BB : Comment expliquez-vous que l’État se désengage financièrement de votre activité d’intérêt général ?
Cécile Marcel : L’Etat nourrit un désintérêt sur la question carcérale et la prise en charge des personnes incarcérées. Ces derniers sont les exclus de la société mais aussi des préoccupations des pouvoirs publics. En ne soutenant pas l’OIP, l’État ne soutient pas les personnes auprès de qui nous nous engageons. Les coupes budgétaires touchent l’ensemble du tissu associatif et dans ce cadre, l’État a fait le choix de soutenir prioritairement les structures qui ont des missions de délégation de service public. Or, nous sommes un contre-pouvoir et, à ce titre, l’État assume de ne pas financer les contre-pouvoirs.
BB : À quoi ressemblerait l’univers carcéral français sans votre travail ?
S’il n’y avait pas eu l’OIP ces 20 dernières années, il y aurait moins de droits en prison. Le travail de l’OIP a permis, par exemple, de mettre en place le contrôle du juge sur les décisions de l’administration pénitentiaire. On a été pilier dans le développement d’un droit pénitentiaire. Un autre aspect : il y aurait moins d’informations sur ce qui se passe en prison car on participe à la prise de connaissance des conditions de détention et au débat même si celui-ci n’est pas assez développé selon notre goût. On publie régulièrement des rapports sur la prison, le dernier en date concerne les violences faites par le personnel pénitentiaire. On a aussi un site Internet où il y a pas mal d’informations.
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BB : Attardons-nous sur ce dernier rapport, paru en juin dernier, vous parlez d’une situation alarmante où règne la loi du silence. Comment cela se traduit ?
On a constaté que les violences commises par le personnel pénitentiaire sur des personnes détenues ne sont pas répandues mais, par leur récurrence, elles alertent sur une situation préoccupante où les victimes sont dans l’impossibilité de faire reconnaître ces violences et d’obtenir justice. Il est difficile de dénoncer ces violences, d’abord, car le principal interlocuteur est le personnel pénitentiaire lui-même. Même si cette première difficulté est surmontée, des représailles peuvent voir le jour comme un changement d’établissement ou un quotidien bouleversé. La vie en prison devient un enfer, les sorties se font rares et les accès à la cantine et aux ateliers sont bloqués. Cela peut être, aussi, des représailles physiques. On a plusieurs cas de ce type.
Ce climat fait reculer les détenus qui oseraient déposer une plainte. Et quand bien même ils réussiraient à déposer plainte, il y a peu de chances que ça aboutisse : les enquêtes ne sont pas menées correctement par les services du procureur et les accès aux preuves sont limités. Par exemple, les violences sont commises dans les angles morts des caméras de surveillance quand elles ne sont pas écrasées. Et, il y a aussi une difficulté pour les victimes d’établir des certificats médicaux. Résultat des courses : les plaintes sont classées sans suite.
BB : Dans Matons violents : la loi du silence, on voit que cette loi du silence s’étend jusqu’aux lanceurs d’alertes. Qu’avez-vous trouvé dans votre enquête de douze mois ?
Ils peuvent subir des représailles qui vont jusqu’à des menaces physiques ou des petits mots laissés sur le pare-brise du type « On aura ta peau. » Mais sans aller jusque-là, cela peut se traduire par une ostracisation, un isolement vis-à-vis du groupe. Plus personne ne va venir manger avec celui ou celle qui se risque à dénoncer et les tâches ingrates lui seront confiées. Et cela, dans un monde où il y a une sorte de dépendance, de solidarité entre le personnel pénitentiaire ; c’est un risque à prendre. Au niveau des chefs d’établissement, c’est pareil. Avant de se poser en lanceurs d’alerte, ils ont intérêt à réfléchir à deux fois car il se risque à gérer un conflit avec leurs équipes et donc, souvent, dans un souci d’apaisement, ils vont essayer de régler cela plutôt dans le coin du bureau en se disant « ça ira pour cette fois mais il ne faut pas que ça se reproduise ». On constate aussi que le personnel de santé peut aussi être victime de pression pour ne pas dénoncer ces violences et c’est pour tout cela que l’on parle d’omerta dans ce rapport.
BB : Malgré l’ampleur de votre rapport, vous accusez le gouvernement de faire la sourde oreille. Y a-t-il eu une prise de conscience depuis ?
Nous avons bénéficié d’un écho médiatique important. Dans le milieu carcéral, il y a eu un impact quasi-immédiat : plus de personnes se sont tournées vers nous pour dénoncer ces violences et, même du côté du personnel pénitentiaire, on a eu des témoignages d’intolérance face à ces agissements. Ce rapport a été une mise en garde envers le personnel pénitentiaire pour leur rappeler qu’ils ne pouvaient pas se permettre tout et n’importe quoi dans la plus grande impunité. Mais la grosse déception vient du ministère de la Justice car nous n’avons pas eu la réponse attendue. La seule réponse qui a été faite par la garde des Sceaux dans les médias a été d’affirmer que le personnel pénitentiaire était plus exposé aux violences que les détenus eux-mêmes.
