Après la publication d’une enquête dans Le Figaro Magazine intitulée « Saint-Denis : l’islamisation est en marche », les Dionysiens se sont réunis à la mairie, le 7 juin, pour trouver des solutions ensemble afin de redorer l’image de leur ville. Le maire, lui, indique porter plainte contre le quotidien.
Une salle des mariages presque transformée en salle de crise. Ce mardi 7 juin, la pièce dorée et bleue du second étage de la mairie de Saint-Denis (93) accueillait une réunion publique, en présence du maire de la ville. Les Dionysiens étaient invités à prendre la parole et réagir suite à l’enquête du Figaro Magazine intitulée « Saint-Denis : l’islamisation est en marche ». Publié le 20 mai dernier, cet article dépeint la ville de Saint-Denis comme une zone de non-droit où l’on prônerait un islam radicalisé et politisé.
À l’extérieur de la mairie pourtant, la scène observée ce mardi 7 juin est tout autre. Les badauds profitent du soleil, la Basilique de Saint-Denis accueille le festival de la musique classique et dans les rues on peut apercevoir quelques drapeaux européens flotter dans les airs comme un parfum annonçant l’Euro de football qui débutera quelques jours plus tard, à Saint-Denis, au Stade de France. Des images de cette ville de Seine-Saint-Denis qui contrastent donc avec la représentation qu’en a fait la journaliste du Figaro Magazine, Nadjet Cherigui. À tel point qu’un Dionysien se demande : «Est-ce le même Saint-Denis que nous vivons ?»
Ce soir-là, la salle de la mairie affiche complet. De nombreux responsables associatifs et religieux sont présents. Beaucoup de Dionysiens se disent «abasourdis», «choqués», «révoltés» ou encore «humiliés».
Contre-enquête
C’est Didier Paillard, le maire communiste de Saint-Denis, qui est le premier à prendre la parole. Il rappelle quelques faits. « Notre ville est avant tout victime du terrorisme. Les Dionysiens ne sont pas du côté des bourreaux. Saint-Denis est une ville de tolérance qui compte plus de 110 000 habitants de toute origine. Les replis identitaires sont à l’œuvre partout en France », déclare-t-il devant l’assistance. Et de rajouter : « Quelle riposte mener face à cette presse bornée ? » Didier Paillard indique aussi qu’il porte plainte contre le Figaro.
Également présentes dans la salle, Widad Ketfi, journaliste indépendante et contributrice au Bondy Blog, et Sihame Assbague, militante antiraciste. Les deux jeunes femmes ont mené une contre-enquête, qui vient d’être publiée sur le site d’Acrimed. « Après avoir lu l’article du Figaro Magazine, je me suis posée des questions sur la véracité de certains témoignages. Nous nous sommes donc rendues à Saint-Denis pour retrouver des personnes interrogées par la journaliste », explique Widad Ketfi. Elle indique que certaines citations de l’article ont été modifiées et elle donne l’exemple de Loïc pour qui certaines questions posées par la journaliste du Figaro Magazine se sont transformées en citations rapportées au jeune homme.
Bonjour @Le_Figaro ! Votre « enquête » à Saint-Denis était donc bidonnée. Une réaction ? https://t.co/jMVthdpMeA pic.twitter.com/6yfOrIeebX
— Acrimed (@acrimed_info) June 10, 2016
«Nous avons décortiqué tout le travail de la journaliste. Il doit y avoir 1% de vrai dans l’article. La sémantique est orientée, tout est fait pour stigmatiser», accuse Sihame Assbague.
Karim Azouz, le président du centre Tawhid regrette, lui, que la journaliste Nadjet Cherigui n’ait pas cherché à l’interviewer ou même à le rencontrer. La mosquée est pourtant citée dans l’article du Figaro Magazine et les dires d’un certain Karim, qui « fait partie des cadres de la mosquée Tawhid », sont rapportés. Or, Karim Azouz est le seul cadre de ce centre culturel à porter ce prénom. « Les fidèles ont été scotchés. Il y a un grand sentiment d’injustice, d’abattement. Jamais cette journaliste n’a parlé à un responsable de l’association. On cherche à créer des problèmes, à nous monter les uns contre les autres », se désole-t-il.
« I have a dream »
Certains Dionysiens, comme le prêtre Robert Phalip, regrettent que leurs témoignages donnant une vision positive de la ville n’aient pas été retenus lors de la publication de cet article. D’autres dénoncent des informations erronées. Jérôme, par exemple, indique que contrairement à ce qu’il est écrit dans l’article, il est facile de trouver de la viande non-halal dans la ville. Cet enseignant de Saint-Denis a lancé une pétition pour « demander au Figaro de reconnaître ses erreurs et de s’excuser. »
« Ce qui fait très mal, ce sont les images. Deux femmes voilées, isolées, devant un lieu de culte catholique, ça n’arrive quasiment jamais », estime Jean-Jacques avant de reprendre à la manière d’un Martin Luther King : « I have a dream. Je rêve qu’un jour toutes les communautés de Saint-Denis montent à Paris pour un défilé festif. Pour montrer toutes les couleurs comme nous le faisons lors des fêtes d’école. »
« Aux yeux de la France, nous sommes tous des terroristes »
Aux maux durs que vivent chaque jour les Dionysiens, ces mots stigmatisant du Figaro Magazine sont vécus comme la goutte d’eau qui fait déborder le vase de ce que l’on peut supporter. L’éducation, la pauvreté, le logement,… Voici autant de domaines que les habitants de cette ville de Seine-Saint-Denis voudraient voir s’améliorer. Au lieu de ça, ils se sentent stigmatisés par les médias et abandonnés par l’État. «L’assaut du Raid (contre un appartement de Saint-Denis, le 18 novembre 2015) a été un choc. Je pleure tous les jours depuis, sans savoir pourquoi. On est en train de faire monter une forme de racisme. Aux yeux de la France, nous sommes tous des terroristes », lâche Chantal. « On instaure une vraie violence dans la tête de nos enfants », se désole Julien.
L’objectif cette réunion publique n’était pas de masquer les difficultés. Mais le mot d’ordre était au rassemblement et au vivre-ensemble malgré ces problématiques du quotidien pour trouver ensemble des solutions afin de redorer l’image de la ville, des ses habitants et de son identité.
Le maire de Saint-Denis a livré un droit de réponse, dans le dernier numéro du Figaro Magazine, daté du 10 juin, pour répondre à l’article de Nadjet Cherigui. « La réalité de Saint-Denis, c’est avant tout sa jeunesse, sa diversité sociale et culturelle, sa tolérance qui en font la grande ville populaire, fière de son patrimoine historique, de ses mémoires migratoires et de sa tradition ouvrière. Cette réalité est pourtant bien plus de nature à lutter contre le fondamentalisme religieux que des articles stigmatisant une commune et ses habitants, sans aucune analyse ni aucune solution », écrit-il notamment.
Texte : Kozi Pastakia / Photos : Analia Cid.