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« Les discothèques seront amenées à rouvrir ». Cette phrase, prononcée par Olivier Véran le 17 Juin dernier, Mounir l’a attendue désespérément, pendant des mois. Depuis Mars 2020, le jeune quadragénaire a vu sa vie professionnelle être totalement bouleversée par la pandémie. Directeur artistique du club L’Orphée, situé dans le quartier de Pigalle, depuis une décennie, il a été particulièrement affecté par la fermeture prolongée de son espace de travail: « c’est comme si on t’arrache une partie de toi » confie-t-il.

Comme les habitués de son établissement, Mounir vit la nuit. C’est là qu’il puise son énergie, fait des rencontres et organise des auditions pour les talentueux musiciens de demain. Logiquement, l’arrêt total de son activité l’a beaucoup affecté. D’autant qu’un jeune musicien qui l’accompagnait lors des soirées Live de L’Orphée est décédé dès l’apparition du coronavirus en France. Bouleversé par cette nouvelle et désemparé face à la situation sanitaire inédite, il n’a pas mis un pied dehors pendant plusieurs semaines. Il reconnaît que « les premiers mois étaient une horreur » pour lui, partagé entre la tristesse du deuil, l’ennui du confinement et le désir de reprendre son activité car : « c’est ça qui nous fait vivre ».

Le monde de la nuit : 100 000 employés, directs ou indirects

Rapidement, plusieurs de ses employés ont démissionné pour tenter leur chance ailleurs. Sur les vingt personnes qui composaient le staff de L’Orphée en Mars 2020, seules neuf sont restées. Contraint par les évènements, Mounir aussi a dû se réinventer et trouver des activités à mener malgré la pandémie. C’est ainsi qu’il a fait des extras à Monoprix lors des fêtes de fin d’année pour emballer les cadeaux, de la traduction Français/Anglais pour des étudiants en thèse et de la direction artistique, principalement pour des musiciens. Mais malgré ses vagues tentatives de reconversion professionnelle, il admet avoir attendu avec impatience le retour de la vie nocturne.

Comme L’Orphée, les 1600 boîtes de nuit que compte l’hexagone ont été fermées pendant seize mois, sans aucune interruption et sans que personne – ou presque- ne s’en soit véritablement ému, poussant tout un secteur économique vers l’agonie. Au cours des derniers mois, différents plans ont été concoctés par l’Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie (UMIH) et le Syndicat National des Discothèques et Lieux de Loisirs (SNDLL) pour avancer la réouverture des établissements nocturnes, mais tous refusés par le gouvernement.

Mais alors que le couvre-feu est levé depuis le 20 juin et que la quasi-totalité des commerces ont pu rouvrir, leur voix ont finalement été entendues. Les discothèques sont rouvertes depuis le vendredi 9 juillet, sans que le port du masque ne soit obligatoire mais avec une jauge de 75% à l’intérieur des établissements. Un dénouement qui n’empêche pas les professionnels du secteur de se sentir lésés, au regard de la situation des bars et clubs libertins, qui ont été autorisés à rouvrir dès le 19 mai dernier. Un délai supplémentaire qui résonne comme un abandon de plus envers les quelques 40 000 employés directs et 100 000 indirects du monde de la nuit.

Je n’ai pas pu faire de concerts, qui étaient un peu l’objectif de monétisation pour que je puisse un peu vivre de ma musique

Parmi ces employés, ce sont d’abord les plus fragiles qui se sont retrouvés éjectés du circuit économique, comme les professions artistiques. Souvent employés en free-lance ou pour des contrats courts, les artistes ont non seulement perdu leur source de revenu, mais ont aussi éprouvé les pires peines du monde à obtenir une aide de l’état. Pierre, 26 ans, DJ au sein du collectif Bel-Air Sounds a par exemple été dans l’obligation de trouver une activité complémentaire ces derniers mois.

Avant la pandémie, il mixait en boîte de nuit à raison d’une à deux fois par mois, voire plus pendant les périodes d’été, organisait des soirées avec son collectif et développait un projet musical. Trois activités qui se sont brutalement arrêtées, l’obligeant à trouver une solution de secours. Sans ressource. il s’est dégoté un emploi dans un magasin de distribution bio Naturalia. Une situation qui ne lui déplaisait pas puisqu’elle lui a permis de subvenir à ses besoins et de renforcer son « engagement vis-à-vis de la planète », mais qui ne correspond absolument pas à ce à quoi il aspire.

Surtout, le jeune artiste a subi l’impossibilité de se produire sur scène et de défendre sa musique, alors que ses deux premiers disques sont sortis en période de confinement : « à cause de la situation actuelle je n’ai pas pu faire de concerts, qui étaient un peu l’objectif de monétisation pour que je puisse un peu vivre de ma musique » regrette-t-il. Un objectif qui pourrait toutefois se réaliser prochainement, avec le retour des festivals cet été.

