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On s’en souvient toutes et tous. Ces vidéos déchirantes de queues interminables, bondées d’étudiants dans le besoin, venus chercher de quoi survivre lors de distributions alimentaires, en pleine crise sanitaire. Des images qui marquaient l’urgence de la situation concernant la précarité étudiante. Une urgence souvent minimisée voire même dédaignée par certains, qui reprochent à la jeunesse une supposée fainéantise.

Heureusement, des associations se mobilisent sur le terrain, comme l’Équipage Solidaire, dans laquelle est fièrement engagé Rîdwan. Fondée en 2020 par le Montreuillois Yovann Pigenet, cette association vient en aide aux étudiants en difficulté en leur livrant à domicile des kits alimentaires et des kits d’hygiène. Ces kits sont composés de produits invendus en tous genres, récupérés dans des grandes surfaces, des petits commerces ou chez des maraîchers. Combo gagnant pour les jeunes pirates de l’Équipage Solidaire, avec deux fléaux combattus pour le prix d’un : la précarité et le gaspillage.

Rîdwan est le directeur du pôle communication au sein de cette asso, qui compte une armada de plus de 2 300 bénévoles répartis dans toute la France. Le jeune homme se dit « ultra reconnaissant » de tout ce que lui apporte cet engagement quotidien : « On développe des compétences, on rencontre des gens exceptionnels, et le tout en se rendant utile pour les personnes dans le besoin. C’est juste magnifique ». Un engagement qui est venu redonner du sens à sa vie, à une période où lui-même se cherchait beaucoup.

Surmonter les épreuves

Son histoire est très intimement liée à Montreuil. Il y est né, y a grandi avec ses quatre frères et sœurs, et y a été scolarisé. C’est aussi dans cette ville du 9-3 que l’association a ses locaux, dans lesquels il passe presque toutes ses journées et parfois même ses nuits. Et c’est également à Montreuil qu’il a récemment co-fondé, avec Yovann, sa propre entreprise, Mood Production, une agence de création digitale. Alors même que rien ne l’y prédestinait, lui qui, il n’y a pas si longtemps, traversait une « période difficile ».

« Disons que j’ai un parcours compliqué. Je m’intéresse à plein de trucs, comme les sciences, mais je n’étais pas du tout attentif en cours parce que la pédagogie classique ne me correspond vraiment pas », explique-t-il. À 18 ans, lassé par l’école, il ne révise pas son bac, ne l’obtient pas et commence alors à travailler ponctuellement à droite à gauche, dans une saladerie notamment.

À cette époque, ce qui le stimule par-dessus tout, ce sont les projets annexes qu’il développe, dans l’illustration et le design d’abord, puis dans la photo. « J’ai essayé de reprendre les études mais ça ne m’allait pas. Je préfère apprendre les choses sur le tas et à ma manière », raconte Rîdwan, qui trouve « ultra satisfaisant » le fait de sentir sa progression quand on est autodidacte.

Quand je voyais les images des distributions alimentaires, je ne pouvais pas m’empêcher de me dire que j’aurais pu être l’un de ces étudiants

« Je remercie Dieu et ma famille parce que c’était une période difficile, il y avait des moments où je ne sortais plus de chez moi, mais on m’a beaucoup soutenu. Je pense notamment à mon grand-frère qui m’a encouragé à me lancer dans la photo ». Si le Montreuillois d’origine mauricienne a toujours su qu’il pouvait compter sur sa famille de sang, il n’aurait en revanche jamais imaginé que la « deuxième famille » qu’il allait se créer allait à ce point changer sa vie.

Se rendre utile

Ami d’enfance et voisin de Yovann, Rîdwan a suivi de près les débuts de l’association, à laquelle il envoyait de l’argent quand il pouvait se le permettre. « Au bout d’un moment, j’ai ressenti le besoin de ne plus seulement donner de mon argent, mais de donner également de ma personne. Quand je voyais les images des distributions alimentaires, je ne pouvais pas m’empêcher de me dire que j’aurais pu être l’un de ces étudiants ». Il n’a alors qu’une obsession : intégrer l’association. Et ce, pour contribuer à la lutte contre la précarité étudiante.

Livraison, RH, logistique… Rîdwan, « matrixé », candidate à tous les pôles possibles et imaginables. « Tout ce que je voulais c’était me rendre utile, peu importe où on me mettait », se souvient-il. C’est finalement dans le pôle communication que le passionné de photo se fera une place, en 2022. « Le premier jour on m’a mis une caméra dans les mains, puis on m’a demandé si je savais filmer, j’ai dit non. On m’a dit de faire, alors j’ai fait, s’amuse-t-il. Et depuis, il n’y a pas un jour de ma vie que je ne filme pas. Dans l’associatif, on apprend tout sur le tas et c’est aussi ça qui est beau ».

