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L’année passée, une mobilisation d’ampleur a eu lieu en Seine-Saint-Denis pour obtenir un plan d’urgence pour l’éducation. Le département le moins doté de France métropolitaine connaît des difficultés dans tous les secteurs, et celui de l’éducation relève des inégalités criantes.

Dans un rapport parlementaire rendu en décembre 2023, le député de Saint-Denis, Stéphane Peu, évoque une situation qui s’est aggravée et appelle un plan de rattrapage pour l’éducation dans le département. L’intersyndicale s’est, elle aussi, fendue d’une étude exhaustive pour évaluer les besoins. Autant d’initiatives ignorées par l’exécutif.

En cette rentrée scolaire particulière puisque le poste de ministre de l’Éducation nationale est occupée par une ministre démissionnaire, le combat se poursuit. Louise Paternoster, co-secrétaire de la CGT Éduc’action, nous en parle. Interview.

Seulement quelques jours après la rentrée scolaire, le 10 septembre, l’intersyndicale a appelé à une manifestation. Pouvez-vous revenir sur les revendications de cette mobilisation ?

Au lendemain de la rentrée, les collègues se sont à nouveau mobilisés. Dans certains collèges, il y avait jusqu’à 50 % de grévistes, ce qui montre une détermination et l’envie de ne pas accepter le hold-up qu’on a subi.

Après la dissolution, on a appris que l’audience avec la ministre de l’Éducation nationale, Nicole Belloubet, où des avancées étaient censées nous être présentées, était annulée. Nous avons fait la rentrée sans ministre et sans directeur académique pour ce qui est de la Seine-Saint-Denis.

Il y a deux revendications principales, il y a le cadre national qui est celui d’un refus et d’un rejet de ce qu’on appelle les évaluations nationales standardisées. Dès le CP et jusqu’au CM2, les enfants commencent la rentrée avec, devant leur table, des évaluations qui vont courir sur toute la semaine. Nous dénonçons ce dispositif qui entraîne des classements entre les différentes écoles, les différents départements et qui devient l’engrenage principal de l’école du tri social.

Le manque de personnels enseignants fait que nos élèves sont privés de 15 mois de scolarité entre la maternelle et le lycée

L’autre revendication forte portée par notre département est celle du plan d’urgence pour l’éducation dans le 93. On avait chiffré le besoin d’une enveloppe de 358 millions d’euros pour redresser le service public qui est très sinistré dans le département. Cela permettrait le recrutement de 5 200 enseignants, de 2 200 AESH [Accompagnant des élèves en situation de handicap – ndlr], mais aussi des remplacements de professeurs effectifs. Aujourd’hui, le manque de personnels enseignants fait que nos élèves sont privés de quinze mois de scolarité entre la maternelle et le lycée.

Pour l’année dernière, on est sur cent jours de mobilisation avec un mouvement de grève important et une mobilisation y compris avec les parents d’élèves. C’est assez inédit.

Il s’agit donc de rééquilibrer les moyens d’établissements sous-dotés par rapport aux autres départements ?

Nous, ce qu’on dit, c’est que la scolarité, c’est un peu comme un marathon. Mais ce qu’on voit, c’est que nos élèves prennent le départ avec des semelles de plombs à cause des difficultés sociales et des discriminations qui frappent les habitants. Ils prennent des kilomètres de retard en raison du sous-financement du service public.

L’écart, on l’a chiffré. La dépense de l’État pour un élève au national est de 8 800 euros, pour un élève de Seine-Saint-Denis, on est à 6 200 euros, ce qui nous fait un écart de 2 600 euros de dépense en moins pour chaque élève du 93. Et les conséquences, elles sont là…

Dans cette situation, comment se déroule la rentrée ?

L’enquête de rentrée nous montre que l’on se retrouve dans une situation absurde. Pour les collèges, les effectifs ont augmenté : dans 68 % des collèges, on a au moins 24 élèves par classe, voire davantage, sachant que c’est le plafond. Quand on fait la rentrée avec 24 élèves ou plus, on sait que dans l’année des élèves vont certainement arriver et qu’on va avoir des classes qui vont exploser. D’autant plus que nous sommes un département d’accueil d’immigration, on a énormément de primo-arrivants.

