Situé au cœur de l’océan Indien, Mayotte est le département le plus jeune de France, mais aussi celui qui concentre le plus de difficultés. Selon l’Insee, 77 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté, soit cinq fois plus que dans l’Hexagone. Le manque d’infrastructures publiques est criant et les difficultés d’accès aux soins alarmantes.

À cela vient s’ajouter les récurrentes pénuries d’eau. En 2023, l’archipel a connu sa plus grave sécheresse depuis 1997. L’État et les sociétés gestionnaires, comme la Société mahoraise des eaux, sont pointés du doigt. Présidente du collectif “Mayotte a soif”, Racha Mousdikoudine nous parle de la situation sur place et de son combat. Interview. 

Depuis plusieurs mois, les Mahorais connaissent une pénurie d’eau. Aujourd’hui, où en est la situation ?

Je vais d’abord faire un rappel historique. La première grave sécheresse remonte à 1985. À cette date-là, un seau d’eau était distribué par foyer. Aujourd’hui, des bouteilles d’un litre d’eau nous sont distribuées, ça ne change pas. On retourne à près de 40 ans en arrière… La deuxième sécheresse date de 1997, sans qu’une solution pérenne pour le territoire ne soit mise en place à l’issue de cette crise. À cette époque, on était encore qu’une collectivité d’Outre-mer. Ensuite, fin 2016, début 2017, apparaît une troisième crise qui se poursuit encore actuellement.

Qu’est-ce qui a changé entre 2017 et maintenant ?

La sécheresse en 2017 n’était pas déclarée sur le territoire. Pourtant, l’eau ne pouvait plus être distribuée pour tout le monde. Il y avait des coupures dans le sud de l’île par exemple. Quand j’ai déménagé à Petite-terre (une des îles principales de l’archipel mahorais, ndlr), j’ai moi-même connu des coupures d’eau quasiment tous les jours, on pouvait en avoir uniquement le matin ou l’après-midi.

Les coupures d’eau avaient donc lieu de manière récurrente ?

Oui, sans que le préfet et que la SMAE (Société de la Mahoraise des Eaux) ne réagissent comme aujourd’hui. Ce qui a provoqué une réaction, c’est le fait que la pénurie soit devenue visible. Les retenues collinaires se sont vidées et cela a touché tout le monde. Ce n’est plus, un village ici ou là. C’est global.

Quelles solutions ont été proposées ?

La principale solution a été de mettre en place un tour d’eau à raison d’un jour sur trois, entre les communes (une alternance d’arrivée d’eau par village, ndlr). Une décision préfectorale pour préserver la ressource. Ce calendrier indique noir sur blanc que ceux dans les hauteurs, risquent de ne pas avoir d’eau. Cette situation s’est banalisée, alors qu’en France hexagonale, jamais, on aurait une déclaration de la sorte, avec le savoir-faire, l’ingénierie disponible en France, ce ne serait pas possible. Sinon, comment ferait ceux qui vivent dans les Alpes ?

Quelles conséquences observez-vous sur le terrain ?

Nous avons remarqué qu’il n’y a pas de contrôle sur le terrain. De même que sur le respect des blocages des prix, des bouteilles d’eau. Nous avons remarqué, que les travaux publics, ne sont pas suspendus. Nous demandons que les travaux publics qui n’ont pas pour effet de venir régler la crise, soient suspendus.

Ensuite, on voit pas mal de fuites. Une perte de 30 % dans le réseau lui-même. C’est vraiment problématique. Vu que le système d’assainissement est quasi inexistant, nous n’avons pas une eau grise pour la réutiliser par ailleurs. Apparemment, l’usine de dessalement de Petite-Terre serait en marche. Ça fait quelques années qu’elle ne fonctionne pas correctement. Une autre usine serait en construction, mais ce n’est pas pour maintenant.

Quelles étaient les demandes de votre association à l’époque et celle d’aujourd’hui ?

Notre demande était la prise en charge des factures d’eau par l’État. Ce qu’ils ont fait de décembre à février 2024. On a économisé beaucoup de sous, en gros jusqu’au retour à la normale, on n’a pas payé beaucoup de facture. On a porté l’affaire devant la Cour de cassation qui doit rendre une décision prochainement. Le tribunal d’instance et la Cour d’appel nous avait partiellement donné gain de cause.

On est aussi passé au tribunal administratif en novembre pour mettre l’État devant ses responsabilités. On a perdu, mais au moins, on a essayé de faire quelque chose. Surtout le fait d’avoir alerté les élus sur l’enjeu crucial de l’eau potable à Mayotte. C’est aussi grâce à l’association, Notre affaire à tous qu’on a pu se défendre au tribunal.

Comment vous jugez l’action de l’État durant cette crise de l’eau ?

Des actions insuffisantes, par exemple une distribution, une bouteille d’eau par jour et par personne. Alors que nos besoins sont de 100 litres d’eau par jour, entre les douches, faire la vaisselle ou encore se laver les mains. Par exemple, je vis à deux, j’avais deux packs d’eau pour une semaine. Vu que je travaillais, je n’avais pas le temps de me rendre à la distribution d’eau gratuite. Les seules fois où je pouvais, les contenaires n’étaient pas arrivées à destination.

Propos recueillis par Nadhuir Mohamady

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