Des bureaux aux fourneaux. Imen, 35 ans, mère de trois enfants, vit à Corbeil-Essonnes (91). Quand elle quitte la Tunisie en 2007 pour arriver en France avec son époux (dont elle s’est séparée depuis), elle a un diplôme de « communication organisationnelle » en poche. Faute d’équivalence en France, elle doit se contenter d’un poste d’assistante de gestion dans une entreprise de gestion, qui finit par déposer le bilan en 2015.
Alors qu’elle est encore en poste, Imen s’exerce à faire des gâteaux pour ses enfants… tant bien que mal. « Quand j’ai accouché de ma fille, je ne savais même pas faire un gâteau au yaourt ! », rit-elle aujourd’hui. Cela ne l’a pas empêché de persévérer : « Plus je faisais des gâteaux simples, plus j’avais envie d’en faire des compliqués. Je me lançais des challenges. C’est mon entourage qui m’a poussé à franchir le pas ». En effet, Imen commence à confectionner des gâteaux pour la famille, puis ses amis, puis les amis des amis jusqu’à ce qu’elle crée sa page « Lili Gourmandises » sur Facebook et Instagram.
Lassée de la vie de bureau, Imen commence alors à confectionner des gâteaux pour les particuliers. Cap sur l’artisanat et les métiers manuels qui l’attirent particulièrement. Elle fixe sa priorité : « l’école Ferrandi ou rien ! », un des meilleurs endroits pour apprendre la pâtisserie. Après avoir passé une sélection écrite et orale, elle finit par être retenue parmi les 24 lauréats sur quelque 300 candidats au départ. Son CAP pâtisserie sur une année lui coûte 10 000 euros, en partie financé par ses économies et celles de son mari.
Son projet : ouvrir une pâtisserie-salon de thé d’ici 5 ans avec des bons produits, du fait maison en banlieue « car on n’a quasiment rien ici à part Paul ou les enseignes de surgelés ». En attendant, depuis qu’elle a eu son diplôme en 2017, elle a trouvé un poste en CDI dans un hôtel parisien, où elle est entrée comme commis avant de devenir chef de partie, à la tête d’une équipe de quatre personnes.
Après la compta, Dabia touche du bois
Comme elle, Dabia a choisi l’artisanat. Cette jeune femme de 38 ans, célibataire sans enfant, est originaire d’Athis-Mons (91). Son parcours scolaire est sinueux mais réussi. Un BEP comptabilité, poussée par ses conseillers d’orientation, une première d’adaptation après avoir constaté que ce n’était pas le bon choix, un bac STT, un BTS et un DECEF (diplôme de comptabilité de niveau bac +4). Dabia bosse ensuite pendant près de quinze ans dans un cabinet comptable. Sans jamais perdre de vue sa véritable passion, tout ce qui touche à l’art. A la maison, elle s’en donne à cœur joie : peinture à l’huile et à l’aquarelle, le dessin, le tricot, la calligraphie… Malgré un bon salaire et une vie qui la comble, Dabia commence à penser à la reconversion et décide de faire un test en ligne pour trouver le métier fait pour elle.
Verdict : l’algorithme lui parle du métier d’ébéniste… qu’elle ne connaît pas du tout. Elle cherche alors à prendre des cours et tombe sur une association qui l’accueille une fois par semaine pendant trois heures. Elle adore ! A la même période, son entreprise est rachetée et Dabia est licenciée. La jeune femme pleure de joie pendant que son père, lui, pleure d’inquiétude.
C’est un métier dangereux, un métier d’hommes, pense le paternel. Mais Dabia compte bien lui prouver le contraire. Portée par sa nouvelle passion, Dabia se lance dans un CAP d’ébéniste à l’école Boulle d’un montant de 13 000€. Fort heureusement, elle est sélectionnée par le Greta pour être financée en intégralité. Un an plus tard, son diplôme en poche, elle galère un peu pour trouver un emploi dans son nouveau domaine et un jour… « Pendant le Ramadan, je me suis levée à trois heures du matin pour manger et je vois une offre de Louis Vuitton qui recherche un malletier, raconte-t-elle. Je me suis reconnue dans l’offre. » Dabia postule et décroche le poste. Elle vient de terminer son premier CDD de six mois et entame son deuxième. « Je ne regrette pas du tout mon parcours de comptable, explique-t-elle. Ça m’a apporté des choses mais j’avais besoin d’une autre voie. »
Après le bac, tu feras ce que tu veux
Pour Chamsi, cela commence par une histoire de berger… A l’aise avec les sciences à l’école, le jeune Aulnaysien de 32 ans entre dans le monde du travail avec le diplôme d’ingénieur industriel. Pour ses parents, un synonyme d’ascension sociale qui les emplit de fierté. Mais, après six ans à ce poste, Chamsi acquiert la certitude qu’il est devenu « un maillon d’un système nocif pour la planète » et décide de laisser tomber.
Reste à savoir où aller. Chamsi se souvient qu’un jour, à l’école, on lui a demandé quel métier il voulait faire plus tard. Le soir même, à la maison, il demande à sa mère : « Tu veux que je fasse quoi, plus tard ? » La réponse est forte, presque philosophique : « L’essentiel, c’est que tu aies le bac, après tu feras ce que tu veux, même berger. » L’information n’est apparemment pas tombée dans l’oreille d’un sourd. Amoureux des animaux et de la nature, Chamsi veut désormais, à 32 ans, devenir… agriculteur.
Son père n’approuve pas forcément ce virage à 180 degrés mais le jeune homme est déterminé. Il a passé un brevet professionnel d’exploitant agricole à Lille, moyennant 10 000 euros financés par le Pôle Emploi. Après deux ans de chômage, Chamsi alterne entre RSA et petits boulots sans perdre de vue l’objectif : mettre de l’argent de côté pour acheter un terrain. Son rêve, « cultiver des fruits et légumes, avoir des animaux et partager cela avec les gens qui veulent aussi changer de vie, explique-t-il. Je veux faire ça pour avoir un mode de vie plus naturel et être épanoui. »
Imen, Dabia et Chamsi le montrent : il n’y a pas d’âge pour changer d’orientation. S’écouter finit souvent par mener au métier de ses rêves, quels que soit les obstacles. Ne jamais abandonner !
Chahira BAKHTAOUI