Les soutiens de Théo vont et viennent au fil des jours. À droite de la salle d’audience, les bancs sur lesquels s’amassent proches et collègues des policiers accusés ne désemplit jamais tout à fait.
À l’image de cette salle d’audience de la cour d’assises du tribunal de Bobigny, la première semaine de débat dévolue au procès des trois policiers impliqués dans l’affaire Théo a donné place à la version de la police et aux conclusions des enquêteurs de l’IGPN.
Marc-Antoine Castelin, Jérémie Dulin et Tony Hochart, les trois policiers de la brigade spécialisée de terrain (BST) d’Aulnay-sous-Bois, risquent entre 7 et 15 ans de prison pour violences volontaires commises contre Théodore Luhaka en février 2017. Depuis le 9 janvier, différents services de police ont dressé un portrait élogieux de ces hommes.
Trois policiers présentés comme exemplaires
« Certains fonctionnaires peuvent provoquer l’outrage. Effectivement, on avait des noms qui tournaient chez nous. On se disait : ‘tiens, encore un tel’ », raconte Romain Furic, ancien flic passé par la Police Judiciaire et l’IGPN. En février 2017, il est chargé de l’enquête rédigée par la police des polices. Les trois policiers d’Aulnay ne sont alors pas sous son radar. Encore moins sous ceux de l’institution, fréquemment critiquée pour sa connivence avec ceux qu’elle est censée surveiller.
Au premier jour du procès, les enquêteurs de personnalité ont fait part de leur étonnement de retrouver les trois policiers sur les bancs des accusés. Un « père extraordinaire », un garçon « avec beaucoup de copains à l’école » et un autre au « parcours scolaire brillant ». Tout juste, Jérémie D., qui fait face à des accusations de violences volontaires avec arme (sa gazeuse à main), est décrit comme « impulsif » par ses proches.
Marc-Antoine Castelain, accusé d’avoir effectué deux coups de matraque sur Théodore Luhaka qui le laisseront handicapé à vie, est décrit comme un policier animé par sa mission de service public. Un de ses collègues viendra témoigner à la barre pour décrire un professionnel sans tache. L’audition d’Erwan Guermeur, représentant du syndicat Unité-SGP, ne dira pas qu’il est lui-même mis en cause pour des faits de harcèlement.
Je ne crois pas aux violences policières dans le sens premier du terme
« J’ai utilisé un coup qui m’a été enseigné en école. J’estime qu’il était réglementaire et légitime », récite Marc-Antoine Castelain. « Est-ce que vraiment, vous n’avez rien à faire dans une cour d’assises ? », tente Maître Vey, l’avocat de Théo. « Je ne crois pas aux violences policières dans le sens premier du terme. Il n’y a pas de policier qui décide un matin de faire des violences policières, non », esquive l’accusé.
Les policiers enquêteurs, qui se sont succédé à la barre, n’ont pas dit autre chose.
« L’IGPN une et indivisible »
Romain Furic a repris en compte les premières déclarations de Castelain, selon lesquelles Théo « aurait glissé sur sa matraque ». « Je pense qu’il s’agissait juste de quelqu’un qui, sous le coup de l’incompréhension, cherche une explication à quelque chose qu’il n’arrivait pas à expliquer », déclare le policier qui a diligenté l’enquête à l’IGPN.
C’est ainsi qu’à plusieurs reprises, les membres de l’IGPN ont paru sortir de leur rôle, présentant des interprétations personnelles plutôt que des conclusions basées sur des faits. Quand Romain Furic parle des déclarations de Théo, en revanche, il les qualifie de « supputations », et semble faire peu de cas de certains éléments à même de biaiser son enquête.
« Forcément, si vous avez des gens dont les noms reviennent, vous allez les traiter plus durement que des personnes que vous interrogez pour la première fois », confesse-t-il par ailleurs.
« Nous n’avions jamais connu de telles accusations portées sur les forces de l’ordre », exprime également Jean-François Ligout, commissaire chargé de l’enquête pré-disciplinaire de l’IGPN. Missionné pour déterminer si les gestes des policiers méritent une sanction en interne, l’homme travaille depuis à Lyon (Rhône). Un dépaysement qui ne dit pas son nom ? « L’IGPN est une et indivisible », rappelait-il à bon escient jeudi.
« Des gestes clairement irréguliers et non réglementaires »
« Nous avons écarté sans aucun doute possible dans nos esprits le caractère volontaire de la pénétration », admet-il. Même s’il voit dans les techniques des policiers Castelain et Dulin des « gestes clairement irréguliers et non réglementaires ».
« Monsieur Castelin explique ses coups parce qu’il était obnubilé par le fait de protéger son collègue. Sauf qu’aux images, on ne voit pas Monsieur Luhaka ni piétiner, ni donner des coups de pieds [à son collégue] », tranche le commissaire de l’IGPN.
« J’ai cru comprendre que le conseil de discipline avait proposé un blâme, c’est-à-dire la deuxième plus basse sanction », précise-t-il. Les trois policiers font toujours partie de la police.
