C’est une fanfare qui accueille les premier arrivants mais malgré les notes joyeuses, les revendications sont graves et sérieuses. Devant la gare Saint-Lazare ce samedi 1er décembre, la foule se rassemble, malgré le froid et la pluie, entonnant des chants anticapitalistes mêlés à des slogans réclamant « justice pour Adama ». Pancartes et banderoles portent aussi les diverses revendications : une femme qui attend le départ du cortège inscrit sur sa pancarte « développement et gratuité des transports publics » ; un homme, lui, s’applique à écrire « taxons les industriels, pas les consommateurs. » Certains s’attèlent à finir leurs pancartes en y inscrivant des slogans écologiques. Des banderoles sont aussi taguées avec des messages comme « Du MIB au Larzac… au comité Adama en jaune » ou « on impose la question sociale » qui témoignent d’une volonté de continuer à se mobiliser en unissant quartiers populaires et territoires ruraux.
Partie d’un mouvement de colère après la hausse des carburants, la contestation initiée par les gilets jaunes a fait tache d’huile et concentre aujourd’hui les colères sociales qui ciblent un libéralisme outrancier et dévastateur qu’incarnent à leurs yeux le président Emmanuel Macron, son gouvernement et la majorité parlementaire de la République en Marche. Il y a quelques jours, le comité Adama appelait à rejoindre la contestation des gilets jaunes. Vendredi 30 novembre, Youcef Brakni et Édouard Louis avaient échangé autour de cette initiative. Ce samedi après-midi, nombreux sont ceux qui ont répondu à l’appel du comité Adama. Une participation qui concrétise « l’entrée en force des revendications des quartiers populaires » estime Youcef Brakni, porte-parole du comité Adama.
Menée par ce dernier, la mobilisation quitte la place Saint-Lazare en début d’après-midi pour rejoindre le reste du mouvement populaire direction les Champs-Elysées. Vêtus ou non d’un gilet jaune, les nombreux manifestants posent des revendications claires et dament le pion à une extrême droite qui risquait de prendre du terrain dans le mouvement. Il s’agissait aussi pour le comité Adama de se poser en première ligne de la lutte sociale des quartiers populaires. Pari réussi, puisque les cheminots ont répondu présents tous comme les militants de l’action antifasciste Paris-Banlieue, des étudiants, des universitaires ou encore des militants LGBTQ. David-Emmanuel, enseignant en sociologie à l’université Paris VIII, voit dans le comité Adama « un excellent biais antiraciste qui rejoint la problématique des droits d’inscription des étudiants étrangers. » Youcef Brakni se dit quant à lui « satisfait qu’il n’y ait pas d’extrême droite, pas de fachos : il n’y a que des gens qui veulent se battre pour l’égalité et la justice pour tous ! » Pourtant, nos confrères de Libération ont bien identifié militants d’extrême droite et nationalistes au sein des cortèges comme Yvan Benedetti, ancien président du groupe ultranationaliste « L’œuvre française » dissous en 2013 après la mort du militant antifasciste Clément Méric.
Ici, il y a des patrons de PME, des ouvriers, des fonctionnaires, des banlieusards. Il s’agit de personnes qui n’ont presque rien en commun, si ce n’est la colère car le quotidien est difficile
« Les gens demandent si nous sommes des gilets jaunes ou non. La véritable question est de savoir pourquoi nous sommes là, » affirme Louis Boyard, président de l’Union Nationale Lycéenne, qui appelle à une convergence des colères.« Parmi eux, vous avez des patrons de PME, des ouvriers, des fonctionnaires, des banlieusards. Il s’agit de personnes qui n’ont presque rien en commun, si ce n’est la colère car le quotidien est difficile.»
Oliver Besancenot, militant et porte parole du NPA, le député LFI de Seine-Saint-Denis Eric Coquerel ou encore la sénatrice EELV du Val-de-Marne Esther Benbessa sont aussi présents en soutien à l’initiative.« Qui d’autres que les quartiers populaires souffrent de toutes les inégalités ?, remarque le député insoumis. Toutes les inégalités s’y superposent ; il est donc évident qu’ils ont un rôle à jouer face à cette politique d’austérité. » La sénatrice acquiesce : « Je soutiens les revendications des gilets jaunes et du comité Adama, que je suis depuis le début, et je m’identifie, en tant que représentante politique, à ces causes. Au Parlement, je me bats pour la même chose. »
La présence des quartiers est essentielle afin que ceux qui se réclament du mouvement des gilets jaunes se sentent plus proche du comité Adama que de Dupont-Aignan
Geoffroy De Lagasnerie, philosophe et écrivain, proche du comité Adama, souligne qu’ « il est important de dire que ce n’est pas en soutien des gilets jaunes mais que les quartiers populaires en font partie. Les problématiques soulevées, telles l’enclavement et la pauvreté, sont démultipliées dans les quartiers populaires. La question soulevée par ce mouvement social est celle de la mobilité, dont l’essence est un vecteur. Les quartiers populaires sont comme la ruralité car ils sont confrontés à la gestion libérale et autoritaire qui se met en place ». De plus, il ajoute que « leur présence est essentielle afin que ceux qui se réclament de ce mouvement des gilets jaunes se sentent plus proche du comité Adama que de Dupont-Aignan. »
Le début d’une révolution
A 14 heures, une fois la place remplie, un cortège conséquent se met en route pour rejoindre le reste du mouvement des gilets jaunes. Tout au long du trajet, les encouragements et applaudissements fusent ; Assa Traoré, aux côtés des militants du comité Adama, y répond le poing levé en signe de détermination. Quelques mètres plus loin, avenue de l’Opéra, l’initiative est accueillie à bras ouverts par les gilets jaunes, croisés lors de la marche : « Là, c’est tout le monde ensemble pour prôner le même ras-le-bol », constate Yamina, qui marche pour les gilets jaunes, son sourire témoignant de sa satisfaction que les quartiers s’allient à cette colère populaire.
Le cortège continue de marcher en direction des Champs-Élysées. Parfois, la fanfare se repose pour laisser la place à de la musique diffusée par un haut-parleur, comme le titre « racailles » de Kery James, qui pointe du doigt les défaillances de la société, et surtout celles des élus. Le blocage du premier accès par des CRS assistés d’un canon à eau sème la confusion parmi les manifestants : faut-il changer d’itinéraire? Rester jusqu’à la levée du barrage? Aucune décision n’a pu être prise, les manifestants ayant été surpris par des bombes lacrymogènes lancées par les gendarmes pour disperser les manifestants.
Sortis du jardin des Tuileries, les membres du comité Adama continuent leur avancée. Vêtue d’un gilet jaune par-dessus sa doudoune, Assa Traoré, suivie par Olivier Besancenot, souligne « l’effet incontrôlé de ce soulèvement populaire qui crée des alliances, des concertations entre gens qui ne connaissent pas » et dans lequel elle voit « le début d’une révolution. »
Yassine BNOU MARZOUK