Il est 15 heures dans le 15ème arrondissement de Paris et Nabéla attend dans son fauteuil électrique, bloquée au troisième étage de son logement social. « Sonnez et montez directement, l’ascenseur est encore en panne. » C’est la 7ème fois cette année.
Son appartement, un T2 dans lequel elle a emménagée en mars dernier, est inadapté à son handicap. Il est trop étroit pour qu’elle puisse se déplacer convenablement avec son fauteuil électrique. « Venez je vais vous faire visiter, mais passez devant, j’en ai pour un moment le temps de manœuvrer », précise Nabéla désabusée.
J’étais clairement en prison, je ne pouvais ni tourner ni sortir de chez moi.
« Je leur avais dit que ce n’était pas adapté, mais ils [les bailleurs] sont toujours dans un comportement validiste. Ils pensent savoir mieux que moi ce qu’il me faut », regrette la quadragénaire. Cinq ans après sa demande de logement social, Nabéla finit par obtenir un appartement dans les Hauts-de-Seine. « J’étais clairement en prison, je ne pouvais ni tourner ni sortir de chez moi. »
« Aux toilettes à quatre pattes »
La femme aux cheveux noirs raconte que son état s’est dégradé à la suite de nombreuses chutes et de l’impossibilité d’avoir accès aux soins à l’extérieur, indispensables pour sa santé. Elle a donc formulé une nouvelle demande et, cinq ans plus tard, a fini par obtenir le logement qu’elle occupe actuellement.
« Aujourd’hui, je ne peux toujours pas me doucher, je dois aller aux toilettes à quatre pattes, je me glisse au sol et je me tire avec une jambe, c’est très humiliant », décrit Nabéla. Les couloirs et les pièces sont trop étroits pour qu’elle puisse se déplacer normalement. Les dimensions et emplacements des meubles ne correspondent pas non plus à ses besoins. Entre les placards avec des portes qu’elle doit tirer, la cuisine non aménagée, les toilettes trop basses, le manque de prises et d’interrupteurs ou encore sa porte d’entrée électrique qui tape son fauteuil à chaque ouverture, Nabéla est épuisée.
« Mieux que rien du tout »
Comme elle, Mohamed vit dans un logement social inadapté à son fauteuil. Lorsqu’il a visité son studio en 2011, il a tout de suite constaté les problèmes que lui poserait l’appartement. « J’étais dans l’urgence, je me disais que c’était mieux que la cage d’escaliers ou que rien du tout. À la signature du contrat, mon bailleur m’a dit qu’on pourrait faire des travaux d’aménagement et qu’on m’accompagnerait pour ça », raconte Mohamed.
Dix ans plus tard, il se trouve encore dans la même situation. La cuisine, trop petite pour son fauteuil, l’oblige à se nourrir à l’extérieur. « Ce n’est pas possible de manger sainement et c’est un budget énorme ! », souligne-il. Mohamed se confronte également à un bac de douche surélevé de 20 centimètres, ce qui rend le passage du fauteuil à la douche dangereux.
« Ça m’arrive de faire des chutes à la sortie ou à l’entrée de la douche. Une fois, j’ai même perdu connaissance une quinzaine de minutes parce que ma tête a cogné contre le lavabo », décrit-il. Il explique avoir envoyé des dizaines de mails à son bailleur pour demander les travaux d’adaptabilité, en vain. La structure lui propose en revanche de faire une nouvelle demande de logement. Mais cela signifie devoir attendre plusieurs années avant d’être relogé.
Un parc immobilier bouché
Les personnes handicapées font partie des catégories prioritaires pour les demandes de logements sociaux. Néanmoins, les délais d’attribution restent très longs. D’après les données 2021 de la DRIHL, près de la moitié des ménages prioritaires d’Ile-de-France ont déposé leur demande de logement il y a plus de 5 ans. Le parc social est saturé, et les logements accessibles et adaptés le sont d’autant plus.
« Il y a beaucoup de logements assez vieux sur le marché et dans ces cas, on va parfois avoir des marches pour entrer dans l’immeuble ou des ascenseurs trop petits pour un fauteuil », renseigne Micheline Unger, administratrice chez Paris Habitat, principal bailleur social d’Île-de-France. Le 1er janvier 2021, l’ancienneté moyenne du parc de logements sociaux en Île-de-France est de 44 ans, contre 40 ans en France métropolitaine.