La qualification de viol non retenue
Que penser alors des conclusions de son enquête, et du fait que l’IGPN n’ait pas retenu la qualification de viol, sur la base du caractère non sexuel des intentions de l’auteur ? Des conclusions qu’elle a transmises au juge d’instruction et qui ont ensuite fait l’objet de revirements successifs au fil du processus judiciaire.
En effet, selon la loi, « il y a viol lorsqu’un acte de pénétration sexuelle ou un acte bucco-génital est commis sur une personne, avec violence, contrainte, menace ou surprise » (art. 222-23 du Code pénal). C’est le caractère intentionnel d’une pénétration « sexuelle » qui n’a pas retenu par le parquet.
Ces décisions se sont vraisemblablement appuyées sur des éléments de jurisprudence datant des années 1990. Cela est sans doute dû au manque de cas de nature similaire qui ont pu parvenir jusqu’aux tribunaux. Cependant, il est important de noter que l’évolution de la compréhension du viol a grandement évolué sur les questions de genre ces cinq à dix dernières années.
« Dans cette affaire, il y a plusieurs victimes »
« Il faut prendre en compte le stress. Aussi bien pour Monsieur Luhaka que pour les policiers », rappelle l’IGPN. Avec son mètre 90, Théo aurait fait preuve d’une « force déployée », clament en chœur les policiers.
« Dans cette affaire, il y a plusieurs victimes », affirme Marc-Antoine Castelain. « Nous, on est victimes autrement. Par la médiatisation. Alors évidemment, je ne vais pas me victimiser plus que ne peut l’être Monsieur Luhaka (…) mais j’ai vachement subi dans cette affaire », lâche le policier de 34 ans.
Assis au premier rang, le jeune homme, qui a fêté ses 29 ans mardi dernier, est resté impassible tout au long de la semaine. Il n’a tremblé qu’une seule fois. Le deuxième jour, quand le tribunal a diffusé des photos de son sous-vêtement après sa blessure.
La peine des quartiers n’existe pas
« Il a peu été soutenu par ses collègues Monsieur Luhaka », raillait au deuxième jour Monsieur Furic. De l’interpellation violente du 2 février 2017, seules deux vidéos restent. L’une prise par les caméras de la ville, l’autre prise depuis un immeuble par une habitante de la cité Rose des Vents. On y voit 12 personnes gravitant autour de Théo et des policiers. Certains sont en train de filmer. Seuls deux ont été entendus par l’IGPN, sept n’ont pas été identifiés, trois n’ont pas répondu aux convocations.
Il existe un rapport non régulé entre certaines classes de la population et la police
« Il faut plutôt se demander pourquoi les jeunes d’Aulnay-sous-Bois ne veulent pas témoigner », souffle au Bondy Blog, Maître Vey, entre deux débats. « Je pense qu’ils ont peur ».
« Il existe un rapport non régulé entre certaines classes de la population et la police », poursuit l’avocat. « Nous avions convoqué un témoin, mais il a changé d’avis par crainte. On respecte son avis. Mais on peut trouver cela bizarre que pour les autres témoins, la justice n’ait pas fait appel à la force pour les faire venir », remarque Maître Vey.
« Cela ne sait pas passé de la manière dont cela a été décrit »
Attendus après deux jours dédiés aux enquêtes de police, trois témoins ont été entendus. Le tribunal a craint que Keidy C. ne se dérobe. Il a finalement témoigné à la barre jeudi après-midi.
« J’ai entendu dire que les policiers étaient venus vers nous de manière calme. Cela ne sait pas passé de la manière dont cela a été décrit », commence cet ancien chauffeur-livreur. « Les policiers disaient avoir entendu le cri d’un guetteur. On leur a dit que le son venait d’ailleurs, mais ils étaient sûrs d’eux », se rappelle-t-il.
D’après son témoignage, Castelain aurait giflé un jeune présent, qui aurait tenté de répondre avant que Théo l’en empêche. La situation dégénère.
Les policiers ont fait exprès d’emmener Théo derrière le mur
Keidy C. est la seule personne du dossier à déclarer avoir vu les policiers baisser le jogging de Théodore Luhaka. Puis, « les policiers ont fait exprès d’emmener Théo derrière le mur. Ils sont protégés deux fois : entre collègues et par le manque de caméra. Comment justifier un contrôle abusif si on ne le voit pas ? ».
En face, la présidente le tance : « Vous aviez déjà eu des problèmes avec la Brigade spécialisé de Terrain ? »
Keidy C. : « Qu’est-ce que vous appelez un problème? »
La présidente : « Un contrôle abusif ».
Keidy C. : « C’est quotidien en vivant aux 3000. La BST, ils ne viennent pas pour dire bonjour ».
Ce témoignage est suivi de celui de Mohamed F., intervenant culturel à Aulnay depuis 28 ans. « J’ai vu le petit Théo au sol, en train de suffoquer. J’ai essayé d’intervenir, mais un policier m’a dit ‘Va-te-faire-foutre’ », décrit le cinquantenaire. « Ils parlent comme ça les policiers ? », rudoie la présidente.
La scène était « insoutenable », se rappelle Mohamed. « Je ne pensais pas que cela puisse exister [une telle attitude de la part des policiers]. J’ai cru jusqu’au bout qu’un des policiers allait calmer les choses ».
Ambre Couvin et Méline Escrihuela