Les coups de fils et les accolades s’enchaînent. Entre midi et 15 heures, « c’est le rush », admet Nader, l’un des porte-parole du collectif des Étudiants Étrangers (CEE) de l’université Paris 8 de Saint-Denis (93). En attendant d’avoir un local digne de ce nom, le collectif reçoit, rassure et console au beau milieu d’un couloir de la faculté. Parfois, Nader fait le baby-sitter pour les mères étudiantes isolées, le temps d’un cours de français. « Il fait bénévolement le travail d’au moins trois personnes », salue Ach*, un étudiant tunisien, qui vient prendre des conseils juridiques auprès du collectif. Ces derniers temps, le CEE concentre ses efforts sur une campagne de régularisation collective pour 50 jeunes. Ach en fait partie.
« La question des papiers est commune à tous les étudiants étrangers. Mais en même temps, c’est à chaque fois très complexe », explique Mehdi, membre du CEE et du Poing Levé, un collectif d’étudiants proche de Révolution Permanente qui soutient l’initiative. À charge pour chaque étudiant étranger de jongler entre études, rendez-vous à la préfecture et charabia administratif. Sauf que là, pas de droit à l’erreur possible. Un rendez-vous manqué, une case que l’on a oubliée de cocher et c’est la menace de l’expulsion. « C’est pour cela que l’on souhaiterait déposer une demande collective en préfecture », appuient les étudiants. « Faire ces démarches individuellement, c’est l’enfer », poursuivent-ils.
Leur pétition qui a reçu plus de 2000 signatures a été lancée L’objectif est d’obtenir le soutien de la présidente de l’université et d’envoyer un message fort. « La situation des étudiants étrangers est une question centrale cette année vu le contexte de montée des idées d’extrême-droite », développe un membre du Poing levé.
Quelque 50 étudiants se sont rapprochés du CEE pour faire partie de l’action. C’est la face émergée du problème, insistent les collectifs en lutte. L’année dernière, 20,6 % des étudiants inscrits à l’université Paris-8 étaient étrangers.
La direction de Paris 8 refuse, par principe, de trier ses élèves. Dès la rentrée, les étudiants peuvent ainsi faire leur démarche une fois sur place, avec plus ou moins de chance. Asma qui est en licence de langues étrangères s’est vue refuser plusieurs fois l’asile. Elle vient du Soudan, un pays en état de guerre civile. « France terre d’asile, si vous voulez mon avis, ce n’est pas vrai », grince-t-elle.
« Avec le récépissé, j’ai eu l’impression de revenir humaine. Avant, j’étais transparente »
Noura, étudiante en master de sciences de l’éducation, est désormais en règle. Elle a reçu le précieux sésame le 4 septembre dernier, se souvient-elle. Accompagnée du CEE, elle avait déposé une demande en préfecture avec dix autres élèves en juillet. L’initiative avait été alors soutenue et signée par la présidence de l’université. « Avec le récépissé, j’ai eu l’impression de revenir humaine. Avant, j’étais transparente », décrit la jeune femme. « Si jamais il m’était arrivé quelque chose… Maintenant, au moins, j’ai un chiffre qui me représente », plaisante-t-elle.
L’accès à des documents administratifs ne règle toutefois pas tous les problèmes. « On espère juste que c’est le début de la fin de la galère », ironise Tahar. Avec ses papiers, le jeune homme travaille désormais dans un fast-food en parallèle de son master en informatique.
Ses deux années sans papiers lui ont coûté. « Pendant deux ans, j’étais dans le flou. Mes notes ont baissé et j’ai perdu une année, car j’étais concentré sur ça. Quand on est sans papiers, il faut être dix fois plus déterminé qu’un étudiant régulier », lâche Tahar.
« Mais si c’était à refaire, je le referais », appuie-t-il. « Avec le soutien de la présidente, nous avons reçu nos récépissés en deux mois ». « Rien à voir » avec les délais préfectoraux habituels, souffle le jeune homme. Contactée pour savoir si elle envisageait de soutenir à nouveau l’initiative d’un dépôt en préfecture collectif, la présidente de l’université Paris 8 n’a pas répondu à nos questions.
« Liberté, Égalité, Anxiété »
Fort de cette précédente victoire, le CEE a bon espoir de renouveler l’expérience. Car chaque année, en plus des nouveaux inscrits, le collectif reçoit la visite d’étudiants qui font face à des absurdités administratives.
« J’ai l’impression de parler avec un mur », constate Ach après huit ans en France, il se trouve en situation irrégulière depuis novembre 2023 à cause d’une erreur administrative. Après des heures pendus au téléphone, il a appris que son dossier avait été transféré à tort à la sous-préfecture du Raincy (93).
Résultat : son titre de séjour a expiré sans qu’il puisse rétablir la situation. Dans la foulée, Ach a perdu ses APL. Pendant trois mois, il a vécu ici et là, sur le canapé de ses amis ou à la rue. « Ça a bouleversé ma vie », décrit cet étudiant en philosophie.
Le jeune homme a finalement trouvé un logement dans le nord de Paris. Le trajet pour se rendre en cours le terrifie chaque jour. « J’évite les endroits où il y a des vendeurs à la sauvette, car c’est là que patrouillent les policiers. J’ai mémorisé leurs mouvements. Maintenant, c’est devenu un réflexe », rapporte Ach.
« Je fais attention à la manière dont je m’habille », poursuit-il. « La mode est devenue un élément de survie », note-t-il, dégaine de rockeur jusqu’aux accessoires. « Il ne faut pas que l’on voit ma race », lâche-t-il.
On ne joue pas dans la même ligue que les étudiants français alors qu’on marche dans la même rue
Des Tunisiens, comme Ach, le CEE en reçoit énormément. « Il y a beaucoup de gens qui viennent du Maghreb, du Sénégal, du Mali, du Congo… Les étudiants viennent des anciens pays colonisés par la France », observent Mehdi et Nader.
Cette réalité historique non assumée, les étudiants étrangers la reçoivent en pleine face. « On ne joue pas dans la même ligue que les étudiants français alors qu’on marche dans la même rue », s’indigne Ach. « C’est quoi la devise de la France déjà ? Liberté, Égalité, Anxiété ».
Méline Escrihuela
*Le prénom a été modifié