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Sur le papier, Paris 8 étant bloquée, on pourrait se laisser à croire que ses allées, ses halls et ses salles de cours sont déserts. Il n’en est rien. Certes ni cours ni partiels ne se tiennent dans l’enceinte de l’université de Saint-Denis mais l’établissement est bel et bien occupé. Occupé dans le sens habité.

Ces tags et toutes ces affiches, c’est une manière de se réapproprier la fac

Prenez le grec par exemple ou les épiceries de la fac, ils sont bien ouverts, tout comme la Bibliothèque universitaire. Les allées de la fac sont animées comme le bâtiment B2, véritable QG des bloqueurs. D’ailleurs, dans le hall de ce bâtiment, il aura fallu près d’une demi-heure pour faire le tour des tags et des affiches qui arborent désormais les murs de la fac. « Ces tags et toutes ces affiches, c’est une manière de se réapproprier la fac », explique une étudiante de Paris 8 en première ligne de la mobilisation.

Consentement et service d’auto-défense

Certaines affiches concernent directement la loi réformant l’université déjà adoptée, réclamant son retrait immédiat et expliquant les raisons du blocage. D’autres n’ont aucun lien mais n’en sont pas moins intéressantes à observer. C’est le cas par exemple de ce panneau qui indique en anglais et en français ce qu’est le consentement. « Ces affiches sur le consentement, c’est parce qu’il y a eu quelques incidents », souligne Carla.

Une autre pancarte propose un service spécial soirée pour protéger les étudiantes. Des filles se relaient pour déambuler dans les allées de la fac se mettant à disposition de leurs comparses et guettant les débordements. Le service s’appelle le SAFE : service d’auto-défense féministe.

Paris 8 occupée, étudiants organisés

À l’intérieur, les étudiants en grève s’organisent dans une discipline remarquable. Au mur, des plannings sont placardés pour l’organisation du quotidien : ménage, nourriture. Car pour ravitailler ce monde, il en faut de l’organisation logistique. « Il faut prévoir à l’avance le nombre de personnes qui dorment sur place pour pouvoir aussi prévoir les besoins », nous explique Clara. « Par exemple, on va au marché de Saint-Denis juste avant sa fin pour récupérer les invendus. Et on a régulièrement quelque chose« . Il y a les bouches des étudiants mais aussi celles des exilés qui ont trouvé refuge dans le bâtiment A de l’université depuis le 8 février 2018« On a installé une cuisine dans laquelle, en fonction des personnes qui restent dormir, on prépare à manger ».

On nettoie avant l’arrivée des femmes de ménage pour éviter que ce soit trop dégueulasse

Pour le ménage, Clara précise que les étudiants s’organisent « pour nettoyer avant l’arrivée des femmes de ménage pour éviter que ce soit trop dégueulasse. On sort les poubelles trois fois par semaine en fonction des passages des camions ». L’occupation se fait de jour comme de nuit. Pour dormir, il y a des dortoirs mixes et non mixtes. « Au début je dormais en bas, mais il faisait trop froid donc je suis allé dormir à l’étage près des chauffages », témoigne Jérémy, étudiant en sociologie.

Placardés sur les murs, des dizaines de tracts, des affiches informant sur l’occupation, sur les assemblées générales, des autocollants de soutien aux cheminots, des infos logistiques sur les départs en manifestation. Devant tout cela, on a un peu le tournis. Heureusement, les étudiants bloqueurs ont installé un accueil dans le hall. C’est Clara qui en est chargée ce matin pour informer les étudiants. Sur la table derrière laquelle elle est postée, sont disposés de multiples documents. « Ce sont des associations qui viennent les poser là ». Il y a là des articles scientifiques, des tracts, des journaux, des petits manuels et tout cela à prix libre et dans différentes langues.

Pour comprendre ce qu’il se passe dans cette université, comme dans les autres, impossible de ne pas s’arrêter à l’assemblée générale, la fameuse AG. À midi, ce jour-ci, le grand amphithéâtre se remplit peu à peu et commence, comme toujours, une heure en retard.

Tous les sujet de l’AG d’aujourd’hui concernent la question politique de la convergence des luttes et la préoccupation de la validation de l’année des étudiants. Ces derniers réclament une validation automatique car elle est la condition pour se mobiliser pleinement sans craindre un redoublement. Ainsi des notes « démobilisables » ne desservent pas seulement les étudiants mais aussi toute une mobilisation.

La convergence des luttes espérée

Ce jour-ci, une délégation de professeurs et d’élèves de l’université de Nanterre, également occupée en protestation contre la loi de réforme de l’université, sont venus demander de l’aide aux étudiants de Paris 8 pour bloquer des partiels. Demande acceptée par les étudiants en AG et pas uniquement pour Nanterre.

Un appel a été lancé pour une mobilisation le 5 mai devant la Sorbonne avec les Cheminots. Un professeur de l’université de Nanterre explique la raison de cette mobilisation multi-fronts. « La prochaine étape après cette loi sur les cheminots, c’est la destruction du statut de fonctionnaires et ce sont les collègues enseignants qui vont morfler », décrit-il. Une professeure de Paris 8, membre de la CGT, appelle d’ailleurs tous les professeurs, qui ne travaillent pas à cause du blocus mais sont payés, à donner une journée de leur salaire aux cheminots qui « eux ne sont pas payés ». Même les exilés sont représentés au sein de l’AG. L’un d’entre eux a pris la parole pour demander un soutien notamment matériel et financier.

Ce que j’ai vu durant ces quelques heures passées avec les étudiants mobilisés, ce sont des jeunes hommes et jeunes femmes ouverts au débat, soucieux d’occuper leur fac pour se faire entendre et mettant tout en place pour éviter les débordements. Dans une époque où des commentateurs de tous bords critiquent quotidiennement une jeunesse soi-disant individualiste, on ne peut que leur conseiller de venir faire un tour à Paris 8.

Tamim GARDE

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