Quatre millions, c’est le nombre de personnes qui ne parviennent pas à se loger correctement aujourd’hui en France. Et, c’est dans ce contexte que le ministre du Logement, Guillaume Kasbarian, a présenté une loi qui prévoit notamment de freiner la construction de nouveaux logements sociaux.
Les maires pourront désormais intégrer, dans la part des 25 % de logements sociaux obligatoires, la construction de logements intermédiaires destinés à des familles de profession cadres et cadres supérieurs.
De nombreux chercheurs et associations dénoncent la violence de cette loi qui remet en cause le droit au logement. Aujourd’hui, 2,6 millions de personnes sont sur liste d’attente pour un logement social. Pour le Bondy Blog, Noria Derdek, responsable d’études juridiques à la Fondation Abbé Pierre, revient sur les risques qu’entraîne une telle loi pour les foyers les plus précaires. Interview.
Beaucoup d’associations et de chercheurs se sont positionnées contre le projet de loi porté par le ministre du Logement. Pourquoi ?
Les constats qu’on fait à la Fondation Abbé Pierre, c’est que le mal-logement s’installe. Il y a 4 millions de personnes qui sont mal logées et des situations toujours plus dramatiques concernant les foyers les plus modestes. La demande de logement social a augmenté de 21 % en trois ans. On a 2,6 millions de demandes sur seulement 400 000 attributions par an, à peine un quart, avec des durées d’attente qui s’allongent. Et on a une production de logements sociaux qui ne cesse pas de se réduire.
Pour le contexte, il y a trois types de logements sociaux qui peuvent être financés : les PLAI, les PLUS et les PLS. Les PLS, c’est ce qu’on appelle du logement social assez élevé où 70 % de la population peut déjà y accéder. Le logement social classique, c’est plutôt le PLUS, ce qui représente environ 56 % de la population. Le logement très social au plafond de loyers les plus bas, c’est le PLAI.
70 % des demandeurs de logements sociaux ont des ressources en dessous des plafonds des logements très sociaux
Nous, ce qu’on voit, c’est que 70 % des demandeurs de logements sociaux ont des ressources en dessous des plafonds des PLAI. De manière générale, les loyers sont parfois trop élevés pour une partie des demandeurs de logements sociaux.
Ici, le gouvernement parle d’une production de logements locatif intermédiaire, centrale dans le projet de loi. Il se situe entre le PLS et le logement du marché. On est sur des tranches hautes de la population avec des plafonds de ressources à 45 000 euros pour une personne seule. En comparaison, pour un logement social classique, on est à 26 000 euros.
Les plafonds de loyer pour les logements locatifs intermédiaires, sont fixés en fonction du marché privé, ils sont de 10 à 15 % en dessous du marché. Pour les logements sociaux, une convention plafonne le loyer, il ne peut pas dépasser un certain niveau.
La baisse de production de logements sociaux a été significative ces deux dernières années
La baisse de production de logements sociaux a été significative ces deux dernières années. On est passé sous la barre des 100 000 logements sociaux produits. Et, elle est vraiment essentiellement due à la baisse du financement public du logement social. C’est pour ça que les associations et aussi les chercheurs, qui n’ignorent pas ces données-là, réagissent très fortement contre le projet de loi.
En face de tout cela, les solutions qui sont proposées par le gouvernement, c’est essentiellement d’affaiblir la loi SRU, qui est un moteur essentiel pour la production de logements sociaux et qui est destiné à assurer un équilibre dans la répartition géographique des logements sociaux.
Et dans ce projet de loi, les logements intermédiaires, sont pris en compte dans la part des 25 % des logements sociaux qui doivent être construits ?
Oui, les objectifs de la loi SRU vont permettre justement de produire une part des objectifs en logement locatif intermédiaire au lieu de les produire en logements sociaux. Et ça, c’est faire un cadeau aux maires récalcitrants à la production de logements sociaux sur leur territoire. On aurait dû, au contraire, renforcer la loi SRU, renforcer les sanctions et les rendre plus systématiques, quitte à ce que l’état produise à la place des communes.
Produire de logements locatifs intermédiaires va avoir un effet d’évincement sur le logement social
Si on veut produire du logement locatif intermédiaire en plus du logement social, pourquoi pas. Mais là, le problème, c’est qu’on sait très bien que permettre de produire de logements locatifs intermédiaires va avoir un effet d’évincement sur le logement social.
Quelles autres mesures posent particulièrement problème dans ce projet de loi ?
Une autre mesure qui est proposée, c’est l’augmentation des loyers des logements sociaux. Un logement social qui a été produit il y a 10 ans ou 40 ans a des plafonds de loyer qui sont plus bas que les logements neufs. C’est un peu comme l’inflation en général, ce qui coûtait un certain prix il y a 40 ans aujourd’hui ne coûte plus le même prix. Ici, ils vont permettre d’augmenter le plafond de loyer à l’équivalent d’un logement neuf. Et ça, ça va avoir pour conséquence la disparition progressive du parc HLM qui était restée à un bas niveau de loyer.
