Hubert Gourden commande promptement un « café serré ». Il n’est pas à court de temps, mais il aime que les choses aillent vite. Il y a plusieurs années, cet ingénieur à la retraite a découvert la moto. Terminé les minutes perdues dans les transports en commun, il se déplace désormais avec veste en cuir et arbore une dégaine de motard que l’on remarque de loin.
Hubert Gourden est franc du collier. « Les détenus ne sont pas là pour devenir nos amis », lâche-t-il sans sourciller. Depuis sept ans, Hubert est visiteur de prison. À raison d’une fois par semaine, il rend visite à deux ou trois détenus de la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy (Yvelines). Le matin-même, il s’est entretenu avec deux hommes placés en détention provisoire. De ces tête-à-tête confidentiels au parloir, il en retient « un certain sentiment d’utilité », même si, pour devenir visiteur, « les intérêts personnels ne doivent pas entrer en jeu », assure l’homme aux yeux bleu glacé.
J’ai toujours pensé que la qualité d’une société se jugeait à la capacité qu’elle a de s’occuper des plus démunis
En France, « tout détenu a le droit à un visiteur. On est inscrit dans la loi au même titre que les aumôniers », rappelle Hubert Gourden, également délégué Île-de-France de l’association ANPV (Nationale des Visiteurs de Personnes sous main de justice). Créée en 1932, l’association regroupe 1 200 visiteurs et visiteuses de prison dans tout le pays. En Île-de-France, ils sont 150. « Nous sommes un groupe de citoyens qui allons vers d’autres citoyens », résume son délégué.
Ces citoyens ont une conviction chevillée au corps : l’importance des liens humains. « Depuis petit, j’ai toujours pensé que la qualité d’une société se jugeait à la capacité qu’elle a de s’occuper des plus démunis », explique le visiteur. « J’aurais pu m’engager dans d’autres causes », admet Hubert Gourden. « Mais les prisons, c’est l’endroit le plus délaissé ».
Un rôle citoyen en danger ?
« Certains prisonniers ne voient que nous », précise Hubert Gourden. Depuis qu’il est devenu visiteur de prison, l’homme a rencontré une quinzaine de détenus. L’idée lui « trottait dans la tête depuis des années », il a sauté le pas une fois la retraite arrivée. « C’est un engagement sur le temps long », glisse-t-il, ce qui explique que la majorité des visiteurs soient à la retraite. « Rien que pour recevoir l’agrément, il faut compter entre quatre et six mois. »
Pour devenir visiteur de prison, les critères sont en théorie simples : être majeur et avoir un casier vierge. En pratique, les démarches sont chronophages : un entretien avec la Direction interrégionale des services pénitentiaires puis le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip) ainsi qu’une enquête de moralité conduite par la préfecture. « C’est le Spip qui a le dernier mot », indique Hubert Gourden. Surchargés de travail, les conseillers Spip « peuvent avoir d’autres chats à fouetter. Ils sont au four et au moulin », souffle le retraité.
L’agrément est à renouveler tous les deux ans et n’est valable que pour un seul établissement pénitentiaire. L’été dernier, certains visiteurs sont restés à l’extérieur des prisons en raison de leur âge : 75 ans. « Une circulaire indique un âge de vigilance, mais pour certains établissements, c’est un âge limite », lance Hubert Gouden, en levant les yeux au ciel. En Île-de-France, 20 % des visiteurs membres de l’ANPV ont plus de 74 ans.
Une aide à la réinsertion
Tout le monde peut devenir visiteur s’il le souhaite, mais « la plupart des gens s’adressent à l’ANPV », pointe Hubert Gouden. L’association propose plusieurs cycles de formation pour apprendre « la réalité pénitentiaire », l’écoute active ainsi qu’un groupe de parole animé par un psychologue. « On apprend à être visiteur. Ce n’est pas inné », glisse le retraité.
Nous ne sommes ni là pour juger les détenus ni pour les sauver
« Il faut avoir un bon positionnement », juge Hubert Gourden. « Nous ne sommes ni là pour juger les détenus ni pour les sauver. Je me fiche de savoir ce qu’ils ont fait. Je ne suis pas là pour rencontrer de gentils garçons ».
Une oreille précieuse
Pour les détenus, les visiteurs « permettent de prendre du recul sur leur situation », selon Hubert Gourden. « Je rencontre des prisonniers qui ont conservé des liens avec leur famille, mais, naturellement, on ne parle pas des mêmes choses avec un inconnu », continue-t-il. « Avec nous, ils ont l’occasion de vider leur sac s’ils le souhaitent. »
Si la personne va un peu mieux après ma visite, je n’ai pas perdu ma journée
Les conversations peuvent être plus légères, et oscillent entre course à voile et actualité. « Ce matin, on a parlé de Poutine et des relations diplomatiques entre la Russie et l’Europe », évoque le visiteur. « Si la personne va un peu mieux après ma visite, je n’ai pas perdu ma journée. »
Accompagner par l’écoute pour se réinsérer, c’est la mission des visiteurs de prison. « Si on ne fait rien pour les aider à retourner dans la société, c’est criminel », assène Hubert Gourden. « On leur tend la main, car chaque goutte d’eau compte ».
Méline Escrihuela