des résidents pour des problèmes d’ascenseurs. Notre travail est d’écouter et d’interpeller les bailleurs pour trouver une solution et que ça soit réparer rapidement. Notre but est d’aider tout le monde, car les dysfonctionnements sont communs. Nous voulons fédérer une bonne partie des députés autour de cette proposition de loi », assure Chahra-Zad.

« De nombreux parlementaires comprennent l’enjeu, il s’agit ici de la protection des usagers »

Cette proposition de loi transpartisane a été cosignée par 75 députés pour le moment, issus d’au moins cinq groupes de l’Assemblée nationale (Nouveau Front Populaire, Liot et Modem). Paul Vannier doit en réunir davantage afin de mettre la proposition de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée Nationale.

« Il est possible de parvenir à cette inscription, car de nombreux parlementaires comprennent l’enjeu. Il s’agit ici de la protection des usagers », veut-il croire.

Aïssata Soumaré

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