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Au-dessus d’une petite mare d’eau, les branches d’un arbre servent d’étendoir pour sécher les vêtements trempés par la pluie. D’autres affaires, éparpillées, sont roulées en boule dans des flaques de boue. Ici, à Grande-Synthe, la tempête puis les inondations ont laissé le camp de réfugiés souillé et imbibé d’eau.

Si la météo s’est calmée, la terre n’en est pas moins impraticable. Il n’y a qu’à s’enfoncer de quelques pas dans l’herbe pour se retrouver les pieds trempés. « Il fait très froid, tout est mouillé, c’est compliqué, j’ai perdu ma tente, mes vêtements et mes chaussures », décrit Filimon, arrivé d’Érythrée, il y a deux mois. À ses côtés, Qais Ahmad, originaire d’Afghanistan, confirme : « C’est très dur la nuit quand il fait froid, l’eau passe sous ma tente. »

Pendant les inondations, certains ont dû se déplacer dans le camp pour se mettre au sec. Malgré les appels à l’aide des associations, ils ne sont pas nombreux à avoir pu bénéficier d’un hébergement d’urgence. Les soirs du 1ᵉʳ et du 2 novembre, au pic de la tempête, la préfecture du Nord a mis deux gymnases à la disposition des personnes exilées : 150 places pour les hommes et 80 pour les femmes et les familles.

Une partie du camp d’exilés de Grande-Synthe inondé par les intempéries ©LiliaAoudia

Il y a eu une mise à l’abri de deux jours pour la tempête, mais rien pendant les inondations

Un dispositif insuffisant pour l’association Salam qui recense actuellement près de 2 000 sans-abri sur le camp de Grande-Synthe. « Il y a eu une mise à l’abri de deux jours pour la tempête, mais rien pendant les inondations. Et ce n’est pas faute d’avoir demandé. Mais on nous a répondu que si les précipitations venaient à durer trop longtemps, les habitants du quartier ne pourraient plus profiter du gymnase pour faire leur sport. Donc, on laisse les migrants dehors. C’est dramatique », déplore Ghislaine, bénévole.

Même constat pour Utopia 56 à Calais. À l’annonce de la tempête, l’association a contacté plusieurs fois les services de l’État pour savoir si un dispositif d’urgence était prévu, sans réponse. Jusqu’au jour J, à 13 heures, où les bénévoles ont reçu un mail indiquant que des bus seraient mis en place de 16h30 à 17h30 pour emmener hommes, femmes, enfants et mineurs non accompagnés vers des foyers d’hébergement.

« Ça nous a laissé une fenêtre de tir assez réduite. Il y a beaucoup de gens qui ont loupé les bus. On a eu une trentaine de mineurs qui se sont retrouvés sans mise à l’abri au pic de la tempête. Parmi eux, il y avait des jeunes âgés seulement de 14 ans, d’autres avec des vulnérabilités particulières », assure Fleur, coordinatrice à Utopia 56 Calais. Comme Ghislaine, elle dénonce la courte durée du dispositif, seulement deux jours, ainsi que l’absence de mesures lors des inondations.

Des difficultés matérielles et sanitaires amplifiées par la tempête

Le territoire n’est pas à l’abri de nouvelles crues. La vigilance orange plane comme une menace au-dessus des camps du littoral, laissant les réfugiés sur place à bout de force. « Je veux juste rejoindre Londres moi. Le vent, les inondations, la police… on n’a pas de répit. On est fatigués », confie un immigré érythréen. À mesure que le temps passe, les contrôles policiers se renforcent et freinent l’action des associations.

À Calais, les évacuations ont lieu tous les 24 à 48h. À Grande-Synthe, c’est plus aléatoire. En temps normal, la situation est déjà difficile à gérer, mais elle l’est encore plus dans des conditions climatiques comme celles-ci. Les couvertures, tentes, bâches pour protéger les personnes exilées des précipitations et du froid sont sans cesse confisquées.

