Pour trouver Ahmed les week-ends au matin ou les soirs en semaine, rien de plus simple, il suffit de regarder où se trouve la foule. Au moins deux fois par semaine, il participe à des maraudes avec Solidarité Migrants Wilson. Le slogan de l’association parle de lui-même : « État maltraitant, citoyens solidaires ».
Avec elle, il distribue petits déjeuners, produits d’hygiène et informations dans différentes langues aux réfugiés, migrants, sans domicile et précaires. C’est d’ailleurs là que je l’ai rencontré pour la première fois. Mais il n’a rien du bénévole classique tel qu’on se le représente. Il est noir, grand, fin. Ahmed ne fait pas partie de la classe sociale aisée, ni même moyenne. Ironie du sort, faute d’avoir une place dans un logement « traditionnel », il vit lui-même dans un habitat précaire : un squat « autorisé » au nord de Paris.
Ahmed est réfugié soudanais, un pays en guerre, a une carte de séjour valable jusqu’en 2029. Soudeur de profession, il travaille une trentaine d’heures par semaine dans une boîte de métallurgie et touche à peine le SMIC. « Ce n’est pas seulement moi qui ne trouve pas de logement, c’est la moitié des Soudanais que je connais ! Et même avec un salaire, je n’arrive pas à trouver… »
« Moi, j’ai envie d’aider tout le monde »
Des refus pour ses demandes de logements sociaux ou places en foyer, il en a essuyé beaucoup. Pour lui, cette situation est d’autant plus dure à avaler, qu’elle tranche avec l’accueil réservé aux réfugiés Ukrainiens. Dépité par la situation, il raconte comment des espaces d’accueil sont réservés aux exilés du pays en proie à la guerre à l’est de l’Europe. Les réfugiés et demandeurs d’asile d’autres nationalités ne peuvent pas y accéder, même lorsqu’il reste de nombreuses places vides. « Tout le monde est pareil, ce n’est pas juste », répète-t-il.
« Surtout que moi, j’ai envie d’aider tout le monde, peu importe la couleur de peau », précise-t-il. C’est justement comme ça que commence son histoire avec Wilson. « J’étais sur un camp de fortune de réfugiés à Paris, et un Soudanais est mort, se remémore-t-il. J’ai appelé les services d’urgence, mais ils ne sont pas venus, j’attendais encore des heures plus tard. »
C’est auprès de l’association Wilson qu’il trouvera finalement du secours. « Beaucoup de collectifs nous ont aidés et ensemble, on a cherché des moyens pour le rapatrier, ce qu’on a réussi à faire », ajoute-t-il.
Depuis, Ahmed accompagne Wilson pendant ses maraudes. Comme les autres bénévoles, il prépare tartines de confiture, chocolat, café et autres produits récupérés. Il fait aussi l’interprète en arabe, et peut s’improviser service d’ordre quand la situation se tend, quand les bénévoles se retrouvent face à des personnes agressives.
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Il tient à décrire les bénéficiaires et défaire les idées reçues. « Ce n’est pas vraiment la même image que ce qu’on peut voir à la télé. Ce ne sont pas des criminels », affirme-t-il. Quand Ahmed ne fait pas des distributions, il est au cœur des manifestations contre le racisme, les violences policières ou le projet de loi Asile Immigration.
Il veut surtout rendre ce qui lui a été donné indirectement avant qu’il n’arrive en France. « Des gens ont fait des manifs pour moi en marchant pour les sans-papiers et les réfugiés. Moi aussi, je veux manifester pour les autres, comme je peux. »
Lorsqu’on lui demande s’il n’a pas peur de se faire embarquer par la police ou de subir des violences policières, il répond par la négative. « La police, c’est rien pour moi. » Cette violence était omniprésente dans sa vie passée au Soudan. « Les forces armées ont brûlé ma ville à 6h du matin. On a dû se battre avec ce qu’on avait et fuir. Je vivais dans la guerre, tout le temps, des balles partout… J’ai fini prisonnier et ma famille dans un camp de réfugiés. »
S’il a réussi à échapper à ses geôliers et s’enfuir du pays, sa famille est toujours sur place. Avec la reprise de la guerre en ce début d’année et les difficultés d’accès à Internet, il n’a pas eu de nouvelles pendant plusieurs semaines.
Apporter son soutien
Le manque se fait sentir. Mais impossible pour lui de retourner au Soudan où il est accusé d’être un opposant politique. « Je n’ai pas le droit d’y aller, c’est trop dangereux avec les militaires. On risque de m’enfermer en prison comme j’ai refusé d’être militaire et de tuer des personnes. » Ses parents, frères et sœurs ne peuvent pas venir en France pour l’instant.
En attendant de les revoir, il continue maraudes et manifestations et apporte son soutien aux personnes vivant à la rue. C’est ça façon à lui de se battre pour une société meilleure qui pourra recevoir dignement sa famille. D’ici quelques mois, il espère pouvoir passer le test pour obtenir la nationalité française.
Christiane Oyewo