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Pendant que Jean-Michel Blanquer martèle que la « continuité pédagogique » fonctionne et que 90 à 95% des élèves y adhèrent, les professeurs, eux, vivent une toute autre réalité. « L’école à la maison, c’est assez chaotique », résume Claire Fortassin. La professeur de philosophie au lycée Gustave-Eiffel de Gagny n’a pas franchement goûté la communication du ministre de l’Education nationale : « Je suis extrêmement en colère, reconnaît-elle. On a entendu ‘Tous les profs sont prêts, ils ont les outils’… C’est un mensonge criant ! »

Son confrère Clément Bernard, professeur de maths au lycée Blaise-Cendrars de Sevran et syndiqué SNES-FSU, abonde dans son sens : « Jean-Michel Blanquer est dans le déni et il nous ment depuis trois ans. On n’a aucun briefing, aucune info ! » Ce qui fait tenir les profs, à les entendre, c’est leur dévouement au service des élèves et l’entraide entre adultes. « Avec mes collègues, on s’échange les travaux, indique ainsi Clément Bernard. Heureusement que les profs sont pleins de bonnes volonté et qu’ils aiment leur métier, sinon ça serait la catastrophe ! »  

Les facteurs favorables à la dite catastrophe sont nombreux. A commencer par le principe même de l’école à la maison, comme l’explique Arnaud Fabre, professeur de français au collège Condorcet à Maisons-Alfort. « On leur demande de se mettre dans des conditions de travail qui sont presque celles de révisions d’un concours, où on est seul avec ses bouquins et une multitude de choses à faire, déplore-t-il. C’est déjà difficile quand on est adulte, alors sans le suivi pédagogique de l’enseignant, c’est pratiquement impossible. »

Claire Fortassin ne dit pas autre chose : « Il est illusoire de penser que les élèves vont travailler de 8h à 17h tous les jours. On ne va pas les laisser devant une prof qui est face à une webcam comme s’ils étaient en cours normalement. C’est totalement utopique ! »

La fracture numérique, rupture d’égalité

Avoir cours à distance, ça implique aussi pour les élèves une charge de travail conséquente. « Beaucoup d’élèves se plaignent d’avoir trop de travail, indique Clément Bernard. Les profs donnent plus de choses à faire que d’habitude, certains élèves sont en panique… »

Encore faut-il, pour cela, qu’ils reçoivent les différents enseignements. Avec la fermeture des écoles, une proportion importante d’élèves s’est volatilisée. Le ministère parle de 5 à 10%, les professeurs, sur le terrain, trouvent ce chiffre sous-estimé. « Beaucoup d’entre eux restent sur le bord du chemin parce qu’ils n’ont pas Internet, ils ont un ordi qu’ils partagent à plusieurs, déplore-t-elle. C’est un vrai problème pour les populations que l’on peut avoir à Gagny ou en Seine-Saint-Denis en général. »

Arnaud Fabre y voit « les limites de l’enseignement à distance » tandis que Clément Bernard assène : « Ce qu’on est en train de faire en ce moment, c’est de creuser les inégalités. Ceux qui sont favorisés, ce sont ceux qui ont une chambre à eux, une connexion internet et un ordinateur. »

On fait avec les moyens du bord, comme d’habitude

Face à cela, les profs s’adaptent tant bien que mal. Sans se sentir particulièrement soutenus par leur hiérarchie. « On a dû se débrouiller chacun de notre côté, comme il était possible de le faire », glisse Claire Fortassin, la prof de philo. Son collègue matheux embraye : « On fait avec les moyens du bord, comme d’habitude. On est livrés à nous-mêmes. » Eux et leurs collègues évoquent l’ENT (espace numérique de travail) vite saturé, les dispositifs du CNED (centre national d’enseignement à distance) pas toujours adaptés…

Alors, pendant les trois semaines qui ont séparé le début du confinement des vacances scolaires, nos trois enseignants ont tenté de limiter la casse. De ne pas bâcler le programme, de ne pas perdre trop d’élèves, de ne pas noyer ceux qui étaient là… « Faire découvrir de nouvelles notions aux élèves, c’est déjà dur avec un enseignant. Mais là, seuls devant leurs ordinateurs, ça ne passera jamais ! », lance Clément Bernard.

Comme lui, la plupart des profs se sont contentés de réactualiser les acquis, de proposer des devoirs facultatifs. Histoire qu’après la crise sanitaire, les enfants et adolescents les moins favorisés ne prennent pas en pleine face une crise scolaire potentiellement lourde de conséquences.

Hervé HINOPAY

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