Dans tous les lycées professionnels, les classes dépassent 27 élèves ! Et on en arrive à des situations absurdes du fait du manque de personnels où, en début de semaine, on était à 1 300 élèves sans affectation en seconde sur le département. Cette semaine, il nous est remonté qu’à Saint-Ouen, on a aujourd’hui 18 élèves entrant en sixième qui n’ont pas encore fait leur rentrée parce que les collèges sont pleins. La direction académique se retrouve à les mettre sur liste d’attente. On n’a jamais vu ça, c’est catastrophique.

Un autre sujet nous préoccupe, c’est la baisse des fonds sociaux. Il s’agit d’une enveloppe qui est accordée à chaque établissement en fonction de différents indicateurs sociaux. Cela permet de financer la cantine pour les familles les plus en difficulté, les voyages scolaires ou des cartes transport, notamment pour certain de nos élèves qui sont en cours de régularisation. C’est un fonds qui est indispensable pour qu’une partie de nos élèves sorte la tête de l’eau.

Où en est la mobilisation pour le plan d’urgence ? Est-ce qu’il y a au moins eu quelques acquis ?

Il y a aussi eu plusieurs centaines de contractuels qui ont été recrutés en complément l’année dernière. Alors, ce n’est pas du tout ce que l’on demande, mais de fait, on voit bien qu’il y a une inflexion. Ce qu’on voit à la rentrée dans les écoles, c’est qu’il y a un adulte devant chaque élève. Mais pour autant, on sait que c’est une situation qui fait un peu écran de fumée.

Aujourd’hui, on a des brigades de remplacement complètement désossées

Ils ont obtenu ce résultat en récupérant l’ensemble des brigades de remplacement, ceux qui font les remplacements en cas d’arrêt maladie, de congés maternité… Ces collègues-là ont été placés sur des postes vacants. Ce qui fait qu’aujourd’hui, on a des brigades de remplacement complètement désossées.

Aussi, l’année dernière, à la pré-rentrée, quand nous sommes venus à la rencontre des néo-contractuels, il y en avait une trentaine à Créteil. Là cette année, ils étaient 600.

Et qu’en est-il de l’instauration de groupes de niveaux largement rejetés par les syndicats ?

Dans 92 % des collèges, la réforme instaurant des groupes de niveaux n’est pas effective. C’est quand même l’effet de la mobilisation, car on a eu des groupes de travail forts, très mobilisés qui ont su dire non à leurs chefs d’établissement. On a eu aussi des chefs d’établissements complètement opposés à cette réforme.

Donc la mobilisation pour un plan d’urgence continue ?

Elle continue, la grève a été relativement suivie mardi dernier et elle va se poursuivre le 1ᵉʳ octobre. Le 93 est non seulement le département le plus pauvre, le plus jeune de France métropolitaine, mais c’est aussi un département qui est un laboratoire, toutes les politiques éducatives qui vont se généraliser sont expérimentées chez nous. C’est notamment le cas pour les politiques de démantèlement du service public.

12 % des contractuels du second degré en France travaille dans le 93

À cette rentrée, on a presque 10 % de contractuel dans les écoles, au niveau national, on est sur le chiffre de 2 %. Chez nous, les contractuels, cela fait depuis 2008 qu’on les accueille et que les chiffres montent en flèche. Sur le second degré, on serait autour de 15 % de contractuel sachant que dans certains lycées professionnels, on arrive au chiffre de 70 % de collègues contractuel. 12 % des contractuels du second degré en France travaille dans le 93.

On expérimente aussi le sous-financement, les écoles qui fonctionnent en flux tendu avec des moyens dérisoires, une pénurie de personnels, un service public tellement dégradé qu’il entraîne cette crise des recrutements.

Au final, on en arrive à cette situation scandaleuse qui est celle du non-remplacement où nos élèves, clairement, ont une scolarité amputée. L’objectif de restaurer l’éducation nationale est une urgence sur l’ensemble du territoire, mais l’impératif est de réparer l’école du 93 parce qu’on a ce rôle de laboratoire qui fait qu’il y a urgence.

Propos recueillis par Héléna Berkaoui

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