Depuis le début du confinement, les vidéos de violences policières dans les quartiers populaires fleurissent. A Aubervilliers, à Brétigny-sur Orge, à Strasbourg… Les exemples pleuvent de ce que le contrôle policier lié au confinement peut engendrer de pire.
La commune des Ulis, dans l’Essonne, présente la particularité d’avoir été le théâtre de deux scènes de ce type en quelques jours. Dans ce territoire populaire, le béton est partout, les habitants sont au nombre de 25 000 dont plus d’un tiers a moins de 25 ans, mais il n’a pas été jugé nécessaire de construire une gare pour les désenclaver.
Mais passons. En cette période de confinement, les policiers locaux se sont montrés bien décidés à faire appliquer le confinement, quitte à piétiner la loi et la dignité de chacun. La première vidéo qui a circulé ces derniers jours montre Yassine, 30 ans, le visage tuméfié. Il raconte son calvaire et comment il a été victime de violences policières, lundi 23 mars.
La seconde a été tournée le 24. On y voit un jeune seul, violemment frappé par plusieurs policiers. On apprendra par la suite qu’il s’agit de Sofiane, un jeune livreur Amazon originaire de la cité des Hautes-Plaines.
Au BB, on fait marcher le réseau et on retrouve rapidement témoins et victimes. En temps normal, on aurait été les rencontrer sur place pour mieux comprendre, mais confinement oblige, on s’est contenté du téléphone.
Dès que je prononçais un mot, ils me disaient de fermer ma gueule
Yassine avoue avoir encore mal à la tête, prendre du paracétamol et mettre de la crème pour apaiser ses multiples hématomes. Au bout du fil, il nous raconte son calvaire. « Lundi 23 mars vers 17 heures, je sortais de mon bâtiment, pour aller chercher du pain, lorsque je suis tombé nez à nez avec la police. Directement ils m’ont fait re-rentrer dans le bâtiment, sans même me demander mon attestation. J’ai demandé ce qu’il se passait. Puis soudain ils m’ont mis des claques et ils m’ont enfoncé la tête dans le mur à deux reprises, avant de m’asséner un coup de cross de flashball à la tête. »
En colère, le trentenaire poursuit, détaillant son passage à tabac qu’il attribue à cinq membres de la BAC de Longjumeau. « Dès que je prononçais un mot, ils me disaient de ‘fermer (ma) gueule’, affirme-t-il. Ils m’ont balayé, puis une fois à terre, ils m’ont mis des penaltys (des coups de pied, ndlr). Pour finir, ils ont pris mon gel hydroalcoolique me l’ont vidé dessus en me disant qu’ils allaient nous défoncer dans le quartier. »
Le père de famille accuse également les agents de lui avoir pris sa carte d’identité, laquelle a été retrouvée peu de temps après dans un autre quartier de la ville, aux Bosquets. C’est un ami de son beau-fils qui a appelé ce dernier pour le prévenir. « Ils m’ont laissé par terre, sur le carreau, raconte-t-il. Ils m’ont crié ‘Ramasse ta merde’ en parlant de mes effets personnels. »
Yassine rentre chez lui, aux Daunières, avec de multiples marques sur le visage. Et l’envie de ne pas en rester là : « Je me suis rendu dans la foulée au commissariat des Ulis, déterminé à déposer plainte, mais les agents sur place ont refusé. » Même son de cloche du côté de la gendarmerie de Gif-sur-Yvette à quelques kilomètres de là, assure-t-il. Yassine finit par aller faire constater ses blessures à l’hôpital d’Orsay. Résultat : traumatisme crânien sans fracture, à surveiller et 5 jours d’ITT, selon un certificat médical que le BB a pu consulter.
Face à ces refus, Yassine a saisi l’IGPN en ligne et réclame désormais une réponse de la maire Françoise Marhuenda. « Ce matin, j’ai encore tenté de la joindre sans succès », soufflait-il ce jeudi.
Quelques jours auparavant, l’édile avait écrit au ministre de l’intérieur et au préfet pour demander du renfort afin de faire respecter le confinement. Des courriers qu’elle avait publiés sur sa page Facebook.
Force est de constater que les mesures de confinement ne sont pas respectées par tous ! Venant en renfort de la Police…
Publiée par Françoise Marhuenda Maire des Ulis sur Vendredi 20 mars 2020
A chaque jour suffit sa bavure
24 heures après ce qui est arrivé à Yassine, une autre scène de violence avait lieu dans la ville. Aux alentours de 17h30, Oliver* fume une cigarette à sa fenêtre dans le quartier des Hautes-Plaines, c’est à ce moment qu’il entend des cris. Il aperçoit alors Sofiane, « un petit du quartier », aux prises avec un policier. « Arrivé à son niveau, un ‘baqueux’ (un agent de la BAC, ndlr) sort sa matraque télescopique et lui tape dans les jambes », raconte le quasi-trentenaire.
Violences policières, encore.
Cette fois, ça se passe aux Ulis (91), le 24 mars 2020. Sur cette vidéo, Sofiane, 21 ans, violemment interpellé par des agents de la BAC.
Livreur pour Amazon, il sortait du domicile de son père & se rendait au travail.
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— Sihame Assbague (@s_assbague) March 26, 2020
Dans une première vidéo, on voit Sofiane à terre, un agent assis sur lui et vite rejoint par ses collègues. La voiture des policiers se trouve alors derrière eux. Pourtant, c’est dans le sens opposé que les agents se dirigent en tenant le jeune. A l’abri des regards, sous un hall d’immeuble.
C’est à ce moment-là qu’Oliver* décide de sortir son téléphone et filme la scène. « Je ne les ai pas entendu parler de l’attestation, ils s’en battaient les c…., tempête-t-il. Ils l’ont emmené sous le porche pour être moins visibles. Pour le finir ! » Sur les images, on voit clairement Sofiane prendre les coups de trois policiers en civil. Le garçon hurle « Arrêtez », son cri perçant glace le sang.
Olivier, lui, n’a presque pas été surpris. « C’est régulier aux Ulis, raconte-t-il. Soit ils nous embarquent, soit ils nous frappent dans des endroits où il y a moins de monde. La semaine dernière, ils ont attrapé un petit et l’ont massacré sous un pont. »
Sur les vidéos de l’interpellation de Sofiane, le temps paraît long. « La scène a duré une dizaine de minutes », assure le jeune homme. Mais pourquoi personne n’est-il descendu ? Le témoin, dépité, répond : « Les gens ont peur, avec le confinement on sait qu’ils ont carte blanche. »
Sofiane, livreur pour Amazon, a porté plainte pour « violences volontaires aggravées par personne dépositaire de l’autorité publique » et « non-assistance à personne en danger ». Son avocat a demandé l’ouverture d’une enquête par l’IGPN, la police des polices.
Céline BEAURY
*Le prénom a été modifié