En tant que musulman, venir en aide aux personnes dans le besoin, je vois ça comme un devoir

Du jour au lendemain, il se lance à fond dans l’aventure associative. Et depuis, il s’investit littéralement jours et nuits pour cette cause très chère à ses yeux. Quand il y a tel événement, telle récolte, telle levée de fonds, et même quand il faut traverser la France pour aider les équipes des autres antennes de l’asso, Rîdwan répond présent. « Je vois beaucoup moins ma famille, reconnaît-il, et je dors même parfois au local. Ce sont des sacrifices que je fais et que je continuerai de faire parce que la cause pour laquelle on s’engage me tient trop à cœur, de par l’éducation que m’ont donnée mes parents et ma religion, qui est vraiment mon guide dans la vie ».

« Il ne faut pas oublier que n’importe qui peut un jour se retrouver dans la pauvreté. Et puis, en tant que musulman, venir en aide aux personnes dans le besoin, je vois ça comme un devoir. Ce qui est beau, c’est que je retrouve les valeurs de notre association dans ma religion, comme je retrouve les valeurs de ma religion dans notre association. Et ça me fait beaucoup de bien »

Une lutte sans faille

La situation de certains étudiants est tellement alarmante qu’on se sent obligés de se donner à fond pour leur venir en aide, à notre échelle

S’il y a un point sur lequel Rîdwan insiste, c’est qu’il n’est pas le seul à être autant engagé, « loin de là ». S’investir corps et âme, c’est presque une règle d’or à l’Équipage Solidaire. « La situation de certains étudiants est tellement alarmante qu’on se sent obligé de se donner à fond pour leur venir en aide. Il y a des gens qui sautent des repas parce qu’ils manquent de moyens, c’est une dinguerie et on ne s’en rend pas assez compte. Puis quand on mange mal, on est mal, on dort mal, on étudie mal… C’est un cercle vicieux ».

Si certains étudiants sont aidés ou hébergés par leurs parents, d’autres n’ont pas cette chance et doivent donc payer un loyer, des factures, la nourriture, parfois même l’école… À côté de leurs cours, la plupart d’entre eux travaillent, et même s’ils touchent en plus une bourse, certains n’arrivent pas à joindre les deux bouts. « Quand on voit les distributions alimentaires on hallucine du monde qu’il y a, mais il faut se dire qu’il y a encore plein d’étudiants dans le besoin qui, par honte ou par pudeur, n’y vont pas. C’est pour ça qu’on a tenu à éviter l’aspect mortifiant : en livrant directement les bénéficiaires chez eux, et aussi en ne leur demandant même pas leur nom mais juste un pseudo »

Quand on dit qu’on forme une famille, c’est réel et c’est aussi ça qui explique notre succès

Près de quatre ans après sa création, l’Équipage Solidaire, dont les actions sont menées « par des jeunes, pour des jeunes », s’est imposé comme un pilier dans le combat contre la précarité étudiante. Implanté dans 14 villes en France, dont Lyon, Marseille ou encore Bordeaux, son armée de 2 300 bénévoles a livré plus de 50 000 repas. L’association ayant beaucoup fait parler d’elle, Rîdwan et ses potes ont pu faire le tour des médias : du Parisien à TF1, en passant par Franceinfo, BFM ou encore le (légendaire) Bondy Blog.

« Aujourd’hui je suis trop heureux d’être engagé pour une cause si importante avec des gens que j’aime du plus profond de mon âme, s’émeut Rîdwan. Quand on dit qu’on forme une famille, c’est réel et c’est aussi ça qui explique notre succès. On se tire vers le haut, ce qui est bénéfique pour nous-mêmes mais aussi et surtout pour nos bénéficiaires. Et quand tu vois comment ils nous le rendent… C’est incroyable ce qu’on vit ».

« Mais on fait un constat paradoxal et très malheureux aujourd’hui, nuance-t-il. Quand on grossit, qu’on parle de nous partout, qu’on lève des centaines de milliers d’euros, d’un côté on est ultra fiers, mais d’un autre côté ça veut aussi dire qu’il y a énormément de monde qui a besoin d’aide. En fait, on aura réellement gagné quand on n’existera plus ».

Ayoub Simour

Crédit photo : @_amrsl

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