Les températures glaciales n’ont pas stoppé la centaine de manifestants présents devant la mairie du 19ᵉ arrondissement, mercredi 20 novembre. Parmi eux, des militants du collectif, plusieurs représentants politiques et surtout, des hommes, des femmes, et de nombreux enfants en bas-âge, privés d’un domicile fixe et décent.
Depuis novembre 2023 et la décision de la région de réquisitionner cinq lycées parisiens désaffectés afin de les transformer en centres d’hébergement d’urgence, seulement trois de ces établissements ont été investis. Un vœu des élus Communistes et Citoyens a pourtant validé, lors du Conseil de Paris de mai 2024, la réquisition officielle et planifiée du lycée Brassens. Mais depuis, la mairie du 19ᵉ n’a rien entamé en ce sens.
François Dagnaud, maire PS du 19ᵉ, n’a pas caché son agacement vis-à-vis de cette proposition lors du conseil d’arrondissement du 5 novembre dernier. L’élu a invoqué la nécessité d’une « solidarité dans la solidarité », pour que la charge des missions sociales de Paris ne repose pas sur les seules épaules des arrondissements du nord est parisien. L’élu s’offusque par ailleurs que Fatoumata Koné, présidente du groupe des Écologistes parisiens, et d’autres lui prête ces propos : « Le 19ᵉ ne peut pas accueillir toute la misère du monde ».
Ces propos ne sont pas audibles dans la retranscription de la séance publiée sur le site de la mairie, mais plusieurs élu.es soutiennent les avoir entendus. Malgré les réfutations du maire, l’épisode a mis le feu aux poudres. Contactée par la Bondy blog, la mairie n’a pas donné suite.
Le 19ᵉ trop solidaire ?
Lucie, membre de l’association des parents d’élèves, FCPE Jaurès, s’émeut du refus de la mairie d’ouvrir le Lycée Georges Brassens. « C’est une réponse absurde à une situation complètement catastrophique », réagit-elle. Pour Manon Luquet, représentante du collectif Jamais sans Toit IDF et suppléante d’Aymeric Caron, député LFI de la 18ᵉ circonscription, l’argument avancé par le maire du 19ᵉ n’est pas valable.
« L’arrondissement qui accueille le plus de personnes à la rue, c’est toujours le 18ᵉ. Par contre, le deuxième, c’est le 15ᵉ, qui n’est vraiment pas un arrondissement du nord est parisien », soutient-elle. L’associative a assisté la mairie du 18ᵉ dans l’ouverture du lycée Valadon comme centre d’hébergement d’urgence (CHU) pendant l’année écoulée. Cette dernière ne cache pas sa colère de voir un maire de gauche tenir de ces propos publiquement. « J’ai trouvé ça d’autant plus odieux que lors de ce conseil d’arrondissement, une famille de personnes sans-abri était présente. »
Face à la crainte du maire de voir le 19ᵉ devenir une terre d’accueil universelle, les citoyens et militants montrent au contraire une importante solidarité envers les familles en demande, qu’elles soient du 19ᵉ ou non. C’est le cas d’Alexia. « Il n’y a pas de quota de solidarité », s’insurge-t-elle. Cette habitante du 19ᵉ a, elle-même, écrit des lettres au maire en espérant se faire entendre. « C’est plus rassurant de travailler avec une mairie de gauche, on se dit qu’on aura un levier plus important », espère-t-elle.
Crise de l’hébergement d’urgence sur fond de querelle politique
Les élus communistes et des élus écologistes se voient aussi reproché de soutenir une décision prise par la présidente LR de la région Île-de-France. Une incohérence, pour la mairie socialiste. Camille Naget, conseillère du groupe Communistes et Citoyens à l’origine du vœu, en rit. « Si Valérie Pécresse était connue pour son engagement envers les personnes à la rue, ça se saurait. » En effet, cette décision de la région n’est pas tout à fait désintéressée.
En novembre 2023, la fermeture de sept lycées professionnels et technologiques parisiens choquait les élus de gauche. Ces derniers pointaient du doigt le manque de solutions apportées aux élèves de ces lycées, majoritairement issus de classes populaires et qui ont dû se réadapter à de nouveaux établissements, éloignés, en cours de cursus. « Ce lycée Brassens, on s’est battu contre sa fermeture, et aujourd’hui, on se bat pour sa réouverture dans une nouvelle forme », résume Camille Naget. Face à la levée de boucliers de l’opposition et une négociation d’une semaine, Valérie Pécresse a concédé l’ouverture de cinq de ces lycées en tant que CHU.
« Je mène cette bataille contre le gouvernement Barnier qui est celui de Madame Pécresse, mais il se trouve que là, il y a une urgence, et si Madame Pécresse est d’accord avec notre lutte, moi, je suis pour la prendre au mot », assume Danièle Obono, députée de la 17ᵉ circonscription de Paris. « La France a un engagement envers la Convention des Droits des enfants. C’est une question humaniste, pas politique », appuie la députée.
Une proposition limitée mais importante
La lutte pour l’ouverture d’un nouveau CHU apparaît urgente et nécessaire alors que le froid s’installe. Mais quelle réponse concrète apportera-t-elle aux quelque 400 familles à la rue à Paris ? Awa, enceinte de 8 mois et maman de Moussa, 18 mois, raconte : « Souvent, on nous met une semaine dans la rue, une semaine à l’hôtel. C’est très difficile ». Malgré le confort minimal apporté par les CHU, c’est une réponse d’appoint qui vaut la peine de se battre pour Awa qui fait face à la neige et aux dangers de la rue. En France, la crise du logement, et par ricochet, la crise de l’hébergement d’urgence, laisse des centaines d’enfants à la rue, comme le petit Moussa.
Jeanne Séguineau