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Sur les chiffres de la surpopulation carcérale publiés chaque mois par le ministère de la Justice, ils n’apparaissent pas. Ni chez les femmes, ni chez les mineurs, encore moins en annexe. Et pour cause, « on sait qu’ils ne sont pas détenus, mais on ne sait pas ce qu’ils sont », ironise Ariane Amado, juriste et autrice de L’enfant en détention en France et en Angleterre : Contribution à l’élaboration d’un cadre juridique pour l’enfant accompagnant sa mère en prison. Chaque année pourtant, les prisons françaises accueillent des enfants. Nés pendant la détention ou avant l’incarcération, ils peuvent rester auprès de leur mère jusqu’à leurs 18 mois (24 mois sur dérogation) afin de préserver les liens familiaux.

Selon les derniers chiffres officiels, 37 nourrissons accompagnaient leur mère au 1ᵉʳ janvier 2019. Les établissements pénitentiaires français peuvent théoriquement accueillir jusqu’à 81 bébés sur l’ensemble du territoire. Ils vivent, jouent et s’égosillent dans les nurseries carcérales avec salle de jeu et promenade dédiée, ou restent en cellule mère-enfant quand le budget et l’infrastructure sont à la peine.

Quand l’administration pénitentiaire pouponne

Contrairement à leur mère, ces enfants ne sont pas prisonniers. « Une des phrases qui m’a marqué, c’est une surveillante qui m’a dit : “l’enfant est là, mais juridiquement, il n’est pas là. Il n’existe pas” », raconte Edouard Gardella, chargé de recherche au CNRS. « Il n’existe pas de statut juridique pour lui », appuie Florence Lafine. Tous deux ont piloté le programme de recherche Mères et bébés en prison : Développement de l’enfant, care, autonomie et droit, financé par la ville de Paris via son dispositif Émergence(s).

Au sein même du personnel pénitentiaire, il existe des questionnements sur le degré de légitimité de l’existence même de la nurserie carcérale

Invité surprise et libre, l’enfant bouscule les codes de la prison. Les textes existants précisent, sans l’ombre d’un doute, que l’enfant accompagnant sa mère doit « bénéficier des mêmes droits que tout autre enfant ». Pour le sociologue Edouard Gardella, il y a dès lors une « tension entre l’État social qui protège ses citoyens et l’État pénal » qui enferme. La juriste Ariane Amado y voit, elle, « un conflit » interne pour le monde carcéral. « Au sein même du personnel pénitentiaire, il existe des questionnements sur le degré de légitimité de l’existence même de la nurserie carcérale », résument Édouard Gardella et Florence Lafine.

L’accueil en détention de nourrisson « est une source d’inquiétude pour les surveillantes », insistent les différents observateurs interrogés. « Les questions que se posent les professionnelles sont d’ordre pratique. Qui est responsable de l’enfant ? Qui l’emmène à la porte quand il a une activité extérieure ? Ai-je le droit de le porter ? », rapporte Édouard Gardella. « La plupart du temps, les surveillantes sont elles-mêmes mères », souligne Florence Lafine, sociologue spécialiste du processus de socialisation chez les nouveau-nés. Pour se dépêtrer de ce « magma », entre casse-tête juridique et « affects » qui entrent forcément en jeu, les surveillantes faisaient jusqu’alors « avec ce qu’elles pensaient être le mieux pour l’enfant », précise la sociologue.

Une circulaire pour « ne plus laisser place aux doutes »

« La prison se transforme », assure Édouard Gardella. Le 24 novembre 2023, le ministre de la Justice publiait une circulaire sur la prise en charge des enfants vivant avec leur mère en détention. La dernière datait de 1999. « On est passé de sept pages à 77 », se félicite Ariane Amado. Le signe d’un « engagement encore plus grand de l’AP » [Administration pénitentiaire, NDLR] mais également un moyen pour cette dernière « de se protéger », analysent les différentes personnes interviewées. « Des pratiques existaient déjà, mais maintenant, tout est codifié », juge Ariane Amado.

Au menu : « sécurisation des pratiques professionnelles », nomination d’un « référent nurserie » dans toutes prisons qui accueillent des enfants et affectation de personnels pénitentiaire « spécifique » et « volontaire » (mais pas formés pour autant) auprès des détenus mères. « Tous les cas de figure sont prévus », explique la juriste qui note quelques avancées pour le droit des enfants. « En cas d’hospitalisation urgente, avant, les enfants étaient séparés de leur mère. Désormais, ce n’est plus le cas. Ça parait tout bête, mais c’est énorme. »

Reste un paradoxe qui prouve la complexité du sujet :  la circulaire du 14 novembre 2023, en entérinant la responsabilité de l’AP dans la prise en charge de l’enfant, risque d’empiéter sur l’autorité parentale, liberté garantie par la Loi.

« Le budget : c’est là que le bât blesse »

« On pourrait toujours faire mieux », admet Ariane Amado. « En donnant un plus grand rôle à la PMI (Protection maternelle et infantile) par exemple », poursuit-elle. Aujourd’hui, la PMI intervient dans tous les quartiers-nurserie. Mais d’une prison à une autre, cette prise en charge par un intervenant extérieur peut changer du tout au tout. « Certains quartiers-nurserie reçoivent la visite d’une intervenante PMI tous les trois mois au mieux », alerte Florence Lafine.

On pense plus facilement à créer de nouvelles prisons pour les mères détenues plutôt qu’à les faire sortir

Déléguer la gestion de ces espaces à une autre institution que l’administration pénitentiaire pourrait être une solution. Mettre la main à la poche, une autre. « Il faut aborder la question de la sanctuarisation d’un budget pour l’intervention en nurserie carcérale », approfondit Ariane Amado. « Les prisons sont éloignées. Prendre une après-midi pour s’occuper de seulement trois enfants, ça prend du temps et ça coûte de l’argent aux collectivités départementales », insiste la juriste.

« Si le département n’a pas le budget, la circulaire a beau être là, elle ne changera pas grand-chose », prédit Ariane Amado, rappelant que l’aide à l’enfance est une compétence des conseils départementaux. À moins que la solution soit encore ailleurs, loin des barreaux des prisons, esquisse la juriste. « On pense plus facilement à créer de nouvelles prisons pour les mères détenues plutôt qu’à les faire sortir ».

Méline Escrihuela

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