Une jeunesse déterminée et politisée. Les mobilisations contre les violences policières et contre le racisme ont vu affluer à Paris une enfance des quartiers populaires décidée à se faire entendre. Pour beaucoup de jeunes racisé-e-s, et même de moins jeunes, ces manifestations étaient les premières. Le Comité Adama a appelé ces nouveaux militant-e-s la « Génération Adama ».
« Je viens à cette manifestation parce que je me sens concerné, parce que je suis noir et que je ne me sens pas en sécurité quand je vois la police. Je me dis que ça aurait pu m’arriver » nous dit Sam*, 30 ans, assis avec deux ami-e-s. Pour le groupe, la manifestation du 2 juin appelée par le Comité Adama était la première ! Depuis, iels n’ont raté aucune manifestation contre les violences policières. Pour eulles, la mort de George Floyd aux Etats-Unis, « c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase et qui fait prendre conscience à tous qu’il est temps de faire quelque chose ».
Transformer le vécu en moteur de la lutte
Awa*, 20 ans, titulaire d’un bac professionnel, se destine à un M1 de sociologie. Elle participe aussi à ses premières manifestations contres les violences policières. Elle rappelle qu’il « ne faut pas croire que ça touche seulement à l’étranger, comme aux Etats-Unis, ça nous touche directement ».
Pour elle, il était primordial d’être présente, aussi en hommage à Sabri, 18 ans, mort dans un accident de moto dans lequel la police serait impliquée. Elle explique que Sabri était « le meilleur ami d’une meuf de (sa) classe au lycée, donc ça peut arriver à tout le monde et il ne faut pas se laisser faire ».
Quant à Leïla*, 18 ans, venue à la manifestation avec 3 amies, elle nous parle du racisme dans l’institution scolaire : « Même à l’école, le racisme, il est là. J’ai une directrice qui m’a dit ‘Je connais les gosses de ton genre qui viennent du 93’, elle m’a dit ça droit dans les yeux, et à la fin, c’est elle qui a le pouvoir ». Ce groupe de filles racisées m’explique qu’elles sont venues aux manifestations appelées par le Comité Adama « parce que le racisme ça ne devrait pas exister, ça ne devrait même pas être un débat.»
La rupture et la détermination d’une nouvelle génération militante
Tout-e-s rappellent que le combat contre les violences policières et le racisme ne date pas d’aujourd’hui, mais iels sont déterminé-e-s à reprendre le flambeau et à poursuivre la lutte jusqu’au bout.
Djeneba*, 18 ans, nous explique que « le gouvernement n’a pas su admettre qu’il y avait du racisme dans la police. C’est nier et se mettre du côté de l’oppresseur et que notre gouvernement fasse ça, ça incite à ce que ce soit autorisé et ce n’est pas normal du tout, on ne se sent pas protégées ».
C’est cette impunité et la volonté d’être actrice du changement, en tant que jeunesse, qui l’a poussée à venir à sa première manifestation. Avec ses amies, elles ont déploré la présence d’un groupe de jeunes d’extrême droite « Génération Identitaire » : « Je trouve ça grave parce que normalement on est censée être la génération qui relève, et que ce soit des jeunes qui mettent ça, c’est que l’éducation elle a failli, elle n’a pas fait son rôle ».
Pour mettre fin au racisme, Djeneba* manifeste et garde aussi espoir dans l’éducation pour transformer les mentalités : « On ne naît pas raciste donc forcément l’éducation, si à travers l’école, les parents, les enfants ne sont pas instruits à accepter les différences de chacun, à aimer les uns, les autres, par rapport à leur couleur, leurs origines, ça va continuer. »
Ce qui caractérise la mobilisation de cette nouvelle génération c’est aussi l’importance des réseaux sociaux et la défiance envers les médias mainstream. Ce jeune groupe de manifestantes nous confient ne pas avoir confiance en BFMTV et « tous les autres journaux à la télé » et qu’elles s’informent presque exclusivement sur les réseaux sociaux : « J’ai une amie qui est beaucoup sur Twitter, il y a beaucoup d’infos qui sont relayées, elle les repartage à nouveau sur Instagram et clairement, il y a des meufs qui lui disent merci ».
Ces manifestations qui réunissent des milliers de personnes sont aussi inédites car elles sont appelées par une organisation politique autonome, détachée de parti politique ou de syndicat. La force du collectif Adama est sa capacité à réunir, et à mobiliser des franges de la population moins présentes dans les manifestations « classique ».
Pour Issa*, « on ne peut pas attendre, parce que si on attend un syndicat ou peu importe, il n’y aura rien, il ne se passera rien et les choses elles ne changeront pas. Autant manifester, peu importe si on a un syndicat ou pas », pour lui « c’est la voix de la rue qui parle, c’est le citoyen, c’est nous, c’est les jeunes, les vieux aussi, c’est tout le monde ».
Une jeunesse de tous les combats
Cette génération qui ne veut plus se laisser faire, elle est de beaucoup de combat, et a aussi été l’avant-garde des mobilisations pour le climat. Qu’elle s’appelle « génération Adama » ou « génération climat », la jeunesse souhaite rompre avec « l’ancien monde ». La première manifestation d’Awa*, 20 ans, était d’ailleurs pour le climat : « Le climat c’est aussi important et il ne faut pas le négliger et je pense que c’est nous qui pouvons changer les choses. On est la génération qui va faire bouger les choses. »
Samy, 17 ans, habitant à Evry, était lui aussi présent pour sa deuxième manifestation, après celle organisée par le Comité Adama porte de Clichy. Il croit dans la force de la jeunesse pour changer les choses : « On a de la chance, parce que les jeunes de plus en plus tôt se manifestent, que ce soit pour l’écologie, pour n’importe quelle cause, et avant c’était plutôt les vieux qui décidaient pour les jeunes et ça ne marchait pas. Aujourd’hui il y a une vraie révolution de notre génération. »
Avec la détermination et l’optimisme de cette nouvelle génération, se mélange une génération de militant-e-s présente depuis des années sur le terrain qui compte apprendre des erreurs de leurs ainé-e-s. Tout-e-s sont tournés vers le futur et portent leur voix, celle des quartiers populaires et des racisé-e-s. Comme le dit Samy, 17 ans : « Je sais que nous, la jeunesse, on serait prêts à aller manifester toutes les semaines. Le futur, il peut se montrer que plus beau.»
Anissa RAMI
Crédit photo : Benjamin GUILLOT-MOUEIX