Le programme French Tech Diversité, soutenu par l’État, a présenté sa première promo de startup le 17 octobre à Station F, dans le XIIIe arrondissement de Paris. 35 projets vont être accompagnés pendant un an. L’efficacité du dispositif, loin d’être la première initiative mise en place pour favoriser l’entrepreneuriat en banlieue, risque d’être mesurée.
Elles s’appellent Accady, Tracktor, Meet my Mama, Ma coiffeuse afro, Whire, Agipaie… Ces noms sont ceux des 35 startups récompensées pour la première saison du programme d’accompagnement gouvernemental French Tech diversité, lancé par le label French Tech.
Ce mardi 17 octobre, c’était grandes pompes à la Station F, le plus grand incubateur au monde, lancé par Xavier Niel : une cérémonie a eu lieu pour récompenser ces startups franciliennes du programme. Elles ont également reçu le label French Tech. « C’est quand même un label qui apporte une crédibilité et qui sanctionne l’excellence », assure Laura Medji, cofondatrice de Tracktor, une startup qui cherche à mettre en relation des professionnels du BTP pour qu’ils louent entre eux « tout type d’engin de chantier ».
274 projets déposés, 35 startups retenues
« Ils étaient 422 candidats pour 274 projets déposés et 35 d’entre eux ont été récompensées », précise Salima Maloufi, directrice du programme French Tech diversité lancé en mars dernier avec un appel à candidatures, pour souligner l’exigence de cette première promotion du programme. Parmi les lauréats, Afrikea, une place de marché conçue sur le modèle d’Etsy et dédiée aux créateurs africains fondée par Moulaye Tabouré. Ou encore la startup Tchecker lancée par Michel Dinga, Ramdane Laroubi et Ali Innour, originaires de Genevilliers, et dont l’objectif est de développer une communauté de personnes qui vont s’assurer de la qualité d’un produit vendu via une plateforme comme Leboncoin pour un acquéreur intéressé. « Le taux de sélection parmi les 271 startup candidates est de 13% : c’est une promo très sélective, digne d’Harvard ou de Sciences Po », s’est félicité Mounir Mahjoubi, présent lors de la cérémonie. Une occasion pour le secrétaire d’État au numérique de saluer des visages qui expriment une diversité des origines, une diversité des parcours, avec une émotion plus contenue que lors de sa venue au Startup Banlieue, lors du weekend du 30 septembre.
Une diversité qui se traduit dans les chiffres : 60% des startups lauréates ont au moins une femme parmi les fondateurs, 40% des entrepreneurs lauréats viennent des quartiers populaires, un tiers de la promotion a un niveau d’études inférieur à bac +5. De plus, parmi les personnes ayant bac +5 ou plus, seulement 30% d’entre elles sont diplômées d’écoles de commerce ou d’écoles d’ingénieurs. « Pour obtenir une telle diversité des profils, trois critères de candidatures ont été retenus : résider dans des quartiers relevant de la politique de la ville ou avoir été boursier de l’enseignement supérieur un an auparavant, ou bénéficier des minima sociaux dont l’allocation adulte handicapé », résume Salima Maloufi. Le programme veut changer le profil-type de l’entrepreneur français, soit un homme blanc sur-diplômé d’une grande école de commerce et issu d’un milieu social favorisé. « Cette cérémonie montre que ce ne sont pas toujours les mêmes, à savoir des hommes blancs CSP+, qui sont à l’origine de startups talentueuses », souligne Laura Medji.
« On a un potentiel qui est massivement sous-exploité »
Pour aider les startupers à faire leur trou dans le grand bain de l’entrepreneuriat, French Tech Diversité leur offre une bourse d’État, un accompagnement par des mentors (des « ambassadeurs » eux-mêmes issus de la diversité), et un hébergement dans l’un des 11 incubateurs franciliens partenaires, dont Station F. « C’est vrai qu’avant ça, on n’avait pas du tout de locaux, on se voyait dans des Quick, dans des McDo, un peu n’importe où. Ce n’était pas l’idéal pour travailler », se remémore Loubna Ksibi, fondatrice de Meet my Mama, « une startup qui permet de valoriser les talents culinaires de femmes immigrées ou réfugiées ».
Ce programme se veut être le moyen pour des entrepreneurs des quartiers de lever des freins à la prise de risques. « Je pense que ça va lancer un mouvement parce qu’on a un potentiel qui est massivement sous-exploité. Et l’idée, c’est que ce potentiel donne ce qu’il est capable de faire », affirme Louis Schweitzer, commissaire général à l’Investissement, partenaire attentif du programme. Pour l’ancien PDG de Renault, la ligne directrice du programme French Tech diversité est claire : « aucune idée, aucun projet, ne doivent être perdus ».
Une initiative très modeste
Chaque startup lauréate reçoit une enveloppe de 57 000 euros, dont 45 000 euros sous forme d’aide directe et le reste pour payer l’incubation. Une somme correspondant plus ou moins à la « love money », une levée de fonds auprès des proches dont ne bénéficient pas les entrepreneurs issus des quartiers. « Ils avaient trois besoins : des financements, un réseau et de l’accompagnement notamment pour aller à l’international. Nous leur apportons tout cela », explique Salima Maloufi. « On a acheté un camion pour faire nos livraisons. On va prendre un espace de cuisine pour nos mamas. On n’aurait pas pu faire tout ça sans certaines aides. C’est toujours cool d’avoir un coup de pouce », s’enthousiasme Loubna Ksibi. « En fait, ça a un peu changé notre vie ! On démarre, surtout dans un secteur, le food tech, où il y a beaucoup de monde », Nogoferima Karamoko, fondatrice d’Accady, une startup tournée vers la livraison de panier-repas bio et halal.
Le budget alloué au label s’élève, lui, à seulement deux millions d’euros au total, quatre millions en 2018 pour une deuxième promotion étendue à toute la France. Une goutte d’eau comparée au 110 millions d’euros investis par l’Agence France Entrepreneur (AFE). Lancé en 2015 par François Hollande lors d’un déplacement à La Courneuve, cet organisme avait pour objectif de faire passer de 5 à 20% la part d’entreprises créées dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Il existe encore et fait partie des partenaires de la French Tech Diversité.
Pas sûr que ces deux ou quatre millions d’euros répondent au problème de fond et à la gravité des enjeux de terrain : les inégalités scolaires et territoriales, les difficultés à se former, le taux de chômage élevé, les plafonds de verre.
Jonathan BAUDOIN
Crédit photo : Naïs BESSAIH