« Quand on est journaliste, on n’est pas censé porter un voile », c’est la réponse qu’a obtenue Manal, journaliste pigiste et membre de l’AJAR (Association des journalistes antiraciste et racisé) lorsqu’elle a fait sa première demande de carte de presse, il y a quatre ans. Sauf que, rien ne le spécifie dans le règlement de la CCIJP (commission de la carte d’identité des journalistes professionnels). C’est en faisant mention de ce règlement que Manal finit par obtenir sa première carte de presse. « Ils l’ont modifié juste après, pour pouvoir ajouter un volet sur l’interdiction de port de signe religieux », explique Manal.

Malgré ses demandes, il lui est aujourd’hui impossible pour elle d’obtenir une carte de presse, et ce, depuis trois ans. La CCIJP ne lui adressant pas de refus clair, il est encore impossible pour elle de déposer un recours. Pourtant, la carte de presse peut être indispensable dans le métier, en particulier pour la couverture de certains évènements et manifestations. Mais aussi négocier son salaire.

Si on lâche une affaire comme celle-là, on lâche sur tout

« On parle de droits fondamentaux, de démocratie. Si on lâche une affaire comme celle-là, celle de toutes les jeunes femmes qui ne peuvent accéder à la profession de journaliste parce qu’elles portent un foulard, on lâche sur tout », tance l’avocat de Manel, Me Slim Ben Achour. À la tribune, les associations font bloc. On y retrouve l’Ajar, mais aussi l’Association des journalistes LGBTQIA+ (AJL), Prenons la Une (PLU), Profession : Pigiste, la Chance et l’association des Femmes journalistes de sport (FJS).

« Nous ne sommes pas aimés comme profession, ne pas avoir de carte de presse qui nous ressemble peut poser des problèmes », ajoute Arno, journaliste et membre de l’AJAR. Une lettre recommandée a été envoyée par Manal pour obtenir une réponse définitive et entamer une demande de recours à la commission des cartes de presse.

Des règles à géométrie variable

Le principal argument avancé par la CCJIP est la demande d’une photo conforme aux règles des papiers d’identités. « Ce sont des règles très strictes donc s’il fallait les appliquer, il faut faire attention au fond, aux dimensions, si la personne sourit, etc. Alors qu’il y a des cartes de presse, avec des selfies ou des lunettes de soleil », déplore Manal, qui a constaté qu’en réalité cet argument s’appliquait uniquement que pour les femmes qui portent le voile.

Ces refus s’inscrivent dans un contexte où de plus en plus de rédactions refusent d’employer des femmes voilées. C’est le cas de Radio France ou encore France Télévision. De son côté, Ouest France, refuse que les femmes qui portent le foulard se présentent sur le terrain.

Des échanges ont été lancés avec les syndicats (CGT, CFDT et CNJ) qui n’ont pas souhaité prendre part aux revendications avancées. « Les syndicats siègent à la CCIJP, donc c’est compliqué pour eux de se positionner contre leur propre décision », pointe Manal.

Les personnes transgenres subissent aussi des discriminations

Ces formes de discriminations dans le processus d’obtention de la carte de presse concernent également les personnes transgenres. Elles ne peuvent mentionner leur nom d’usage tant qu’ils ou elles ne l’ont pas changé à l’état civil. « Les personnes concernées utilisent pourtant ce prénom-là dans leur rédaction, sur le terrain et auprès des sources depuis bien longtemps. Leur ancien prénom n’a plus d’existence professionnelle », explique Coline Folliot, co-présidente de l’AJL (Association des Journalistes LGBTQIA+).

La carte de presse est censée être un outil qui nous protège et nous renforce, mais là, c’est exactement l’inverse qui se produit

Une situation qui leur apporte également des difficultés sur le terrain. « Ça va donner l’information qu’il y a un masculin et un féminin, donc que cette personne est trans. Dans le contexte de transphobie qu’on vit aujourd’hui, ça donne lieu à des multiplications de violences et de cyberharcèlement », poursuit Coline. « La carte de presse est censée être un outil qui nous protège et nous renforce, mais là, c’est exactement l’inverse qui se produit. »

« Pour pouvoir faire une demande de changement d’état civil, la procédure actuelle exige qu’on fournisse des attestations qui prouvent qu’on vit sous cette identité-là, donc on est vraiment dans une boucle absurde », soulève Coline. Aujourd’hui, les associations demandent que le processus de changement de nom à l’État civil soit simplifié. Une demande qui a déjà été relayée par les parlementaires.

Un manque de diversité dans la profession

De manière générale, les journalistes dénoncent un manque criant de diversité dans la profession, présent dès les concours d’entrées en école de journalisme. C’est le problème auquel essaie de pallier l’association La Chance qui a lancé un dispositif d’égalité des chances ouvert aux étudiants boursiers et présents dans sept villes en France. « Aujourd’hui, on constate entre 8 et 10 % des élèves en écoles de journalisme reconnus par la profession issus de ce dispositif », indique Marc Epstein, président de l’association.

La question fondamentale que ces discriminations posent dans le domaine du journalisme est la représentativité de l’information. « En excluant ces personnes, on se prive d’une richesse d’un point de vue journalistique. Ce qui est important, c’est, est-ce qu’on veut d’une profession composée uniquement d’hommes blancs ou une population diverse ? », conclut Arno.

Lisa Sourice

Photo : Lilia Aoudia 

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