Des nuits sans revenus pour un personnel déjà précaire

Profession au cœur des établissements nocturnes, les personnels de bar ont été les premiers affectés par la pandémie. Chaima, 28 ans et Sam, 27 ans, se disent « frustrés » des seize mois durant lesquels ils ont été privés de leur activité, et ont aussi dû affronter toutes les difficultés inhérentes aux confinements.

Chaima, qui dispose du statut d’auto-entrepreneur, participait à des événements pour la marque Chivas au moment où la crise sanitaire a impacté son activité « de manière radicale ». De Mars à Juin 2020, elle n’a pas touché d’aides de l’État et a parfois dû demander de l’aide à ses colocataires pour faire ses courses. Si par la suite les aides sont arrivées, aucune n’était rétroactive, ni ne correspondait aux salaires qu’elle touchait, au point qu’elle estime avoir perdu « 50 à 70% de salaire ».

Une spirale infernale qui lui a même fait perdre son logement et l’a obligée à retourner vivre chez ses parents : « Le bail se finissait au mois de décembre et mes parents ne pouvaient pas se porter garant. Les propriétaires ont eu peur, impossible de trouver un appartement », explique-t-elle. Bien qu’elle ait finalement retrouvé un logement, les derniers mois laisseront tout de même des traces.

Tout ce que je sais faire on me l’a enlevé.

De son côté, Sam a également perdu beaucoup à cause de l’interdiction d’exercer son métier. Lui qui était en période d’essai et n’avait signé aucun contrat -comme cela est courant dans le milieu des bars et de la restauration- au moment du premier confinement, s’est senti perdu : « tout ce que je sais faire on me l’a enlevé » peste-t-il.

Afin de ne pas revivre cette situation cauchemardesque, Chaima a démarré un CAP cuisine, tandis que Will a multiplié les missions d’intérim, avant de reprendre un poste de barman depuis la réouverture du 19 mai dernier.

Des étudiants aussi touchés par la fermeture des boites de nuit

La fermeture prolongée des boîtes de nuit a aussi participé à précariser encore d’avantage les étudiants-salariés. Amélie, 24 ans, suit un cursus de droit à l’Université Panthéon-Sorbonne et travaille en parallèle comme barmaid en boîte de nuit depuis plusieurs années, car c’est le job qui se conjugue le mieux avec son activité universitaire. Jusqu’à l’arrivée du Covid et ses conséquences désastreuses : « Ça a détruit ma vie professionnelle » déplore-t-elle.

Jusqu’en octobre dernier, sa situation était relativement stable, puisqu’elle touchait le chômage partiel et a même pu travailler à l’été 2020, l’établissement dans lequel elle travaillait étant autorisé à ouvrir pour la saison. Mais au deuxième confinement, tout a changé. Son employeur a cessé de la rémunérer, au motif que l’état ne lui versait pas d’aide et Amélie s’est vue contrainte de prendre un crédit à la consommation. Étant par ailleurs boursière, elle ne pouvait bénéficier que d’aides ponctuelles de l’État, qui ne suffisaient pas à combler ses frais.

Heureusement pour elle, Amélie a pu compter sur la solidarité sans faille de ses amis les plus proches : « mes amis, pas forcément ma famille, qui travaillent tous, qui ont des CDI, des situations assez stables et peuvent m’aider. Moi je vais payer mon loyer mais je sais que les courses j’ai pas à m’en faire, si je dois me déplacer ils peuvent me déposer en voiture. Mais un autre étudiant qui est livré à lui-même, qui n’est pas dans sa région… J’imagine même pas en fait! ».

Videurs au chômage

Autre profession touchée par la fermeture des boîtes de nuit, les personnels de sécurité ont également vu leur activité disparaître du jour au lendemain. Will, agent de sécurité dans divers clubs parisiens mais aussi éducateur sportif a pourtant réussi dans un premier temps à limiter l’impact de la crise sur son activité professionnelle. Il effectuait différents types de missions, comme de la protection rapprochée pour des personnalités ou encore de la sécurité dans des fêtes clandestines « une à deux fois par semaine ».

Des missions qui l’ont maintenu actif pendant toute la durée du premier confinement et l’ont aidé à relativiser : « Je n’étais vraiment pas à plaindre, j’arrivais quand même à effectuer mes heures, payer mon loyer contrairement à certains qui se retrouvaient dans la merde » explique-t-il. Une dynamique brutalement stoppée par une grave blessure au dos qui le prive de tout déplacement : « j’ai été alité chez moi pendant 1 mois et 3 semaines, je ne pouvais pas bouger, j’étais comme une tortue sur le dos et je ne pouvais faire aucun mouvement ». Difficile à accepter pour une personnalité comme la sienne qui « bosse du premier au trente et un, du matin au soir », et n’a pas pu recevoir un centime d’aide de la part de l’État.

