Article initialement publié le 31 mars 2021.
C’est dans une rue discrète de l’Île-Saint-Denis que se cache la cuisine de La cantine des femmes battantes. Mariame et Maïté étant en convalescence, on y retrouve seulement Fatou, la présidente de l’association et cuisinière, Aminata, conductrice et cuisinière, et Tarik, qui s’occupe de l’autonomisation et de la logistique de l’association.
Le trio respire la complicité, on comprend vite qu’on converse avec trois ami·e·s plus qu’avec trois collègues. Il faut dire qu’iels se connaissent depuis longtemps. Avant que naisse La cantine, Luca (bénévole occupant le même rôle que Tarik), Tarik et Fatou se sont connus au sein du collectif Attiéké.
Localisé lui aussi à Saint Denis, ce collectif apporte une aide administrative et matérielle à celles et ceux qui en ont besoin, notamment aux familles exilées. Les deux jeunes hommes y travaillaient en tant que bénévoles et Fatou, qui bénéficiait au départ de l’aide proposée, cuisinait parfois pour le collectif lors de rassemblements.
Les cuisinières de La cantine des femmes battantes, aidantes et aidées à la fois
Un jour, ils lui ont proposé de créer une association qui lui permettrait de vivre de sa passion, la cuisine. Elle a accepté, sans hésiter. « Quand j’étais à Dakar, je travaillais pour Le Méridien Président, un hôtel 5 étoiles, donc je sais cuisiner », détaille Fatou. La cantine des femmes battantes voit ainsi le jour en janvier 2020.
Même trajectoire chez Aminata pour qui Fatou représente une source d’inspiration. « J’ai d’abord connu Luca, il m’aidait à régler certains problèmes personnels. C’est lui qui m’a proposée de rejoindre l’aventure car les cuisinières avaient besoin d’aide pour la livraison. Si j’ai commencé à cuisiner, c’est grâce à Fatou aussi qui m’a incitée à venir en cuisine ».
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Commence alors la cuisine et la vente de plats pour différents événements mais, pandémie de COVID-19 oblige, les quatre cuisinières ont dû se rabattre sur la livraison de plats. Malgré les difficultés en vendant une cinquantaine chaque weekend, chacune se dégage un salaire de 400€ à 500€ par mois, un gain non négligeable pour ces femmes précaires.
Si elles ne sont pas dans une situation stable et sereine, ce n’est pas possible que le projet fonctionne.
À peine créé, que l’association est déjà utile aux besoins de celles qui y travaillent. La cantine des femmes battantes tient sur deux piliers : la vente de plats et l’aide administrative. Pour Tarik, l’aide administrative est primordiale pour permettre aux cuisinières de sortir de la précarité : « si elles ne sont pas dans une situation stable et sereine, ce n’est pas possible que le projet fonctionne ».
Aidée par Luca, entre autres, c’est donc grâce au service administratif de sa propre association que Mariame a pu faire toutes les démarches pour son opération chirurgicale. Mais Tarik précise bien qu’il n’y a pas de verticalité entre le binôme composé de Luca et lui et le quatuor des cuisinières. Tout le monde est sur le même pied d’égalité. « À travers le travail, on instaure une certaine horizontalité. »
Mariame, Fatou, Maïté et Aminata bénéficient d’aides extérieures au quatuor, certes, mais, en gérant leur association, elles s’aident d’abord elles-mêmes. Cette absence de hiérarchie les rend indépendantes : « Ce n’est pas moi qui décide, c’est tout le monde. Enfin, c’est surtout Aminata, Fatou, Maïté et Mariame, en fait », précise Tarik.
L’entraide, le ciment de l’association
« J’étais dans une situation très difficile », confie Fatou. « Je n’avais pas de papiers, pas de logement, pas de travail, mes enfants n’étaient pas inscrits à l’école. » Aujourd’hui, la mère de famille est toujours sans logement fixe mais elle a trouvé du travail grâce à l’association et ses trois enfants ont pu être scolarisés.