La loi Élan de 2018, c’est un recul politique majeur en termes d’accessibilité
Et les nouveaux bâtiments ne sont pas forcément plus accessibles. Lili, militante anti-validiste, explique que depuis la loi de 2005, seuls les logements en rez-de-chaussée et ceux desservis par un ascenseur sont concernés par l’obligation de mise en accessibilité. « Maintenant, les entreprises construisent des trucs qui ne font pas plus de trois étages, comme ça il n’y a pas d’obligation d’ascenseur et s’il n’y a pas d’ascenseur, il n’y a pas d’obligation de faire un espace accessible », résume-t-elle.
Par ailleurs, depuis la loi Élan de 2018, seuls 20 % des logements neufs doivent être accessibles, et non plus 100 % comme c’était le cas depuis 2005. « C’est un recul politique majeur en termes d’accessibilité, regrette Lili, et on va en voir de plus en plus les répercussions avec la saturation totale du parc social. »
Des dysfonctionnements dans les attributions
En plus de cette saturation, plusieurs autres éléments expliquent les délais d’attente et le non-respect des critères. Lorsque le handicap est mentionné dans le dossier de demande de logement, les personnes sont généralement orientées vers des biens accessibles, même si cela n’est pas nécessaire. « Moi par exemple, je suis aveugle, je n’ai pas besoin de WC aux normes PMR (Personne à mobilité réduite) », souligne Lili qui a attendu 7 ans pour avoir son appartement.
« On a même vu des cas où on propose à quelqu’un qui n’a pas de handicap un bien adapté », confirme Eric Constantin, directeur de l’agence régionale de l’Abbé Pierre. D’autre part, les personnes comme Lili qui pourraient vivre dans un appartement répondant moins à des critères d’accessibilité, n’ont pas forcément de proposition de logement sans la norme PMR.
J’ai vu des personnes avec des cannes ou des fauteuils se retrouver bloquées à cause de marches à l’entrée ou d’ascenseurs trop petits
Par ailleurs, certains biens notifiés comme accessibles sur les sites des bailleurs ne le sont pas systématiquement. « Il y a parfois des erreurs sur les fiches de description des logements, ils oublient certains éléments. J’ai vu des personnes avec des cannes ou des fauteuils se retrouver bloquées à cause de marches à l’entrée ou d’ascenseurs trop petits », relate Micheline Unger de Paris Habitat. Selon elle, il existe aussi un problème dans la compréhension des handicaps et des besoins qui divergent selon les personnes.
Peu de recours possibles
« Légalement, les bailleurs sont obligés d’adapter le logement, mais comment faire un recours, comment aller en justice quand ce n’est pas le cas ? », questionne Lili. Porter plainte prend du temps, et coûte de l’argent, ce qui ne semble n’être compatible ni avec les revenus des bénéficiaires de l’allocation adultes handicapés (AAH) ni avec le fait d’attendre plusieurs années avant d’avoir un logement décent.
« Je n’ai pas envie de porter plainte contre un service de l’État, en arriver là moi ça me bouffe. Et puis ça veut dire engendrer des frais, un rapport de force, etc…Tout ça juste pour moi tout seul », déplore Mohamed. Comme lui, Lili regrette que « les gens ne prennent pas la mesure du côté systémique de la situation. On s’attarde sur une situation alors que beaucoup de personnes sont prisonnières de leur logement. »
On considère qu’il y a une catégorie de personnes qui peut être exclue de la moitié des lieux de socialisation et que c’est normal !
Depuis février dernier, il est désormais possible de faire valoir un droit au logement opposable (DALO) pour l’inaccessibilité de son logement lorsque l’on est handicapé. Il permet aux personnes mal logées d’être reconnues prioritaires afin d’obtenir un logement digne. Avant, l’inaccessibilité n’était pas un critère suffisant pour utiliser ce recours. Seulement, la saisie de ce dispositif ne garantit pas que l’entièreté des critères (cuisine adaptée, couloirs assez larges, etc…) soit respectée et le parc immobilier étant saturé, les délais peuvent être longs.
« L’enjeu crucial, c’est le fait de reconnaitre l’inaccessibilité comme une discrimination qui porte atteinte au droits des personnes handicapées, résume Lili. On considère qu’il y a une catégorie de personnes qui peut vivre en marge de la société, être exclue de la moitié des lieux de socialisation et que c’est normal. »
Lisa Noyal