Comme chaque samedi matin au marché du Vieux Pays d’Aulnay-sous-Bois (93), les habitants de la ville font leurs courses. Le temps est ensoleillé malgré la fraîcheur matinale. Dans un ballet régulier, les personnes âgées traînent leur chariot et s’arrêtent pour se saluer et discuter. Ici, rien ne laisse penser que nous sommes le 17 novembre, journée de mobilisation des « gilets jaunes » contre la hausse du prix des carburants, un mouvement citoyen qui se veut sans affiliation politique et qui a organisé manifestations et blocages à travers la France.
En « soutien » au mouvement, c’est sur le marché d’Aulnay-sous-Bois que se sont réunis une dizaine d’élus et de militants des Républicains (LR). Ils sont là aujourd’hui pour un tractage à l’initiative du maire LR de la ville, Bruno Beschizza, absent des lieux. Comme les manifestants, eux aussi arborent des gilets jaunes en distribuant des tracts estampillées par la Fédération LR de Seine-Saint-Denis pointant la hausse des carburants.
Lutte des classes et convergence des luttes à droite
Récupération ? Les militants rejettent la suspicion d’un revers de la main : un des adjoints au maire LR de la ville, Denis Cahenzli, considère qu’il est « un citoyen comme les autres » et qu’il a « le droit de manifester son mécontentement ». Indiquant que cet événement a été lancé en raison de l’absence de mobilisation autour d’Aulnay-sous-Bois, l’élu pointe du doigt « le manque de pédagogie du gouvernement ». « Cette hausse du carburant risque de ralentir voire de casser la dynamique autour de l’écologie », estime-t-il. Toutefois, lors de sa prise parole, il utilisera des éléments de langage du tract et fera référence au “racket fiscal” des automobilistes.
Fouad El Kouradi, lui aussi adjoint au maire, assure qu’il est venu à ce tractage en tant que « gilet jaune » pour lutter contre toutes les hausses de taxes. La distribution des tracts estampillés LR serait, selon lui, « un plus ». « L’actuel gouvernement tue les classes moyennes. Il ne restera que la classe la plus haute et les… », s’interrompt cet adjoint au maire de droite, à deux doigts d’épouser les thèses de Marx. Soucieux de garder son anonymat, un autre adjoint, tendance Wauquiez, n’hésitera pas à appeler à la « convergence des luttes ».
Tous azimuts, les militants LR attaquent la politique du gouvernement et affirment que la hausse des carburants serait « la goutte d’eau qui fait déborder le vase », reprenant les éléments de langage du mouvement « des gilets jaunes ». Sur le marché d’Aulnay-sous-Bois, ils réagissent aux sujets du logement, de l’emploi et des retraites. «Il donne des milliards aux entreprises mais taxe les retraités, alors qu’on consomme », s’emporte Chantal, retraitée d’Aulnay-sous-Bois, à propos d’Emmanuel Macron. « Bloqué dans son palais, il ne connaît pas la vie des gens. l faudrait lui donner 1 200€ par mois pour voir comment il s’en sortait à notre place ».
Du côté des commerçants, les soupirs passent et se ressemblent, comme pour témoigner du même constat. Aujourd’hui, ils travaillent mais plusieurs affirment soutenir le mouvement des gilets jaunes, à l’instar de ce charcutier-traiteur qui a lancé son affaire il y a un an et demi. Il dit tenir difficilement le cap et indique que son plein d’essence est passé de 120 euros à 140 euros. À proximité, un producteur d’huîtres qui a fait le déplacement de Charente-Maritime, soit 500 kilomètres, témoigne aussi de son soutien mais se montre conscient des enjeux environnementaux. Sceptique face aux alternatives au carburant, polluantes elles aussi, il critique non pas les taxes supplémentaires mais plutôt une utilisation de cet argent pour d’autres objectifs que la transition écologique.
Colère contre le gouvernement
Au fur et à mesure du tractage, les langues se délient pour laisser la place à la colère de la part des militants LR et des badauds. Les attaques envers Emmanuel Macron se font plus virulentes, comme celle de ce militant LR, âgé d’une soixantaine d’années, qui exprime son « ras-le-bol d’être une vache à lait » alors qu’il a « bossé toute sa vie ». Il estime qu’il ne lui reste qu’un seul droit, celui « de fermer sa gueule ». Plusieurs fois, le Président de la République sera comparé à un monarque tout puissant par les militants de droite.
Sur place et vêtue d’un gilet orange, cette aide-soignante qui se dit affiliée à aucun parti politique, dit être venue en « en solidarité aux gilets jaunes ». « Le gouvernement dépouille trop le peuple, on l’impression de retourner à l’époque des seigneurs et des rois où Macron serait un roi et nous, les serfs ». Elle s’attendait aujourd’hui à « une mobilisation plus importante » et se dit « déçue » que des « personnes qui se plaignent tous les jours ne prennent pas cette occasion pour dire : ‘non, stop aux taxes !’ ».
Yassine BNOU MARZOUK