« Comparutions immédiates, peine immédiate. » Telle est la vision de la justice et de la sécurité défendue par Emmanuel Macron lors d’une interview accordée à Matthieu Stefani dans un épisode de « Génération Do It Yourself », diffusé le 24 juin 2024. Au-delà de questionner le temps raisonnable du jugement, cette petite phrase en dit long.
Dans cette quête d’une justice expéditive, les comparutions immédiates (CI) occupent une place de choix. Elles sont le mode de la procédure rapide. Si elle représente une faible partie des réponses pénales prononcées par les parquets, son utilisation a considérablement augmenté depuis le début des années 2000. À tel point qu’en septembre 2023, un collectif de magistrats et d’avocats signaient une tribune dans Le Monde contre la multiplication des CI qui représentent à leurs yeux « une justice de deuxième classe inacceptable ».
Les affaires que l’on retrouve en CI sont variées : vols, trafics de stupéfiants, violences physiques, intrafamiliales, infractions routières. Mais les personnes qu’on y retrouve se suivent et se ressemblent. Les profils recoupent principalement de jeunes hommes racisés, habitants des quartiers populaires, déscolarisés, sans emploi fixe… Des justiciables précaires et stigmatisés.
Et cette précarité s’accompagne d’autres problématiques : situation d’irrégularité, contexte familial complexe, parcours en addictologie, soucis de santé, endettement, chômage. Certains sont récidivistes quand d’autres, à peine majeurs, sont primo-délinquants. Puisqu’ils n’ont pas toujours de garantie de représentation, ils doivent faire appel à des avocats commis d’office pour se défendre.
En comparution immédiate, huit fois plus de chances d’aller en prison
Judith Allenbach est juge d’instruction au tribunal judiciaire de Paris et secrétaire permanente du syndicat de la magistrature. Pour cette dernière, la comparution immédiate est « l’emblème d’une justice qui se donne pour objectif d’être rapide et efficace ». Le discours d’Emmanuel Macron devant les élèves de l’École nationale de la magistrature, le 9 février 2024, va dans ce sens avec ces mots d’ordre : l’efficacité, la célérité, la rapidité.
On estime qu’une personne qui est déférée en comparution immédiate à huit fois plus de chance d’aller en prison
« Vu l’état de déréliction de l’Institution, la seule chose rapide et efficace de notre système judiciaire, ce sont les comparutions immédiates », se désole Judith Allenbach. Une voie procédurale qui est essentiellement tournée vers l’incarcération. « On estime qu’une personne qui est déférée en CI à huit fois plus de chance d’aller en prison que si on l’avait dirigée vers un autre mode de procédure », détaille la juge.
Mais pour diriger les prévenus vers d’autres modes procéduraux, il faudrait plus de moyens et plus d’effectifs, or la justice manque des deux. Selon le syndicat de la magistrature, ces moyens sont nécessaires pour répondre aux exigences d’une bonne justice : « Il faut que les enquêtes soient minutieuses, que les avocats aient le temps de préparer leurs dossiers et que les prévenus construisent leur défense ». Et il faut aussi que les parties civiles puissent se préparer psychologiquement, car les comparutions immédiates peuvent faire l’effet d’un rouleau compresseur.
Répondre vite quitte à répondre mal ?
Depuis le début des années 2000, cette voie procédurale s’est densifiée ce qui a provoqué l’engorgement des juridictions. Judith Allenbach en témoigne. « L’été dernier, à Paris, il y avait des audiences qui pouvaient se terminer entre minuit et 4 heures, voire 6 heures du matin. Très rarement avant 21 heures. » Comment réussir à juger et à défendre dans un tel état de fatigue ? Elle estime qu’il y a « une sorte de renoncement à des exigences qualitatives minimales au nom d’une volonté de montrer qu’on a une justice efficace qui répond vite, quitte à répondre mal ».
Aussi, la magistrate s’inquiète de l’émergence de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), une voie concurrente à la CI qui répond parfaitement aux objectifs de rapidité annoncés par le gouvernement. Il s’agit d’un « plaider coupable » à la française qui permet au parquet de négocier une peine avec la personne et son avocat sans qu’elle ait à comparaître devant un tribunal. « Sous prétexte de désengorgement des audiences, il n’y a plus de procès et plus de débat sur le fond des faits », s’alarme-t-elle. De plus, le rapport de force à l’œuvre dans ces négociations reste asymétrique et « peut donner lieu à des erreurs judiciaires très importantes ».
Une politique pénale de tolérance zéro
La comparution immédiate est le corollaire du TTR (traitement en temps réel, ndlr) : un dispositif permettant au parquet d’être informé de toutes les gardes-à-vue en cours. Pour Judith Allenbach, « cet outil a été le bras armé des politiques pénales dites de tolérance zéro ». Il a permis d’appréhender immédiatement toutes les manifestations de petite et moyenne délinquance. C’est la première étape d’une chaîne procédurale globale qui va de la garde à vue au déferrement puis à la CI pour finir en détention.
Dans sa bande dessinée « Chronique de l’injustice ordinaire », la dessinatrice Ana Pich montre que cette chaîne ciblerait une certaine « clientèle pénale ». Des jeunes hommes issus des minorités, les habitants des banlieues, des personnes parmi les plus précaires. Cela engendrerait un effet de loupe entretenant le mythe raciste et classiste d’une petite délinquance identifiable.
Et dans ce maillage, le rôle du procureur est crucial. « Il y a toujours une double lecture à avoir dans les réquisitions du ministère public, analyse Judith Allenbach. Ce qui se joue, c’est à la fois la situation individuelle de la personne qui comparaît et la représentation de la politique pénale auprès de la société toute entière. » Si le prévenu comparaît en son nom, la voix du procureur s’inscrit dans une chorale hiérarchique qui, elle, remonte jusqu’au Garde des Sceaux.
Dans une société où l’idéologie sécuritaire prime, il est devenu banal que les réquisitions soient souvent tournées vers plus de sévérité
Ce dernier, qui requiert au nom des citoyens, incarnerait une sorte de morale collective et serait le garant d’un curseur serré sur la répression de la petite délinquance. « Dans une société où l’idéologie sécuritaire prime et où la répression par la prison est l’alpha et l’oméga de la réponse pénale, il est devenu banal que les réquisitions soient souvent tournées vers plus de sévérité », conclut la juge.
Un système à bout de souffle
Au sein de ce microcosme aux règles strictes, tous les acteurs sollicités sont sous l’eau. Les avocats commis d’office comme les magistrats découvrent le matin même une quinzaine de dossiers qu’ils devront gérer dans la journée. De leur côté, les enquêteurs sociaux – parent pauvre de la procédure – enchaînent les entretiens et n’ont pas toujours le temps, ni les moyens de retracer le parcours des mis en cause.
Dans le box ou à la barre, les prévenus sont, quant à eux, assommés d’informations et épuisés par les heures de garde-à-vue. On finit par les retrouver à quelques mètres des parties civiles, elles-aussi épuisées, dans des salles d’audiences parfois exiguës. Si tout le monde fait de son mieux, les structures elles-mêmes débordent. En témoigne le tribunal correctionnel de Bobigny où le monde afflue et où les toilettes sans papiers ni savon côtoient les affiches de promotion du ministère en quête de performance.
Marthe Chalard-Malgorn