Une dernière chose qui est très étonnante, c’est que l’État va déléguer ses droits de réservation dans le parc HLM aux maires et à Action logement. C’est-à-dire que l’État, en échange de ses financements, a un droit de réservation de 25 % du parc HLM. C’est ce qui est censé garantir qu’il y aura des logements qui seront bien attribués au ménage prioritaire et puis aussi au personnel de santé, aux fonctionnaires, etc.
Et on sait déjà que ça ne va pas fonctionner. La délégation au maire avait été supprimée en 2017 par la loi égalité et citoyenneté. Justement, en faisant le constat à l’époque que l’État avait délégué son droit de réservation et que cela ne lui permettait pas de répondre à ses obligations en matière de DALO (droit au logement opposable).
Les maires auront donc un certain pouvoir sur les attributions de ces logements ?
Une présélection est déjà faite en amont. Parmi la liste des demandeurs, on va déterminer quels sont les demandeurs prioritaires. Il y a trois candidats qui sont présentés pour un logement. C’est parmi ces trois candidats-là que le maire va pouvoir organiser un ordre de priorité. Il va pouvoir dire : « moi, je pense que celui-là passe en premier, celui-ci en deuxième, celui-ci en troisième. » La commission d’attribution va en choisir un. Si le maire n’est pas d’accord, il peut émettre son droit de veto. Un seul droit de veto par logement. Donc, a priori, s’il donne son droit de veto pour le premier, ça devra être le second qui passe.
Le Conseil d’État a rappelé dans son avis, le maire doit respecter la loi qui, elle, établit une liste de ménages prioritaires. Et, elle considère également que les ménages DALO sont prioritaires parmi les prioritaires. Il arrive quand même, très souvent, que les trois candidats, ou au moins, deux des trois, soient des ménages prioritaires. Donc, comment on arbitre entre deux ménages prioritaires au regard de la loi ? C’est là que ça devient obscur et qu’il y a une marge de manœuvre possible pour le maire.
Ça peut inciter un certain nombre de discriminations. Il y a des ménages qu’il pourrait considérer comme trop pauvres pour être accueillis sur sa commune
Le maire pourra choisir de pratiquer une préférence communale. Ça peut inciter un certain nombre de discriminations. Et notamment, des discriminations socio-économiques. Il y a des ménages qu’il pourrait considérer comme trop pauvres pour être accueillis sur sa commune.
Il est important que les attributions ne soient jamais décidées à juge unique. Surtout, dans ces cas-là, quand il n’y a pas de critères clairs pour dégager un candidat parmi les autres, quand ils sont tous prioritaires. Et encore moins à la personne du maire, qui est quand même le plus exposé au clientélisme, à la préférence communale, des politiques passées.
Ce projet de loi s’inscrit dans une volonté de l’État de baisser ses dépenses dans le secteur du logement ?
Exactement. Quand on veut baisser les dépenses dans le secteur du logement et qu’on ne veut pas financer le logement social, on va promouvoir le logement intermédiaire.
Quand on ne veut pas financer non plus les bailleurs sociaux pour pratiquer des loyers qui soient compatibles avec les ressources des demandeurs de logement social, alors, on leur permet d’augmenter leur loyer. Et ce n’est plus l’État qui finance, ce sont les locataires. Ce qui entrave non seulement l’accès, mais rend la chose plus coûteuse. C’est donc grâce à l’augmentation des loyers que l’État compte augmenter les ressources des bailleurs sociaux et ainsi ne pas mettre la main à la poche.
L’augmentation des loyers n’est pas la seule raison pour laquelle le gouvernement compte augmenter les ressources des bailleurs sociaux. Ils vont aussi pousser à la vente des logements sociaux. Et là, ça commence à être plutôt incitatif.
Surtout qu’il y a des autorisations de vente de logements qui étaient quand même soumises au préfet, pour vérifier les conditions dans lesquelles ça se fait. Parce que si on est dans un territoire, où on manque cruellement de logements sociaux, les vendre n’est pas la bonne stratégie. Maintenant, certaines ventes pourront avoir lieu sans l’autorisation préalable du préfet, et sur seule autorisation du maire.
Dans le contexte actuel où la crise de logement est vraiment à son comble, qu’est-ce que représente ce projet de loi ?
Ça représente un leurre. On dit qu’on veut produire du logement abordable. C’est plutôt une excellente intention. Mais on ne précise pas pour qui.
Si on voit pour qui, on voit que c’est essentiellement pour les classes moyennes supérieures, au détriment de la production de logements sociaux. En réduisant, au final, le logement abordable pour les plus modestes.
Les ménages précaires vont être relégués sur d’autres solutions, que ce soit des solutions d’hébergement ou de mal-logement
Dans les années à venir, les ménages précaires vont tout simplement trouver de moins en moins à se loger. Alors que c’est la vocation première du parc social de répondre à leur possibilité de logement. Ils vont être relégués sur d’autres solutions, que ce soit des solutions d’hébergement ou de mal-logement. Et ils vont être plus nombreux à vivre en suroccupation, en habitat indigne.
Propos recueillis par Lisa Sourice