Mais si la Présidente, pour ne citer qu’elle, s’en sort peu à peu,ce n’est pas seulement grâce à la solidarité interne à La cantine. Fatou et Aminata n’oublient pas les réseaux militants qui ont soutenu l’association à ses débuts, et qui continuent de le faire. Elles mentionnent notamment les autres collectifs ou associations qui, séduit·e·s par leur projet, les ont sollicitées pour cuisiner à différents événements.
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« On a commencé par cuisiner pour des associations, lors de manifestations. On a travaillé pour Genepi (association anticarcérale), QueerFood for Love (organisation féministe qui organise des repas pour personnes LGBTQI+), La Pagaille (recyclerie associative) et plein d’autres. Malheureusement, à cause de la pandémie, on a dû arrêter », se remémorent les deux cuisinières.
Sans oublier les fournisseurs bio localisés à Vitry avec qui elles collaborent depuis peu. S’associer avec ces producteurs représente un réel avantage d’un point de vue financier parce qu’ils pratiquent le prix libre, mais aussi parce qu’ils permettent à La cantine d’utiliser des ingrédients issus de l’agriculture biologique.
En plus d’être meilleur pour la planète et la santé, utiliser de tels ingrédients permet d’attirer plus de client·e·s : « On essaie de faire marcher des trucs différents ensemble pour que les publics qui, à l’origine, ne seraient pas intéressés par notre projet, le soient aujourd’hui », explique Tarik.
Presque autant de projets que de plats vendus
Et plus de client·e·s rime avec développement de l’association, l’objectif des femmes battantes. Un but parfois dur à cibler lorsqu’on ne bénéficie d’aucune aide de l’Etat, dans un univers concurrentiel inconnu des femmes battantes qui ne maîtrisent pas les codes des appels à projets institutionnels.
Mais cet obstacle n’est pas insurmontable, « il va juste falloir s’y mettre », relativise Tarik. À vrai dire, le mot « obstacle » n’est visiblement pas dans le vocabulaire de l’association. Pas même la pandémie n’empêche les quatre cuisinières d’avancer, au contraire.
Ne pouvant plus participer aux événements prévus, elles ont profité du premier confinement pour lancer leur service de livraison. Mais elles voient plus loin. Tarik et Aminata parlent déjà d’un local basé à Saint Denis qu’ils aimeraient louer, mais le coût les empêche pour l’instant de quitter le squat qu’ils occupent.
On aimerait montrer que nous, femmes africaines, on a réussi à construire
quelque chose.
En attendant, le quatuor pense investir la grande salle dont il dispose pour en faire une vraie cantine, c’est-à-dire un lieu dans lequel les gens pourront manger sur place quand les circonstances le permettront. Un projet d’épicerie est aussi sur les rails. Sans oublier le rêve d’Aminata qui souhaite obtenir son diplôme en comptabilité pour devenir la comptable de l’association.
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Mais le plus grand projet de tous, celui vers lequel mènent tous les autres projets, c’est d’aider encore d’autres femmes battantes : « On veut qu’il y ait d’autres femmes qui viennent, et que nous, on devienne formatrices. On veut qu’elles puissent gérer leur propre vie, leurs propres envies. On veut aussi leur apprendre à cuisiner. Parce qu’il y a beaucoup de femmes intéressées par ce domaine, le problème est qu’elles ne savent pas cuisiner », explique Aminata.
Finalement, le but de Mariame, Aminata Maïté et Fatou, c’est de n’être que la première génération des femmes battantes. Aminata rappelle qu’en tant que femmes noires et africaines, les quatres cheffes sont fières du chemin parcouru, mais qu’il en reste des épreuves à traverser pour celles qui leur ressemblent : « en tant que femmes, on n’est pas souvent mises en avant. On aimerait montrer que nous, femmes africaines, on a réussi à construire quelque chose. »
Sylsphée Bertili