Nous sommes le 15 mars 2024 et le président ouvre la séance sur une affaire de corruption de mineur. James T. est un surveillant dans un collège à Aubervilliers. Il a été arrêté en janvier après avoir envoyé des photos intimes de lui à un élève. Placé en détention provisoire, il demande aujourd’hui à être remis en liberté jusqu’à son procès. Dans sa lettre manuscrite, il explique souffrir de problèmes ORL et devoir s’occuper de ses grands-parents.
Problème, l’expertise psychiatrique montre que le prévenu a « une faible capacité autocritique » et ne se rend pas compte de la gravité de ses actes. Le procureur appelle donc le président à rejeter la demande : « Il n’y a pas d’éléments nouveaux et, en plus, il risque de faire pression sur la victime ». Lorsque la parole est donnée à James T., celui-ci nie les faits. « Je suis innocent, je n’ai jamais corrompu qui que ce soit », proteste-t-il. Peu convaincant, le prévenu sera renvoyé en détention après 10 minutes de débat à huis clos.
Tout le monde consomme à Paris, mais on veut nous faire croire que ça ne touche que les jeunes hommes racisés
Pendant ce temps-là, Maître Emilia Zelmat prépare la prochaine audience : une affaire de stups. « Je regrette qu’on dise que les avocats commis d’office travaillent mal. On fait de notre mieux pour assurer une défense d’urgence », soutient l’avocate dionysienne. Cela fait trois ans qu’elle a passé le barreau. Selon elle, les affaires de drogue, c’est le quotidien des habitants de banlieue. « Tout le monde consomme à Paris, mais on veut nous faire croire que ça ne touche que les jeunes hommes racisés », pointe-t-elle. En effet, rares sont les prévenus intramuros à comparaître dans le box. Et plus la drogue est dure, plus les sanctions pénales sont sévères.
C’est le cas de cette affaire dans laquelle tous les éléments accablent ses clients. Jamel C et Yacine O sont deux amis dénoncés pour trafic par un renseignement anonyme. Le premier est un jeune père de famille, convoyeur dans le milieu du cinéma. Le second habite au Blanc-Mesnil et se trouve dans une situation précaire. Il a déjà été mêlé à des histoires similaires. Lorsque la police d’Aulnay débarque chez Yacine, elle découvre 1 kg de cocaïne.
Je n’avais jamais vu de cocaïne de ma vie, j’en connais pas l’odeur
Le prévenu explique avoir contracté une dette de 10 000 euros auprès d’un des grands de son quartier qui l’aurait obligé à cacher la drogue à son domicile. Jamel, lui, est arrivé chez son ami peu de temps avant l’arrestation. « J’amène quoi », lui écrit-il, « Ramène des gants ». Une fois sur place, il est surpris : « Je n’avais jamais vu de cocaïne de ma vie, j’en connais pas l’odeur ». Il voulait juste rendre service à son pote sans savoir pour la dette.
Au moment des réquisitions, le procureur est certain de leur culpabilité. Selon lui, l’un a prêté sa main d’œuvre à l’autre pour « confectionner des stupéfiants ». Il appelle donc le président à les condamner sévèrement tout en faisant une distinction : 10 mois ferme avec mandat pour Jamel C, 12 mois ferme sans mandat pour Yacine O.
De son côté, la défense tente de limiter la casse. Jamel C. était au mauvais endroit, au mauvais moment. Pour le conseil du prévenu, le dossier n’est pas solide et se base sur de « pures inductions ». L’élève magistrate qui défend Yacine O appelle, quant à elle, le président à formuler une peine « appropriée » lui permettant de « se réinsérer dans la société ». Il faut tenir compte du contexte : son client habite dans un lieu « gangrené par les stups ».
C’est même fréquent qu’un « grand » utilise une dette pour trouver « des nourrices » [personnes qui stockent la drogue chez eux, NDLR] Elle « ose » alors demander une peine aménageable avec bracelet, ce qui permettrait à Yacine O. de quitter le Blanc-Mesnil en s’installant chez son père dans le sud. Finalement, Jamel C sera partiellement relaxé, mais écopera tout de même de 12 mois de sursis accompagné d’une amende de 500 euros. Yacine, lui, sera reconnu coupable : 12 mois ferme avec mandat dont 6 de sursis.
Les forçats du trafic de drogues à la barre
Vers 16h30, un nouveau prévenu passe la porte du box. Sheldon F. a 22 ans et il sort de garde-à-vue après s’être fait arrêter pour transport et trafic de stups à Sevran. C’est la première fois qu’il comparaît. Derrière les vitres en plexiglas, le garçon tente de garder la face, mais l’inquiétude se lit sur son front. Il conteste les faits : il rendait visite à sa tante et n’avait sur lui que sa propre conso – un joint, une feuille, une clope. Sauf que quand les policiers sont arrivés dans le hall, la quinzaine de clients placés en file indienne ont dit qu’ils l’attendaient.