On ne s’en sort plus, on manque de matériel

Pour Fleur d’Utopia 56, c’est un cercle vicieux. « On ne s’en sort plus, on manque de matériel et on ne peut pas en racheter automatiquement, car cela a un coût et notre association dépend des dons. Ces dernières semaines, à Calais, on a donné plusieurs fois des tentes à un mineur qui se faisait prendre par la police ou voler par d’autres exilés. En cette période, les tentes sont un bien précieux », insiste-t-elle. Un trésor qui ne suffit pourtant pas à bien garantir l’imperméabilité, comme l’explique Ghislaine. « On aide à mettre des bâches parce que les tentes sont considérées comme étanches pendant seulement quatre heures. Quand il a plu durant un mois comme en novembre, c’est sûr que ça ne tient pas. »

Au milieu de la boue, les réfugiés se lavent avec la rare borne d’eau potable disponible sur le camp ©LiliaAoudia

Il y a beaucoup de malades en ce moment. Ils ont des démangeaisons sur les mains et les pieds

En plus des difficultés matérielles pour venir en aide aux personnes exilées en temps de pluie, il faut également prendre en compte le risque sanitaire. Sur le camp de Grande-Synthe, un réfugié pointe du doigt un groupe de personnes, affirmant qu’ils ont la gale. « Il y a beaucoup de malades en ce moment. Ils ont des démangeaisons sur les mains et les pieds », décrit-il en faisant signe de se gratter.

Ce parasite semble être antérieur aux inondations, car il se transmet par contact physique direct et non par l’eau. Mais il pourrait bien s’ajouter à d’autres pathologies provoquées, elles, par la stagnation des eaux. « Aujourd’hui, on est sortis de l’alerte rouge, mais les personnes dans les camps ont les pieds dans l’eau jusqu’aux chevilles. Ça implique des risques de santé publique parce que ça favorise la propagation des maladies », précise Fleur.

L’importance d’une mise à l’abri pour la santé physique et mentale des exilés

À Calais, une antenne de Médecins sans frontière (MSF) a vu le jour depuis mars dernier. Les membres organisent des maraudes et ont mis en place un système de clinique mobile pour soigner les personnes exilées. « On doit traiter des infections respiratoires, des dermatoses, liées au grand froid puis à la pluie, mais aussi liées aux traumatismes suite à des tentatives de traversées ou aux évictions régulières de la police », constate Ali Besnaci, coordinateur du projet de MSF, à Calais. Des conséquences physiques qui s’accompagnent aussi d’un impact psychique.

Chloé Hannebouw, psychologue de MSF, détaille les besoins de base auxquels les réfugiés n’ont plus accès dans les camps. Le besoin de se nourrir, limité par le fait de devoir se déplacer sur plusieurs kilomètres pour accéder à une distribution alimentaire. Mais aussi le besoin de sécurité qui n’est plus garanti dès lors qu’on vit dehors, sous une tente, dans un environnement propice aux conflits et aux vols.

Les conditions climatiques ont des répercussions sur leur santé mentale

« Les conditions climatiques ont des répercussions sur leur santé mentale parce qu’elles représentent un facteur de stress qui s’ajoute à ceux déjà présents dans le parcours des personnes exilées. Ainsi, celles-ci doivent solliciter, pour survivre, davantage de capacités d’adaptation et d’énergie. L’accumulation de ces facteurs de stress en lien avec la situation de précarité peut entraîner des symptômes tels que des troubles du sommeil ou de l’anxiété », analyse la thérapeute.

À l’instar de Salam et Utopia 56, Médecins sans frontières demande des politiques de mise à l’abri efficaces. L’accès à un hébergement décent a déjà permis de noter des effets bénéfiques sur la santé mentale des exilés. « J’ai récemment pris en charge un homme d’origine syrienne qui présentait un état de stress post-traumatique ainsi que des idées suicidaires. Quand il y a eu la tempête, il a été mis à l’abri deux jours dans le cadre du plan Grand froid et son état de santé mental s’est amélioré. Certes, il souffrait toujours des troubles de base, mais certains symptômes, notamment les idées suicidaires, se sont atténués », remarque Chloé.

Les températures sont de plus en plus intenses, mais aucune décision n’est prise par les autorités

Un constat partagé par son collègue, Ali, qui dénonce la charge laissée aux associations pour combler les manquements de l’État. « Les températures sont de plus en plus intenses, mais aucune décision n’est prise par les autorités. C’est à nous, associations humanitaires, de trouver un endroit pour mettre ces jeunes à l’abri alors que des dispositifs existent. » Pour les acteurs associatifs, les inondations ne sont qu’une preuve de plus du délaissement des personnes exilées par l’État depuis déjà plusieurs années.

Lilia Aoudia

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