« Pendant les JO, ça doit être une immense fierté pour le porte-drapeau de montrer cet étendard à tout le monde. C’est pareil pour moi », image Amine, supporter parisien depuis son plus jeune âge et actif au Collectif Ultras Paris (CUP) depuis 2016. Cette comparaison, en cette année olympique, fait écho au sentiment d’appartenance qu’anime l’homme de 27 ans, et une partie de la jeunesse racisée de région parisienne envers son club phare.
Un engouement qui peut paraître paradoxal. Le Paris-Saint-Germain est le symbole du football moderne où les logiques marchandes priment. Bien loin des intérêts de jeunes de quartiers populaires. Aussi, le supporterisme parisien fait figure d’exception (avec Marseille) puisque la plupart des tribunes ultras en France sont blanches. « Je le constate en déplacement, oui. Aller au stade, représenter sa ville et son club, ça peut prendre une tournure identitaire, c’est indéniable. Mais pas à Paris », rapporte le président du CUP Romain Mabille lors d’un entretien mené par Daniel Riolo pour la revue de l’After foot consacré au peuple du football en 2022.
Ici c’est Beriz
« J’ai rejoint le groupe qui me ressemblait le plus, avec des gens de la même origine et dont certains pratiquent la même religion. C’est un sentiment spécial », détaille Amine, issu de l’immigration marocaine. En effet, au sein du CUP, qui compte plusieurs milliers de membres, plusieurs groupes distincts existent. Certains, comme la K-Soce Team, sont en grande partie composés de personnes non blanches. Quant au Beriz Crew, groupe apparu il y a quelques mois, il emprunte le terme “Beriz” (Paris) à la langue arabe.
Pour rappel, le mouvement ultra-parisien s’est construit à travers une lutte entre les deux tribunes populaires – Auteuil et Boulogne – qui étaient opposées politiquement. La tribune Boulogne, incarnée par le poids d’une frange turbulente particulièrement raciste et violente, se retrouve au centre de nombreuses polémiques à partir des années 1980.
Dans ce contexte, le virage Auteuil émerge à partir de 1991 avec les Supras. La tribune est perçue comme plus ouverte et sa composition n’est pas excluante envers les arabes et les noirs. Alors qu’une partie de la génération CUP n’a pas connu cette époque, Jean âgé aujourd’hui de 31 ans et originaire de Guinée-Bissau, témoigne du climat qui régnait lors de son premier match au Parc des Princes en 2002.
Un stadier a dit à mon frère qu’il y avait beaucoup de racistes ici et que ça pourrait être dangereux pour nous
« Mon grand frère m’a laissé le choix de la tribune et j’ai choisi Boulogne dont la renommée était plus grande. Nous n’étions pas au courant de sa tendance politique et un stadier a dit à mon frère qu’il y avait beaucoup de racistes ici et que ça pourrait être dangereux pour nous », explique l’habitant de Clichy-sous-Bois.
Pendant des années, les tensions sont vives, avec des moments d’extrême violence. Le pic est atteint le 28 février 2010 avec le drame survenu en marge d’un PSG-OM où un supporter de Boulogne décède après des affrontements. Toutes les associations de supporters impliquées sont dissoutes par le plan Leproux en 2010. Un événement qui signe la disparition du supportérisme actif parisien pendant plusieurs années.
Le club réintègre les ultras à Auteuil sous l’égide du Collectif Ultras Paris en 2016. Ses membres revendiquent l’héritage de la tribune historique. « C’est comme une évidence pour quelqu’un de racisé d’aller à Auteuil. Même si la guerre avec Boulogne est finie depuis plus de dix ans, c’est resté dans l’imaginaire collectif », indique Thomas*. Récemment diplômé en marketing du sport. Ce dernier a fait ses premiers pas dans les travées du Parc des Princes en 2008.
« C’était incroyable pour moi de croiser autant de personnes en maillot du PSG. Avec l’OM et l’OL en forme, c’était rare de rencontrer de fervents supporters de Paris en région parisienne », détaille l’Essonnien. Un constat partagé par Amine qui se considérait comme un intrus dans sa ville du Val-de-Marne.
De spectateur à supporter actif
Mais alors comment s’opère le processus de transformation d’un spectateur passif à celui qui participe activement au match ? Happés par un élan irrationnel, leur attention se porte non pas sur le terrain, mais sur l’ambiance, avec une fascination pour les chants, les chorégraphies et la pyrotechnie.
« J’allais au stade avec mes proches en quart de virage. Subjugué par Auteuil, je regardais plus les ultras que le match. Contre Auxerre en 2007, je me suis mis torse nu et je me suis promis de les rejoindre en grandissant », confie Amine, abonné depuis la saison 2017-2018, et travailleur dans le secteur de l’énergie. La perception d’Auteuil comme une tribune où des profils très variés sont représentés aide à intégrer ce milieu fermé.