Lors de l’interpellation, on a même retrouvé des bonbonnes de cocaïne dans le placard électrique ainsi que 186 euros dans les poches du prévenu. Quand le jeune homme raconte sa version des faits, il affirme n’avoir vu personne en bas. Les flics l’ont interpellé violemment et l’ont traîné dans la voiture. « Ça vous fait quoi de comparaître pour la première fois ? », demande le procureur. « C’est bizarre… Je sais pas comment dire, j’ai la boule au ventre. »
Pudique, le prévenu n’en dit pas beaucoup plus sur sa situation. Il vit chez sa grand-mère avec une tante et une cousine. Il travaillait dans un Carrefour, mais son contrat s’est terminé en janvier. Quand le président lui pose des questions sur sa mère, il répond : « C’est un sujet sensible, j’ai pas envie de parler de ça avec vous. Désolé. » Pour le procureur, Sheldon F. est coupable. Il se dit même surpris par son aplomb : « Monsieur ne semble pas avoir conscience de sa situation ».
Le procureur appelle donc le président à condamner le jeune homme à 10 mois ferme et 2 000 euros d’amende. L’élève avocat, que Me Zelmat fait plaider, défend le prévenu en insistant sur le fait qu’il a toujours maintenu la même version des faits. De plus, dans ce dossier, il n’y a que des PV : pas d’enquête de voisinage, ni d’audition de la tante. Il demande donc la relaxe. Sheldon F. ne l’obtiendra pas. Il prendra 10 mois de sursis accompagné d’une interdiction de séjour à Sevran pendant deux ans.
Je suis consommateur de crack, mais je n’ai jamais vendu
Sur les bancs de la salle, depuis 13h30, un groupe de jeunes attend la comparution d’un ami à eux. Quand la séance reprend, ce n’est pas leur proche qu’ils voient entrer, mais Émile S, un homme de 54 ans lui aussi accusé de transport et trafic de stupéfiants. Le nœud de cette affaire part d’une femme anonyme – surnommée XF1 – qui aurait été une cliente du prévenu. Calmement, Emile S. admet : « Je suis consommateur de crack, mais je n’ai jamais vendu ».
Dépendant depuis 1998, il achète son crack à porte de la Chapelle et le consomme chez lui à Bondy – parfois seul, parfois avec des amis. Nathalie, justement, est l’une d’entre elles. « J’ai besoin de toi tout de suite pour le gâteau entier », lui écrit-elle par téléphone. Ce qui fait dire aux enquêteurs qu’Émile S trafiquait. Quand la police perquisitionne son domicile, elle retrouve 490 grammes de cocaïne sous forme d’ovules, du bicarbonate, une balance électronique et des ciseaux à bouts noircis.
Pour se défendre, Emile S. explique avoir « corporé » puis stocké la drogue depuis la Guyane pour un certain Adbou envers qui il aurait une dette de 7 000 euros. Le procureur l’interroge : « On n’a pas retrouvé la trace d’Abdou dans votre téléphone. Vous lui parlez comment ? ». « On ne parle pas par téléphone. On se voit à la Chapelle et il m’envoie chez des gens en Guyane », répond-il.
Si son casier n’est pas vierge – vol, complicité de recel, conduite sans permis – , aucune mention de trafic n’apparaît. Né au Suriname, Emile S vit quelques années aux Pays-Bas puis arrive en France et rencontre sa compagne en 2016 sur la colline du crack. Avant, il travaillait dans le BTP mais des problèmes de santé – probablement liés à son addiction – font qu’il est sans emploi depuis 2019.
Pendant un temps, il a tenté de suivre un sevrage, aidé par l’association Aurore. Puis, il a rechuté. Au moment de ses réquisitions, le procureur s’étend sur les ravages du crack en Île-de-France. Selon lui, le prévenu veut faire croire à la cour qu’il n’a qu’un rôle d’exécutant. En réalité, il serait seul à la tête d’un trafic depuis 2023.
Il demande donc qu’Émile S soit condamné à une peine de prison ferme ainsi qu’à 30 000 euros d’amende vu la gravité des faits et l’atteinte à la santé publique. Pour son avocat, Me Beaufils, « il faut se méfier comme de la peste des renseignements anonymes, surtout en matière de stupéfiants ». Tout le monde ment et on peut faire dire n’importe quoi à des SMS. Déterminé, il poursuit : « Il n’y a eu aucune écoute téléphonique, il n’y a eu aucune confrontation avec XF1, il n’y a eu aucune surveillance. On est sur des conjectures, des hypothèses, défend l’avocat, et comme c’est un dossier de stupéfiants, tout ce que vous faites ou ne faites pas est suspect. » Me Beaufils finit sa plaidoirie en demandant à la cour un sursis simple.
Pendant le délibéré, deux habitués de Bobigny – Ange et Frédo – tentent des pronostics. « Il est dur le président, vous allez voir ! », expliquent-ils. Interrogés sur la sévérité du procureur, Frédo répond : « C’est un jeune, il veut faire ses marques ». Au bout d’une trentaine de minutes, la séance reprend. Le verdict tombe : le quinquagénaire écope de 3 ans de prison dont 2 ans de sursis avec obligation de trouver du travail et de soins. Une décision plus rigide que celle formulée par le ministère public. Sa compagne, dans la salle, s’en va. Il est 19 heures et les jeunes sur le banc continuent d’attendre que leur ami obtienne un renvoi.
Marthe Chalard-Malgorn
* Les prénoms des prévenus ont été modifiés