photo de l'équipe du Bondy Blog

Ensemble, faisons résonner la voix des quartiers populaires.

Le Bondy Blog a besoin de vous. Soutenez le média libre qui raconte des histoires qu'on n'entend pas ailleurs.

Je fais un don

« Quand j’ai vu que ma cliente était convoquée devant la 31ᵉ, je me suis demandée s’il n’y avait pas eu une erreur. C’est bien qu’il y ait ce genre de chambre dédiée », salue Me Sylvie Queiroze, avocate à Tremblay (Seine-Saint-Denis).

Début mars, au tribunal judiciaire de Bobigny (93), une chambre un peu spéciale traite d’une violence du quotidien : celle exercée contre les femmes. Créée au mois de novembre, la « 31ᵉ » a vu passer pendant plusieurs mois des auteurs poursuivis pour agression sexuelle, coups ou encore violences psychologiques sur leur ex-conjoint.

Cette chambre  « bonus » s’inscrit dans une montée en puissance du tribunal de Bobigny qui prévoit de faire face à 200 gardes-à-vue durant la période des Jeux Olympiques. La lutte contre les violences faites aux femmes a ainsi profité de l’augmentation de moyens humains octroyés par le ministère de la Justice.

Il y a entre 15 et 16 audiences par semaine sur cette problématique de violences intrafamiliales

Car face aux piles de dossiers qui s’accumulent, la difficulté est de « faire du cousu main » pour chaque affaire, admet le procureur du tribunal, Éric Mathais. Selon les chiffres de l’Observatoire des violences faites aux femmes en Seine-Saint-Denis, 11,6 femmes pour 1 000 sont victimes de violences dans le département, contre 8,4 pour 1 000 dans le reste de la France. Les plaintes enregistrées par les services de police ont également bondi : plus 2,3 % en cinq ans.

« Il y a entre 15 et 16 audiences par semaine sur cette problématique de violences intrafamiliales », a précisé Peimane Ghaleh-Marzban, président du tribunal judiciaire, lors du colloque annuel de l’Observatoire organisé le 5 mars dernier. En plus d’audiences délocalisées dans les tribunaux de proximité, la juridiction a créé un pôle Violences Intra-Familiale pour diffuser les informations entre les différents services de protection. « Potentiellement, cela représente 50 % de l’activité pénale du tribunal de Bobigny. Mais il faut rester modeste. Aucun triomphalisme », prévient-il.

Le procureur de la République, lors des audiences de la 31e chambre @MartheChalardMalgorn

La Cour des délits

« À notre rencontre, j’ai eu un coup de cœur », glisse d’une voix douce, S., carré court et pommettes rebondies. Quelques mètres seulement la séparent de son ancien conjoint dans la salle d’audience du tribunal de Bobigny. Son ex-conjoint est jugé pour « violences habituelles » psychologiques, physiques, sexuelles et économiques, détaille la présidente Emmanuelle Quindry lors des débats. L’homme de 45 ans a bénéficié d’un non-lieu pour les faits de viol.

Il y a une dizaine d’années, l’Observatoire notait que 43 % des affaires d’agressions sexuelles jugées à Bobigny pouvait être qualifiées de viol. En 2024, la pratique de correctionnalisation a toujours cours, favorisée par la loi 9 mars 2004 qui permet la requalification des faits en délit avec l’accord de la victime. Les trois différentes affaires observées par le Bondy Blog étaient de cette espèce.

Le prévenu et la plaignante, S., lors de l’audience @MartheChalardMalgorn

Il me disait que j’allais finir comme la femme dans l’affaire Daval

« Il me disait que j’allais finir comme la femme dans l’affaire Daval », raconte avec précision la victime. Les premiers coups tombent alors que la jeune femme est enceinte. Une agression qui lui fera perdre un enfant à naître, précise la plaignante. Son compagnon sombre alors dans l’alcoolisme, et dans la violence. « Pendant le confinement, il m’a frappée pendant quatre jours non-stop », poursuit-elle.