Cétait important d’être dans une tribune antiraciste, qui me ressemble
« En 2009, j’étais assis près de Boulogne, mais captivé par la quantité impressionnante de drapeaux et de groupes à Auteuil. Ayant des convictions politiques, c’était important d’être dans une tribune antiraciste, qui me ressemble », relate Thomas. Beaucoup de membres sont insérés grâce au bouche-à-oreille ou par l’intermédiaire d’un ami. Amine considère le groupe de supporters comme une deuxième famille pour laquelle on sacrifie son temps, en dépit du travail ou des études, avec l’ambition de faire rayonner la ville de Paris en se cassant la voix, selon les termes d’un chant entonné à Auteuil.
Le chant des ultras
« Chanter avec sa bande de potes dans un but commun pendant 90 minutes, se déplacer à 500 km, ça va bien au-delà du foot qui est limite secondaire. Les gens ont du mal à comprendre et nous prennent pour des fous », explique Thomas.
Depuis le début de son investissement, il y a cinq ans, il est très attaché au tifo, un outil d’animation essentiel importé d’Italie, pays de naissance de la culture ultra. « C’est impressionnant visuellement, donc ça fait parler les gens. C’est à nous de perpétuer l’héritage laissé par les anciens dans cet art. » Le soutien absolu et à plein temps de l’ultra est un élément central et permanent de son identité. L’engagement jusqu’au-boutiste peut être considéré comme une sorte d’extrémisme du supportérisme.
« Quand je prenais les transports alors qu’il faisait -5 degrés pour aller dans des usines désaffectées préparer les tifos, c’était la galère », assure Amine. Des efforts qu’il justifie par un attachement au club et à Paris. « J’aime aussi ma ville et son architecture magnifique. Il y a plusieurs portes d’entrées pour défendre le club, la ville et ses couleurs. »
Cette défense de l’identité parisienne est exacerbée lors des matchs à l’extérieur du PSG et des centaines, voire des milliers, de passionnés qui les suivent. Ces moments sont spéciaux en termes d’espace de socialisation et de camaraderie sur le trajet. Au stade, le but est de faire plus de bruit que les locaux. « Je préfère mille fois aller dans les parcages à l’extérieur, en France ou en Europe, qu’au Parc des Princes », clame Amine.
Le déplacement, comme symbole de représentation
Le propos peut surprendre, mais il est loin d’être isolé dans le milieu ultra, parmi les personnes habituées à suivre leur club à l’extérieur. Côté parisien, on revendique la supériorité de la capitale sur le reste de l’Hexagone. Pour la justifier, il est indispensable de s’emparer du match des tribunes. Dans ce cadre d’opposition, les liens sulfureux entre le foot et la politique jaillissent.
« Pour une personne de couleur, c’est encore plus spécial. Dès notre arrivée en tribune le 2 février dernier à Strasbourg, on voit quelqu’un faire un salut nazi. On a aussi vu des gens faire des cris de singe à Lille. C’est grave, mais c’est comme ça que les Parisiens sont vus. On en rigole et on ressent encore plus de fierté », témoigne Thomas, dont la mère est malgache, illustrant le statut du stade comme miroir grossissant de la société.
Au moment où les tribunes françaises se radicalisent à l’extrême-droite, c’est bien que des gens issus des quartiers aient le leadership
Son camarade Jean s’est désintéressé du PSG après avoir lutté contre les conséquences du plan Leproux aux côtés de son groupe d’amis, indépendamment du club et des autres entités de la tribune. « La plupart avaient des affinités politiques similaires, ils étaient originaires de banlieue et issus de l’immigration extra-européenne », décrit le travailleur social qui suit la recomposition du supportérisme parisien à distance.
« Au moment où les tribunes françaises se radicalisent à l’extrême-droite, c’est bien que des gens issus des quartiers aient le leadership à Paris avec la K-Soce Team ou à Marseille avec les Winners. Même si cela implique un lot de contradictions, comme la complaisance avec les dirigeants ou des prises de position politiques semblables à la gauche mainstream », poursuit-il.
Gardiens de l’histoire du club
La direction parisienne déploie une stratégie de conquête de nouveaux publics-consommateurs à l’international. Mais la foule qui anime le Parc des Princes au présent reste attachée à un passé dont elle se réclame en espérant ne pas être effacée du futur. En ce sens, le rapport de forces entre les différentes parties autour d’un changement de stade espéré par le président du club Nasser Al-Khelaïfi, bloqué par la mairie de Paris, et redouté par le CUP est engagé.
Pour l’heure, le PSG a rendez-vous avec son destin continental en Ligue des Champions, dans son enceinte historique, face à la Real Sociedad avant le match retour chez les Basques le 5 mars prochain. « Tout le monde sait qu’on se déplace massivement et qu’on a une grosse ferveur. Les cortèges d’avant-match font systématiquement le tour des médias sociaux. On mérite d’être dans le top européen », conclut Amine.
Embarek Foufa
*Le prénom a été modifié