Très récemment, nous l’avons interpellé sur RTL pour comprendre son silence sur ces questions, ce à quoi elle nous a répondu que chaque cas de violence était sanctionné. Ce qui est faux et c’est ce que l’on pointe justement, de façon chiffrée, dans notre rapport. Il y a eu seulement deux sanctions en 2018 pour des faits de violences. Malheureusement, il n’existe aucune donnée statistique sur le nombre de plaintes déposées. Les seules données chiffrées que nous avons eues de l’administration pénitentiaire sont le nombre de sanctions pour des faits de violences qui sont moins nombreux que des faits de trafics ou de relations sexuelles avec un détenu. Ces derniers sont paradoxalement plus sévèrement sanctionnés.
BB : Comment, dans ces conditions, la prison peut jouer son rôle de réinsertion dans la société ?
La violence qui peut sévir en détention n’est qu’un des nombreux symptômes du dysfonctionnement qui s’opère dans les prisons aujourd’hui. La prison est un monde violent qui empêche toute réinsertion et il faudrait rebattre toutes les cartes pour avoir un système carcéral qui remplisse sa mission première.
BB : Quel est l’état des lieux des conditions de détention du système carcéral en France ?
La situation est préoccupante car il y a un problème de surpopulation. Près de 72 000 personnes sont incarcérées. Il s’agit là d’un triste record. Cette surpopulation se concentre principalement dans les maisons d’arrêt qui enferment 2/3 de la population carcérale. La situation de ces maisons d’arrêt est d’autant plus préoccupante que les personnes y sont soumises à des régimes strictes de détention. Elles sont enfermées dans leurs cellules, l’essentiel de la journée, pratiquement 22 heures sur 24. Le temps de détention est un temps mort, c’est-à-dire qu’il y a très peu d’activités qui permettent de préparer sa réinsertion. Ces activités devraient être réorientées vers l’extérieur ou vers une normalisation de la vie à l’intérieur pour permettre une réinsertion.
BB : En quelque sorte, la prison arrive quand toutes les autres institutions ont échoué…
On demande à la prison de réinsérer des personnes en bout de course, là où c’est trop tard. Là où l’éducation nationale a échoué, on demande à la prison de la remplacer. Là où la santé a échoué, on demande à la prison de prendre en charge des personnes. On donne une mission impossible à la prison, on lui demande de jouer un rôle de réinsertion là où toutes les autres institutions ont échoué.
La prison n’est pas efficace
BB : Quelles sont vos recommandations pour que la prison soit un temps utile ?
Ce qui pourrait résumer l’ensemble est un principe défendu par le Conseil de l’Europe : il s’agit du principe de normalisation. La vie en détention devrait être alignée sur la vie à l’extérieur pour favoriser l’autonomie. Cela passe par un quotidien calqué sur une journée en liberté, c’est-à-dire d’élargir le temps en dehors de la cellule afin d’avoir une journée plein en termes d’activité. Aussi, il s’agirait de mettre en place un système où il y aurait une libre circulation au sein de la prison. Pour améliorer les conditions de détention, les personnes incarcérées pourraient participer à l’élaboration du règlement intérieur, cela favoriserait la démocratie interne et aussi leur accorder une liberté d’expression dans un espace de dialogue avec le personnel pénitentiaire. Aujourd’hui, les rapports se jouent plus dans une relation de contrainte et de discipline ; ce qui, à notre regard, est contre-productif.
BB : Six personnes sur dix qui sont passées par la prison récidivent dans les cinq années. Comment analysez-vous ce chiffre ?
La prison n’est pas efficace pour lutter contre la récidive et pour protéger la société. Un des problèmes à soulever est que la prison coûte cher : 100 euros pour une journée d’incarcération contre 35 euros pour un placement à l’extérieur qui, il faut le noter, est une prise en charge complète dans ses démarches de réinsertion. In fine, cette alternative est plus utile à la personne est à la société. Pour répondre à la surpopulation, ces trente dernières années, l’État a décidé de construire toujours plus de places. En plus de ne pas résoudre ce problème, on a absorbé l’ensemble du budget de l’administration pénitentiaire alors que l’État pouvait mettre en place des alternatives à l’incarcération et améliorer les conditions de détention existantes. De plus, un tiers des prisons est vétuste avec des problèmes d’insalubrité et de délabrement.
BB : Qu’en est-il du profil sociodémographique des détenus ?
On enferme les pauvres, les exclus, les malades et les personnes issues des quartiers défavorisés. Le peu de statistiques sur la population carcérale montre qu’il y a une partie des personnes incarcérés qui ont un faible niveau d’éducation et donc peu de diplômes. On retrouve aussi une problématique d’addiction à des substances illicites ou à l’alcool. Un tiers de la population carcérale est confronté aux troubles psychiques graves. On enferme les exclus de la société, les plus pauvres… en ne répondant pas aux problématiques qui se posent à eux. Au contraire, la prison les exclut plus qu’elle ne les réinsère. La prise en charge sanitaire est très défaillante ; il est difficile de consulter un médecin, encore plus de trouver un spécialiste. Il y a de plus en plus d’établissements qui sont tournés vers le soin psychiatrique mais l’univers carcéral renforce les problématiques psychiatriques. Il faudrait prendre en charge ces personnes à l’extérieur, dans des lieux dédiés.
Propos recueillis par Yassine BNOU MARZOUK
Crédit photo : OIP