Heureusement pour lui, Will est toujours « dans l’anticipation » et avait l’habitude de mettre de l’argent de côté en cas de temps difficile. Toutefois, les récentes perturbations le poussent à envisager de se consacrer exclusivement sur ses activités sportives une fois remis sur pied : « il vaut mieux passer à autre chose » juge-t-il, fataliste. En attendant, il vit dans la crainte de voir ses ressources s’amenuir : « Ça va être compliqué (…) j’ai un loyer qui est à 1000€ et toutes les charges restent à 100%. Je suis en arrêt de travail et mon employeur ne me rémunère pas. »

Aujourd’hui on a recensé à peu 131 fermetures, des liquidations. Ça ce sont des fermetures définitives, et nous savons par ailleurs qu’environ 243 établissements sont en très grande difficulté.

Si ces situations ne paraissaient pas inquiéter le gouvernement outre mesure, certains ont tenté de les alerter de la gravité de la situation avant la réouverture de juillet. Christian Jouny, délégué général du Syndicat National des Discothèques et des Lieux de Loisirs (SNDLL) et membre négociateur auprès du gouvernement s’est démené pendant plusieurs mois pour accélérer la réouverture. Il ne cache pas son inquiétude quant à la pérennité du secteur nocturne : « Tout d’abord il faut savoir que les discothèques représentent 1600 établissements, au moment du confinement, au 13 Mars 2020. Aujourd’hui on a recensé à peu 131 fermetures, des liquidations. Ça ce sont des fermetures définitives, et nous savons par ailleurs qu’environ 243 établissements sont en très grande difficulté. Globalement, 25% du secteur est en situation préoccupante » alerte-t-il. 

Surtout il regrette que les discothèques n’aient eu aucun répit depuis les premières mesures sanitaires : « Les discothèques ont été les plus maltraitées en France. Je n’ai jamais connu de situation aussi catastrophique alors qu’on était au 13 Mars dernier sur une croissance à deux chiffres (…) Jamais nous n’avons été confrontés à une situation aussi grave » . Malgré la réouverture, il reste prudent car, selon, lui, il aurait fallu deux mois de préparation pour que les discothèques soient aptes à accueillir du public.

On est un peu vu comme les saltimbanques du monde de travail donc je ne m’attendais pas à un traitement de faveur.

Pascal Jouny n’est pas le seul à exprimer son exaspération vis-à-vis des mesures gouvernementales. Mounir estime par exemple avoir été « infantilisé » par le gouvernement, et n’hésite pas à fustiger sa fermeté : « Je pense qu’on a été la cible facile. On aurait pu trouver une alternative » . Un sentiment globalement partagé par ses collègues, qui imaginent qu’un compromis aurait pu être trouvé.

Pour Pierre le DJ, cela est en partie dû à la mauvaise réputation du secteur nocturne : « On est un peu vu comme les saltimbanques du monde de travail donc je ne m’attendais pas à un traitement de faveur ». Il admet toutefois que le flou qui a entouré la question de la réouverture des établissements nocturnes a participé à l’agonie du secteur. L’incertitude, c’est également ce qui a été le plus difficile à accepter pour Amélie. Car si l’étudiante comprend que la situation sanitaire exigeait une fermeture, elle regrette le manque de soutien pour tous ceux qui, comme elle, sont « en bas de l’échelle » : « Ce n’est pas la fermeture en soi qui est problématique, mais ce qu’il se passe derrière. Est-ce que les salariés sont rémunérés ou pas… » 

Une réouverture déjà menacée qui ne va pas effacer les traces de la fermeture

Mais alors que la réouverture s’est enfin concrétisée, les seize derniers mois ne vont pas s’effacer d’un coup de baguette magique. Les séquelles psychologiques sont lourdes pour celles et ceux qui se sont retrouvés inactifs durant cette période, mais aussi leur clientèle.

Ils n’ont même pas idée d’une génération entière en manque d’amour et de rencontres.

Chaima peut en témoigner : « ça fait dix ans que je suis la psy de mes clients » clame-t-elle. Surtout, elle s’inquiète des conséquences de la rupture des liens sociaux causée par la fermeture des établissements nocturnes : « ils n’ont même pas idée d’une génération entière en manque d’amour et de rencontres. En coupant les gens du milieu de la nuit, ça crée une forme de solitude incroyable ». Une incertitude qui cause un mal être généralisé, avec une accentuation des dépressions, de l’anxiété, des addictions et des troubles du sommeil, comme ce fut le cas pour Mounir qui se réveillait en pleine nuit « avec des sueurs froides» pendant les premières périodes de confinement.

Et pour la suite ? Malgré la réouverture, beaucoup gardent quand même un souvenir inquiet de ce qu’ils ont subi ces derniers mois, d’autant que les différents variants du Covid pourraient pousser le gouvernement à décider de nouvelles mesures sanitaires. Une situation qui exaspère Sam, qui se demande déjà à quoi ressemblera le monde après ces enfermements successifs : « On va faire quoi ? On va commander des cocktails sur Uber Eat et rester chez nous à les boire devant des matchs ? Arrête, c’est pas ça la vie ».

Lucas Dru

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