Mère de deux jumeaux, S. finit par porter plainte après le 8 mars 2021. Cette nuit-là, son compagnon rentre au domicile alcoolisé. Les coups pleuvent alors que les enfants sont présents. « Un déclic » qui la pousse à se rendre au commissariat.

Aux policiers, la jeune femme dit tout, même le plus banal. Son compagnon, qui perçoit les allocations familiales sur son compte, refuse de remplacer la machine à laver en panne. « Pendant un an, vous avez laissé votre compagne s’occuper du linge, avec deux enfants en bas âge, toute seule ? Et vos enfants, vous vous en occupiez ? », s’enquiert la présidente. « J’évitais de les porter. Mais c’est parce qu’à cet âge-là, les bébés sont très fragiles », affirme, sûr de lui, le prévenu, blouson en cuir et crâne dégarni. « Pendant un an, j’étais dans un épuisement moral et physique total », évoque de son côté sa conjointe de l’époque.

Depuis le mouvement Me Too, des avancées dans la prise en charge des victimes

À la 31ᵉ, l’audition des victimes commence à chaque fois de la même manière. « Comment allez-vous ? », questionne inlassablement la présidente des débats. « Je me demande pourquoi c’est tombé sur moi », rétorque la victime. « Vous n’avez aucun reproche à vous faire, Madame », la coupe l’une des magistrates.

Quelques instants plus tard, son ancien compagnon écope de quatre ans de détention à domicile sous surveillance électronique dont deux ans de sursis ainsi que de la suspension de l’exercice de l’autorité parentale. « La réflexion sur son comportement n’est pas du tout aboutie », alerte la procureure Marie Lebo, également référente en matière de violences conjugales au tribunal judiciaire de Bobigny.

« La Cour est attentive à ce genre de sujet », se félicite Me Sylvie Queiroze, avocate d’une autre victime. La présidente de la 31ᵉ chambre a été auparavant juge des enfants au sein du même tribunal. Un parcours qui la situe « au plus proche » des victimes, juge l’avocate.

La partie civile et le mis en cause lors de l’audience @MartheChalardMalgorn

Dans d’autres circonstances, le prévenu aurait pu être relaxé

Dans une seconde affaire de viol, requalifié en atteinte sexuelle, la présidente dissèque, fait répéter jusqu’à donner le tournis, cherche les contradictions. Que s’est-il passé dans cet appartement de Noisy-le-sec (93) au petit matin en janvier 2020 ?

Se tassant sur sa chaise, une femme de 48 ans décrit un schéma. Son mari de l’époque, sous les effets de l’alcool, a des accès de violence. Ce soir-là, elle crie à l’aide par la fenêtre. C’est un homme travaillant au marché en contrebas qui appelle les secours.

La victime est soutenue durant l’instruction par son fils et son neveu. Devant les enquêteurs, ils témoignent avoir assisté à plusieurs scènes similaires. De son côté, le prévenu « indique qu’il s’agit d’un coup monté par Madame », lit la présidente. Il a en souvenir un « week-end festif » autour d’un match de foot à la télé.

On ne la sent pas dupe. « Quand vous souhaitez avoir une relation sexuelle, vous dites qu’à force d’insister madame finit par accepter. Vous trouvez ça normal, Monsieur ? », insiste-t-elle. Le procureur du jour requiert cette fois-ci cinq ans de prison ferme dont deux avec sursis.

« Dans d’autres circonstances, le prévenu aurait pu être relaxé », analyse l’avocate de la victime. « Toutes les affaires ne passent pas par la case de l’instruction. Pour les victimes, cela peut paraître long, mais cela a permis d’entendre plus de témoins », certifie l’avocate.

L’affaire a été mise en délibéré. La victime attendra encore quelques jours de plus pour connaître la sanction de son bourreau. La 31ᵉ chambre, conçue dès le départ comme une chambre de délestage pour réduire le nombre de dossiers, place désormais ses efforts sur les comparutions immédiates. Un changement de politique pour mettre le cap sur les JO.

Méline Escrihuela

Illustrations : Marthe Chalard-Malgorn

Articles liés